L'Homme Qui Séduisit La Joconde. Dionigi Cristian Lentini
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Alors Tristano, ne pouvant plus rester impassible devant une violence aussi exécrable, se décida finalement à intervenir : il sortit avec ses hommes à découvert et faisant irruption sur la scène, se rua héroïquement sur cette meute barbare d’hyènes lubriques. Les violeurs, quoique réduits en nombre, conservaient toujours la supériorité numérique et ne se laissèrent pas surprendre : la tension remonta. Mais tandis qu’une des brutes remontait son pantalon, Tristano reconnut sur la frise de sa cape le lys des Médicis et, avant que l’arbalétrier n’ait commencé à tendre son arc, levant le poing au ciel, il leur intima :
« Arrêtez ! Je vous l’ordonne au nom de Messire Lorenzo de’ Medici », et, royalement, il tendit le bras en avant, à droite puis à gauche, englobant ainsi tous les malfrats. « J’ai vingt-cinq hommes à ma suite, prêts à vous arrêter et vous jeter dans les prisons de mon ami Lorenzo », ajouta-t-il.
Alors le plus costaud, reconnaissant sur la bague du jeune homme l’effigie de son seigneur, et craignant de sérieuses répercussions, commanda subitement aux siens de jeter les armes ; il chercha en plus à ébaucher des justifications pour ce qu’il s’était passé, mais Tristano l’arrêta immédiatement :
« Va-t-en, misérable. »
Les quatre vauriens cessèrent de brailler, remontèrent à cheval et disparurent dans la forêt.
Les soldats pontificaux, encore abasourdis par la manière dont le jeune officier avait réglé cette affaire, libérèrent rapidement les deux victimes et, après avoir pansé au mieux leurs blessures, les firent monter à cheval avec eux. Ils reprirent ainsi leur chemin tandis qu’à leur droite le soleil commençait à décliner.
Ils arrivèrent le soir à Prato, où Tristano connaissait une personne qui pouvait probablement prendre soin des deux malheureux, les laissant libres de poursuivre au plus tôt leur chevauchée vers Rome.
Aux abords de la place de la cathédrale, deux jeunes filles venaient de donner un morceau de pain à un pauvre mendiant grelottant de froid et s’en retournaient chez elles. Tout à coup, Tristano sauta de cheval et tourné vers les deux demoiselles, s’écria :
« Alessandra ! »
La plus mince des deux se retourna, regarda qui osait prononcer son nom à une heure aussi tardive et, sa vue lui confirmant ce que cette voix avait évoqué dans son souvenir, répondit :
« Tristano ! »
En un instant elle se précipita vers lui et, ignorant les conventions et toute inhibition, comme entre jeunes gens se connaissant bien, lui jeta les bras au cou et les yeux tendrement mi-clos, appuya sa tête sur la poitrine du visiteur inattendu.
Alessandra était la fille si gracieuse de madame Lucrezia Buti et du regretté peintre florentin Filippo Lippi. Sa mère, auparavant sœur Lucrezia, avait été nonne au monastère de Santa Caterina, contrainte par sa famille à une vie monastique forcée. Son père, chapelain du couvent de ce monastère de Prato, était reconnu déjà de son vivant comme un des meilleurs peintres de son époque et, par conséquent, très souvent chargé par les hautes sphères ecclésiastiques et par les familles les plus fortunées de peindre des œuvres très importantes, surtout sur des thèmes bibliques et hagiographiques. Ce fut précisément lors d’un de ces travaux qu’ils se rencontrèrent. L’attirance fut inévitable et irrépressible … elle si belle et sensuelle, lui sensible et charismatique : les deux religieux s’éprirent follement l’un de l’autre. La relation impie entre les murs sacrés du couvent dura quelque temps, au cours duquel sœur Lucrezia se prêtait volontiers comme modèle pour quelques tableaux de Frère Filippo, jusqu’au jour où ce dernier, à l’occasion de la procession de la Sacra Cintola, la ceinture sacrée de la Madone, décida d’enlever sa bien-aimée et de commencer une nouvelle vie avec elle, en concubinage, indifférent au tollé soulevé, au scandale et à la réprobation générale. Evidemment l’Eglise s’opposa fermement au lien les unissant, le considérant comme luxurieux et même diabolique ; c’est seulement des années après, grâce à l’intervention de Cosimo de’ Medici, protecteur de Lippi, auprès du Saint Père, que les deux amants furent finalement réhabilités et obtinrent l’annulation de leurs vœux monastiques. C’est ainsi que naquit la belle Alessandra quelques années plus tard.
Encore adolescent, Tristano avait connu et fréquenté cette jeune fille si spontanée durant ses séjours à Florence auprès des Medici. Elle avait tout de suite retenu son attention et il avait ressenti une forte attraction pour elle, charmé par la douceur de ses traits mais encore plus par son ouverture d’esprit, son caractère extroverti et son indépendance intellectuelle, caractéristiques qu’elle avait sûrement héritées de ses deux parents dont elle représentait tout à fait le modus cogitandi et operandi.
Il la revoyait maintenant après cinq ans, encore plus belle, encore plus femme.
Ils entrèrent tous les deux chez elle pendant que le reste du groupe attendait au dehors. Juste le temps de raconter à la maîtresse de maison les évènements des heures précédentes et les deux amis ressortirent, invitant les compagnons de Tristano à s’installer dans la demeure. Alessandra, malgré l’heure tardive, fit appeler un médecin, fit préparer des chambres pour les invités et, pleine de générosité, assura Tristano de vouloir s’occuper, avec l’aide de sa mère, du complet rétablissement des deux blessés.
Ainsi, tandis qu’un bon verre de vin accompagnait les récits captivants du visiteur si bienvenu et accentuait le rose aux joues de la charmante demoiselle, Hypnos et ses Oneiroi, les songes ses fils, descendirent lentement sur la ville de Prato.
Le lendemain après les laudes, le jeune émissaire, remerciant chaleureusement de l’hospitalité reçue, reprit avec son escorte le chemin de Rome où l’attendait impatiemment son protecteur … et avec lui une autre mission passionnante à accomplir. Il fallait pour cela effectuer encore quelques heures de voyage en évitant les imprévus.
Mais à seulement cent pieds des habitations, sur la route poussiéreuse menant à Florence, les trois cavaliers pontificaux venaient à peine d’accélérer le pas lorsqu’ils furent rejoints par un homme à cheval, portant visiblement le bras en écharpe.
« Monsieur … Monsieur, je vous en prie. Arrêtez-vous …”
Ce cavalier hors d’haleine n’était autre que le jeune homme sauvé par Tristano la veille et recueilli avec sa compagne par la famille LIppi. L’officier pontifical dut s’arrêter de nouveau.
“Je vous en prie, Monseigneur, écoutez-moi bien », supplia-t-il, « ce que vous avez fait et démontré est bien plus noble que n’importe quel blason qui ornerait votre poitrine ou de quelque couronne sur les armoiries de votre famille. »
Puis il descendit de cheval et se prosterna devant le diplomate :
« Permettez-moi de vous assurer de ma gratitude éternelle et de vous offrir, bien modestement, mes services, en retour de la dette inextinguible contractée envers vous, du moment où Votre Excellence m’a sauvé, mais bien plus encore ma femme, des griffes homicides de ces canailles. Toute la nuit j’y ai repensé et j’ai mûri ma décision : si vous voulez bien l’accepter, je vous offre mon humble épée et je vous jure fidélité aussi longtemps que vous me permettrez de