Les gens de bureau. Emile Gaboriau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Les gens de bureau - Emile Gaboriau страница 8
Cette ingénue avait été cruelle pour Romain: c'est en vain qu'il avait composé pour elle des sonnets de la plus belle eau; c'est en vain qu'il l'avait opposée dans le Bilboquet à mademoiselle Fix de la Comédie-Française; elle avait résisté.
Elle ne résista pas à l'offre d'un souper chez Magny. Mais en passant devant le Grand-Condé, elle s'aperçut que sa robe était déchirée.
—Ah! si vous m'aimiez réellement, soupira-t-elle en lui serrant la main.
Caldas n'hésita point,—et pourtant il n'avait pas dîné. Mademoiselle Célestine eut une robe qui fit longtemps le désespoir de sa bonne amie, la forte jeune première amoureuse. Mais le souper des fiançailles se fit chez Romain. La rôtisseuse de la rue Dauphine fournit pour trois francs un frugal menu qui fut arrosé d'un petit-bleu largement baptisé.
Il monta pourtant à la tête de Romain, ce cru d'Argenteuil, si bien qu'il commit l'imprudence d'avouer à Célestine sa récente nomination au ministère de l'Équilibre national. Des rêves d'ambition se mêlaient à ses rêves d'amour. Il ne cacha pas à son amante que le plus bel avenir administratif lui était réservé. Il se voyait déjà chef de division et lui faisait présent d'une voiture attelée de deux chevaux gris pommelés.
—Je t'aimerai toujours, lui dit l'ingénue, et je viendrai chez toi tous les trente et un du mois.
XI
Elle avait l'habitude d'aller en voiture, la pensionnaire de
Mont-Saint-Jean.
Caldas fut héroïque; il lui restait trente centimes, il offrit l'omnibus.
Et pourtant le jour qui se levait, était son premier jour de servitude. Pour la première fois il se dit:
—Allons, il faut aller à mon bureau!
Il fallait aller au bureau, en effet, sans avoir déjeuné, sans un sou, sans savoir s'il dînerait le soir…
Il fut sur le point, le misérable, de regretter ses quarante francs.
Qu'en restait-il à cette heure? une vague senteur ambrée dans sa chambre de garçon, une épingle noire sur sa cheminée.
Un espoir survivait chez lui, et c'est avec un battement de coeur qu'en passant devant la loge de sa portière il lui jeta ces mots:
—Avez-vous une lettre pour moi?
La portière haussa les épaules avec mépris.
—C'est fini, se dit-il, je ne dois plus compter sur mon père.
Et serrant d'un cran la boucle de son pantalon, il courut au ministère.
M. Ganivet, son chef de bureau, l'attendait; même il avait gardé son habit noir pour cette solennité: d'ordinaire, pour abattre de la besogne, il se met en manche de chemise.
Caldas n'avait jamais vu un homme aussi poli que M. Ganivet: poli est trop peu dire; son geste moelleux, sa voix de miel, l'onction de son sourire, en font l'incarnation vivante de cette formule stéréotypée: «J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.»
Mais cette urbanité perpétuelle n'est aussi qu'une formule chez M. Ganivet. Très-orgueilleux au fond et très-fier de sa position, s'il condescend à tant d'amabilité pour les inférieurs, c'est qu'il a fait son profit du mot de Gavarni: «Les petits mordent.»
C'est le credo de sa politique. Cet ambitieux de bureau cherche son levier dans la popularité. Si le ministre était nommé au suffrage universel des employés, il aurait le portefeuille.
Cet homme déconcerta Caldas par ses prévenances. Il lui roula un fauteuil près de la cheminée et le pria de se chauffer les pieds sans façon. Ensuite il lui tint un petit discours qui peut se résumer ainsi: «Je vous connais, monsieur, je sais que les modestes fonctions qui vous sont assignées ici sont bien au-dessous de vous; je rougis presque d'avoir à vous tracer une besogne si mesquine. Des employés comme vous, monsieur, rendent bien difficile la position d'un chef; c'est vous qui devriez être à ma place.»
—Oh! oh! se dit Caldas, tu me fais poser, mon bonhomme.
M. Ganivet ne faisait pas poser Caldas; il lui récitait son petit programme, voilà tout.
Le reste de l'entretien fut digne du commencement. Le chef de bureau, du ton de l'intérêt le plus profond, s'informa de tout ce qui touchait Romain, de son passé, du présent et de son avenir; il lui demanda des nouvelles de sa famille, et combien son père avait eu d'enfants. Il termina en le félicitant d'avoir été nommé au bureau du Sommier, le bureau le mieux composé de tout le ministère. Il lui traça un portrait vraiment flatteur de ses collègues, gens spirituels, instruits, aimables et de la meilleure compagnie, tous appelés au plus bel avenir. Il prit la peine de le conduire lui-même jusqu'à la porte du bureau.
Là, il lui donna une chaude poignée de main, et finit en lui demandant sa protection.
XII
Seul, au milieu du corridor, Caldas vit avec anxiété s'éloigner M.
Ganivet.
L'idée de se présenter à des collègues si remarquables l'inquiétait sérieusement; il éprouvait quelque chose de cette émotion du jeune poëte qui, son manuscrit à la main, va frapper à la porte du Théâtre-Français et sollicite une lecture de MM. les Sociétaires. Il cherchait un mot aimable, dégagé, spirituel, à dire en entrant, un de ces mots qui posent à tout jamais un homme.
En attendant il restait immobile devant la porte; il étudiait la physionomie de ces panneaux derrière lesquels se trouvait l'inconnu. Il lut, sans y rien comprendre, les énigmatiques désignations que voici:
VINGT ET UNIÈME DIVISION.
~~~~~~~~~
+——————-+ +—————-+
| SECTION 17e | SOMMIER | 9e BUREAU |
+——————-+ +—————-+
——-
De la lettre A à la lettre H
+—————————————————————-+ | LE PUBLIC N'EST ADMIS QUE DE 2 HEURES 1/4 | | A 3 HEURES 1/2. | +—————————————————————-+
—Tout ceci ne m'apprend pas grand'chose, murmura Caldas. Bast, entrons!
Il ouvrit la porte… et reçut une pomme cuite sur l'oeil.
—Sacrrrrebleu!