L'Homme Qui Séduisit La Joconde. Dionigi Cristian Lentini

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L'Homme Qui Séduisit La Joconde - Dionigi Cristian Lentini

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de Bergame, à la frontière des territoires de la République Vénitienne, où il avait reçu une bonne formation culturelle et une éducation sentimentale et sexuelle non conventionnelle. Orphelin de père et, à l’entrée de l’adolescence, de mère, il vivait avec son grand-père, un vieil homme digne mais fatigué, désormais en déclin, qui restait malgré tout très fier de ses origines. Il venait d’une famille dont les titres de noblesse remontaient à Federico Barbarossa et qui, à l’époque des Croisades, s’était liée à des familles de la haute aristocratie toscane dont la lignée s’était pratiquement éteinte depuis. Dans le bourg et le comté, on accordait encore au vieil homme un respect considérable dont bénéficiait aussi Tristano. En âge d’aller à l’école il fut confié en premier aux Dominicains, puis aux Franciscains, montrant dès le début une aptitude certaine pour la logique et la rhétorique, même si, chaque dimanche matin, il faisait enrager ses précepteurs religieux, préférant la vision angélique des jeunes novices entrant à l’église à l’étude des classiques grecs et latins. Parfois on le voyait assombri, peut- être souffrant de l’absence de ses parents, mais jamais grincheux ; il avait un tempérament vif mais toujours posé, éveillé sans être impertinent et un visage innocent qui le rendait sympathique à tous les habitants du bourg, et surtout aux femmes.

      Il venait d’avoir douze ans quand un évènement, destiné à refaire souvent surface dans ses rêves d’adulte, lui ouvrit un nouveau monde, bien loin des règles monacales auxquelles il était habitué et des vertus cardinales décrites chaque jour dans les livres : on était au début de l’été, par un chaud après-midi, les portes et les fenêtres du scriptorium de la bibliothèque étaient grandes ouvertes pour permettre aux courants d’air d’alléger la pesanteur de ces lectures ; Tristano tenait à la main le tome d’un ouvrage sur Saint-Augustin d’Hippone, qui le fascinait particulièrement. Il s’était retiré près d’une fenêtre, prêt à s’immerger dans ces pages ardues, quand il nota sur la route une agitation inhabituelle à cette heure : Antonia, veuve inconsolable, venant du parvis de l’église, avançait à grands pas sur le chemin désert, traînant par la main sa fille, la tiraillant car, pauvre gamine, elle n’avait appris à marcher que quelques années auparavant. La malheureuse jeune femme paraissait anxieuse d’arriver rapidement à destination sans être remarquée. Peu après, toujours de manière circonspecte, elle dévia légèrement sur la droite et arrivée à hauteur de la boutique de l’apothicaire y entra. Sur ce, le titulaire, passant la tête par la porte, donna un rapide coup d’œil circulaire et rentra en fermant derrière lui ; la porte ne se rouvrit qu’une demi-heure plus tard laissant sortir la mère et la fille. Ce manège se reproduisit presque à l’identique les samedis suivants, si bien que l’adolescent éprouva la tentation irrésistible d’approfondir cette énigme. C’est ainsi qu’il planifia de se cacher dans le vieux coffre qu’un journalier travaillant chez son grand-père utilisait pour livrer des outres d’eau de source à l’épouse de l’apothicaire, une dame fortunée qui préparait avec ses deux filles des distillats, des hydrolats et des parfums pour le laboratoire de son mari. A peine le chargement effectué, Tristano, en cachette, vida l’équivalent de son poids et se glissa tout recroquevillé dans le coffre, laissant ensuite l’ouvrier le charger en toute ignorance sur sa charrette et le transporter jusqu’à destination, à l’intérieur de la droguerie comme à son habitude. Arrivé à bon port, dissimulé dans son « cheval de bois », tel Ulysse à Troie, il attendit le moment où l’assistant herboriste s’éloignait pour payer l’ouvrier, pour sortir du coffre et se cacher derrière les sacs de céréales et de graminées qui emplissaient la pièce. Il suffisait maintenant de patienter … Et effectivement, le clocher de l’église avait à peine sonné la none que la belle Antonia, avec sa petite, fit ponctuellement son entrée dans la pénombre ; à l’attendre au portail son soupirant l’alchimiste, qui se rua sur sa poitrine généreuse comme un loup sur sa proie, la poussant contre le vantail fixe de la porte. Et tandis que de la main droite il refermait le vantail mobile, de la gauche il fourrageait sous la veste de la séduisante dame laquelle, abandonnant la main de sa petite fille, défaisait en même temps sa coiffe et libérait sa longue chevelure cuivrée. Le jeune homme assistait incrédule à cette scène, dans une extase d’herbes médicinales, épices, racines, bougies, papier, encres et couleurs … Après les premières effusions, l’apothicaire relâcha son étreinte, juste le temps de permettre à la jeune mère de mieux installer son enfant, la faisant asseoir sur une petite chaise avec une poupée de chiffon ; puis il la prit par la main et tout en la conduisant vers l’arrière-boutique lui demanda sarcastiquement : « Dis-moi, qu’as-tu raconté aujourd’hui en confession à Don Berengario ? » Alors leur ardeur redoubla : aux petits rires et aux murmures succédèrent des gémissements ; l’espion audacieux avait à peine écarté le rideau de séparation qu’il vit les deux amants forniquer sans pudeur parmi les herbes, les graines, les parfums, les eaux aromatiques, les huiles et les onguents …

      C’est ainsi qu’il initia son éducation sexuelle, la consolidant, comme toute discipline qui se respecte, par la théorie (se procurant quelques textes considérés comme formellement interdits par ses précepteurs) et par la pratique (provoquant des émois et des remises en question chez plus d’une jeune novice).

      Il connut son premier rapport sexuel complet avec Elisa di Giacomo, la fille aînée d’un palefrenier de leur domaine. De deux ans plus âgée, la belle Elisa accompagnait volontiers Tristano pour de longues promenades sur les sentiers de montagne, envoûtée par ses histoires, ses projets … et ils finissaient inévitablement par faire l’amour dans une cabane ou un refuge de la région.

      Un jour de vendange où ils s’étaient ainsi isolés, un petit groupe de soldats étrangers arrivant au galop, surgit à l’improviste au beau milieu de la fête. Ils écartèrent les journaliers et les badauds affolés et s’arrêtèrent devant l’alcôve rurale pour l’encercler. Le plus haut gradé, vêtu d’une armure scintillante jamais vue dans ces parages, descendit de cheval, retira son heaume et, forçant la porte d’un coup de pied, créant l’embarras le plus total chez les tourtereaux stupéfaits, fit irruption :

      « Tristano Licini de’ Ginni ? »

      « Oui monsieur, c’est moi », répondit le jeune homme, récupérant à la hâte son pantalon et cherchant de son corps semi-dénudé à faire rempart à sa compagne terrifiée, « mais qui êtes-vous mon seigneur ? »

      « Mon nom est Giovanni Battista Orsini, Seigneur de Monte Rotondo. Rhabillez-vous ! Vous devez me suivre immédiatement à Rome. Votre grand-père a déjà été informé et a donné son consentement à votre départ de ces lieux, pour vous transférer le plus rapidement possible dans la demeure de mon noble oncle, Sa Seigneurie Eminentissime et Révérendissime, le cardinal Orsini. Ma mission est de vous escorter, par la force si nécessaire, jusqu’à sa sainte personne. Je vous prie, n’opposez aucune résistance et suivez-moi. »

      Et ainsi, arraché à son microcosme provincial où il avait trouvé son équilibre, à seulement quatorze ans, Tristano quitta pour toujours ces pauvres terres de confins, pour arriver, puis devenir un homme, dans l’opulente cité que Dieu avait élue comme son Siège sur la Terre, la ville éternelle, l’Urbs des César, la caput mundi …

      Après sept jours d’un voyage éreintant, il arriva épuisé dans la demeure du cardinal à Monte Giordano ; le jeune garçon fut tout de suite confié aux soins d’un serviteur et peu après conduit auprès de l’Illustrissime Cardinal Latino Orsini, représentant de premier plan de la faction romaine des Guelfes, suprême camerlingue et archevêque de Tarente, en outre évêque de Conza et archevêque de Trani, archevêque d’Urbino, cardinal évêque d’Albano et de Frascati, administrateur apostolique de l’archidiocèse de Bari et Canosa et du diocèse de Polignano, et encore Seigneur de Mentana, Selci et Palombara, et caetera, et caetera …

      En s’y rendant, Tristano scrutait les regards sévères des bustes de marbre des illustres ancêtres de cette noble lignée, dressés sur des consoles décorées

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