Les gens de bureau. Emile Gaboriau

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les gens de bureau - Emile Gaboriau страница 4

Автор:
Серия:
Издательство:
Les gens de bureau - Emile Gaboriau

Скачать книгу

vous pouvez rester, vous ne nous gênez pas…

      On étouffait dans cette galerie, mais il gelait dehors; Caldas resta.

      Cette couple d'heures ne fut pas d'ailleurs inutile à son apprentissage administratif. Il avait eu jusqu'alors des idées tout à fait anglaises sur la valeur du temps, l'oisiveté si occupée de ces fonctionnaires marron-clair fut une révélation pour lui; et concluant de leur fainéantise individuelle à la fainéantise universelle de la gent bureaucratique, il caressa le doux espoir de mitiger par le commerce des muses, pendant les heures réglementaires, l'austère labeur de l'employé.

      Un coup de sonnette retentit; le garçon de bureau, qui s'était endormi pendant que Caldas rêvait, se dressa comme mû par un ressort.

      —Monsieur, le chef du personnel est visible, dit-il.

      Et rendant au nouveau sa lettre d'introduction, que celui-ci fourra machinalement dans une de ses poches, il poussa une portière capitonnée en maroquin vert et l'introduisit dans une vaste pièce éclairée par deux fenêtres et coupée vers le milieu par un paravent de couleur claire.

      Caldas, qui avait l'instinct de la stratégie, eut l'heureuse inspiration de tourner ce bastion, et derrière un vaste bureau il se trouva face à face avec M. le chef du personnel.

       Table des matières

      M. Edme Le Campion, chef du personnel au ministère de l'Équilibre, chevalier de l'ordre impérial de la Légion d'honneur, commandeur de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, est un homme de taille moyenne, au front chauve, à l'oeil vacillant. Son âge est un mystère que nul n'a pu sonder. Il n'a pas d'âge.

      Napoléon Ier connaissait, dit-on, par leurs noms tous les grognards de sa vieille garde; il sait, lui, la biographie de tous les officiers, caporaux et soldats de son corps d'armée administratif. Il n'ignore pas plus la position intéressante de Balançard, le contrôleur de l'Équilibre de Loudéac, chargé de neuf enfants et d'une mère aveugle, que les habitudes vicieuses de Fadart, dit Liche-à-l'oeil, jeune surnuméraire parisien, qui se galvaude dans tous les caboulots latins.

      Bref, le cerveau de M. Le Campion est un véritable bureau à compartiments, divisé en une infinité de casiers administratifs. Dans les lobes de ce cerveau, chaque employé a son dossier, avec pièces à l'appui. Le tout ferme à secret.

      Le secret!… mais c'est la condition même de l'existence du chef du personnel. Aussi, fait-il de la discrétion à outrance. On l'a quelquefois entendu parler, jamais répondre. Il fuit les mots précis. Oui et non sont rayés de son vocabulaire. Autant vaudrait interroger la sibylle de Cumes. Ce n'est qu'avec les précautions les plus humiliantes pour son interlocuteur, qu'il ouvrira en sa présence le tiroir où il serre ses plumes et ses crayons; il tremble sans doute de laisser s'évaporer le mystère de l'alchimie bureaucratique…

      Cet homme impénétrable est le grand ressort du ministère, un ressort d'acier. C'est sur sa présentation que se font toutes les nominations et toutes les promotions. Il est le dispensateur de l'avancement, dispensateur avare; à lui s'adressent tous les voeux, à lui toutes les prières; il est de la part du peuple employé l'objet d'un culte analogue à celui que le lazzarone napolitain professe pour son grand saint Janvier. Le fanatisme y touche de près à l'insulte, l'adoration à l'outrage. Le miracle de l'avancement ou de la gratification a-t-il eu lieu, Dieu ne fait pas fleurir assez de roses pour le saint Janvier de l'Équilibre; mais le bienheureux du personnel a-t-il fait la sourde oreille, ce n'est plus du rez-de-chaussée aux combles de la maison qu'un formidable concert d'invectives et d'imprécations. Impassible, il ne sait rien de cet orage.

      Lorsque, du même pas méthodique, son parapluie sous le bras, drapé dans son nuage de mystère, il traverse les corridors, la crainte et l'espoir ferment toutes les bouches et découvrent toutes les têtes.

      La renommée, qui grossit tout, exagère certainement l'omnipotence du chef du personnel, et les employés de province qui, chaque année, font deux cents lieues pour tenir le bougeoir à son petit lever, n'auraient peut-être pas tort de faire cette économie de bouts de chandelles. Non, Le Campion n'est pas tout-puissant; non, Le Campion ne fait pas tous les jours ce qu'il veut; il est juste, mais il n'est pas le maître; il propose le plus méritant, et le plus protégé est nommé. Il est juste, et il fait des injustices; mais chacune de ces injustices est comme une épine cruelle qui hérisse son oreiller et trouble la nuit les rêves de sa conscience.

       Table des matières

      Quels pensers agitaient l'homme intérieur dans Caldas depuis tantôt trois minutes qu'il se tenait au port d'armes, le chapeau à la main, le coeur palpitant sous son gilet (étoffe anglaise)?

      Il m'en coûte peu de l'avouer. Caldas ne pensait à rien. La majesté silencieuse de cette réception avait subitement cristallisé les idées du nouveau.

      Le chef du personnel voulut bien enfin s'apercevoir qu'il y avait quelqu'un là. Par habitude il cacha précipitamment une feuille de papier blanc et son grattoir, souleva légèrement ses lunettes et… peut être allait-il parler quand la peur du ridicule déliant tout à coup la langue de Caldas:

      —Monsieur, dit-il, vous m'avez fait l'honneur de m'appeler…

      M. Le Campion, qui ne s'est jamais démenti, ne répondit ni oui ni non…

      Caldas continua:

      —Vous avez bien voulu me convoquer par une lettre…

      Et il cherchait dans toutes ses poches…

      M. Le Campion avança la main.

      Caldas cherchait toujours avec rage, avec frénésie, sans rien trouver…. Il ne connaissait pas la topographie de son vêtement neuf; depuis avant-hier on portait les poches de côté sur les hanches, et Krugenstern ne l'avait pas initié à ce détail.

      La main de M. Le Campion, toujours tendue vers lui, avait des frémissements d'impatience; il le voyait clairement, et l'horreur de cette situation paralysait ses moyens. Il se reprenait à fouiller dans une poche déjà explorée cinq fois.

      —Canaille de tailleur! pensait-il, idiot, Allemand! me pousser dans un habit dont je ne connais pas les dépendances! De quoi ai-je l'air? d'avoir loué une frusque chez le fripier.

      Enfin, abandonnant toute vergogne, il posa son chapeau à terre, et se palpant par devant, par derrière, de droite et de gauche dans un suprême effort, il réussit à trouver la lettre fatale qu'il glissa respectueusement dans la main toujours tendue de M. le chef du personnel.

      —Vous êtes M. Romain Caldas? demanda M. Le Campion en jetant les yeux sur cette lettre qui portait sa signature.

      —Oui, Monsieur.

      M. le chef du personnel toisa rapidement le nouveau: il lui prenait sa mesure administrative. Du reste, pas un pli sur sa physionomie qui pût indiquer s'il était ou non satisfait de son examen. Il reprit avec solennité:

      —Vous voulez suivre, Monsieur, la carrière de l'administration;

Скачать книгу