L'Holocauste: Roman Contemporain. Ernest La Jeunesse

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L'Holocauste: Roman Contemporain - Ernest La Jeunesse

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temps se relaient deux fois l'an où les gens riches veulent se mettre en contact avec le peuple et les choses. C'est le moment qu'ils choisissent pour s'avouer qu'ils ont besoin d'air, de vigueur, de fraîcheur et de chaleur et où ils partent en chercher où il y en a—sur le Baedecker.

      Ils ont à traverser des villes de province qui se ressemblent—car rien ne se ressemble comme les villes de province, mais ils les traversent vite, les brûlent, passent à côté, parce qu'ils sont dans des chemins de fer très rapides, qui leur cachent les choses monotones, la souffrance et la misère, qui ont hâte de les jeter dans de la beauté, comme ils jettent les pauvres gens dans les faubourgs gris et noirs, dans les chambres aussi sombres que toi, petite chambre, et dans ces endroits de repos que sont les prisons et les cimetières.

      Dès que les gens riches ont été jetés dans la beauté, sans brusquerie, avec leurs bagages et leurs domestiques, ils crient ou ne crient pas que c'est très cher, qu'on leur fait payer la chaleur et la fraîcheur et que l'existence est hors de prix.

      Ils happent la beauté goulûment sans y prendre garde—et n'admirent que pour admirer leur richesse et pour s'admirer.

      Mais vraiment, c'est beau.

      Lorsque le chemin de fer mène à cette ville, il se promène entre la mer et les montagnes et, par gentillesse, semble aller lentement, lentement—et il va si vite!—pour qu'on puisse se laisser charmer par le paysage.

      Et le paysage, la mer, les montagnes entrent dans les wagons, le ciel aussi—et quel ciel! les palmiers glissent le long des wagons et c'est un cortège naturel et extravagant: la mer qui est là, qui est partout, qui court après vous, qui vous cerne, qui vous lèche, s'obstine en sa complaisance, l'enchevêtrement harmonieux des palmiers, des oliviers, des arbres de joie et des fleurs touffues, des fleurs bleues, rouges, mauves, jaunes et vertes, les orangers qui se dressent et qui se penchent, les fleurs qui mangent les maisons, les pins-parasols qui se déploient, les fleurs encore, les fleurs toujours, roses et noires, jaunes et grises, les fleurs métalliques, les fleurs couleur de pierre et couleur d'enfer, les fleurs qui se tendent, qui s'offrent, qui repoussent sous le regard, les fleurs tyranniques, les arbres débonnaires, les maisons qui s'abritent des arbres et des fleurs et qui n'offensent ni les fleurs ni les arbres, les brèves montagnes qui se dentèlent devant d'autres montagnes plus hautes,—des montagnes de fond,—les golfes qui se dessinent et qui disparaissent pour reparaître, le ciel qui se tisse de même splendeur, toute cette orgie de grandeur, de nature, de facilité et de simplicité, vous poursuit, se presse autour de vous comme un chœur aimant, tout est sans bruyance, sans déclamation, tout chante en sourdine, tout est sans arrogance, tout semble vouloir faire plaisir, sans plus, et être comme le couloir sans limite, la route fleurie du paradis.

      Et la ville s'enferme de montagnes, de murailles, la ville, en son caprice, monte, descend, se déchire, s'étage, s'enfonce en des précipices pour s'envoler en une flore de sommets: on l'appelle Monte-Carlo.

      Les fleurs y jaillissent, énormes, s'y développent, s'y épanouissent, y éclatent de sève, de chaleur, de fraîcheur, les arbres s'y efforcent vers le ciel et c'est comme une musique intime, secrète des plantes et de la ville.

      Les arbres et les fleurs qui vous ont suivi jusque-là en chemin de fer s'arrêtent avec vous, entrent les uns dans les autres, se gonflent d'une vie intense, profonde, massive et comme obscure, et la mer qui a coulé jusque-là s'arrête aussi et gonfle la mer, en fait une masse électrique, qui s'étouffe de sa beauté.

      Les gens riches, petite chambre, ont de l'estime pour cette ville—parce qu'elle se coiffe d'une salle de jeu.

      C'est en cette ville que la nature, la splendeur et la douceur de la nature, se sont réfugiées; c'est en cette ville que le soleil s'essaie, l'hiver, qu'il languit, qu'il se reprend à sourire, qu'il baigne sa mélancolie, c'est sur cette ville que toutes les fleurs se penchent, qu'elles s'amoncèlent en des bouquets tout faits, en des forêts d'azur, de ténèbre, de rose et d'or; le ciel y est uni comme une prière, la mer, ah! la mer, je ne pourrais te la décrire, tant elle est majestueuse, lourde de tendresse et de ferveur, lente, attirante, absorbante, à la fois câline et dédaigneuse, tant elle est la mer des contes de fées qu'on se rappelle la nuit et des Mille et une Nuits qu'on scande le soir, tant elle est la mer d'Orient, la mer des nostalgies; elle est belle à ne pas oser la couper d'une rame ou d'un éperon de vaisseau, eh bien! les gens riches ont de l'estime pour cette ville parce que, au-dessus de la mer, en bordure des fleurs, défiant le ciel de deux mâts de cocagne, une salle de jeu s'étend, se vautre,—qui leur coûte cher.

      J'entrai dans cette salle de jeu.

      Rien n'est plaisant comme de jeter—volontairement—quelque argent aux gens riches comme à des fauves.

      Des tables sont là, creusées d'un trou où une bille roule, guettant un trou plus petit—et où l'on peut sans danger oublier des pièces de monnaie.

      Des êtres sont assis, sont tapis le long de la table—et des êtres sont debout derrière, et, au milieu de la salle, des êtres s'attardent à défaillir et à rester hagards, n'ayant plus de quoi s'asseoir, n'ayant plus de quoi se tenir debout, n'ayant plus de quoi regarder.

      Et malheur à l'argent qui tombe sur ces tables! Ce n'est pas en un plomb vil qu'il se transforme, c'est en de petits pains à cacheter blonds ou gris, en petits pains à cacheter qui ne cachètent rien et qui s'engluent et qui s'enfuient. Les êtres qui cernent cet argent ont des têtes où il se reflète, en son horreur soudaine, têtes plombées, têtes bossuées comme les pièces qui ont beaucoup roulé; têtes de cauchemars comme les écus qui ont longtemps dormi; têtes vieillies tout à coup de toute la vieillesse de ces pièces, de ces écus qui les quittent, qu'ils chassent; têtes creusées, sinistres, punies de tous les crimes, de toutes les douleurs des rois dont les effigies s'impriment, se figent et s'effacent parmi le disque gris ou blond.

      Les femmes déposent leur beauté et leur élégance au vestiaire, avec leur ombrelle—et se couvrent d'un uniforme tacite de gêne et de cupidité; c'est une poussière d'or et d'argent qui les embue et ce sont des rides qui viennent.

      Les hommes se ressemblent tous, vieillis, jaunes et verts.

      Je perdis bien évidemment à ce jeu de perte et de perdition et je ne m'obstinai pas en cette prison de cendre et de plomb.

      Je me précipitai dans le soleil, dans les fleurs, dans les arbres et dans la mer.

      C'était le temps où le printemps tremble sur les côtes, où les arbres se trouent des murmures hésitants, des murmures impétueux de la vie, c'était le temps où le crépuscule s'alanguit et repousse le soir dans la mer, où le jour veut avoir le temps de mourir et de s'étendre paresseusement sur les flots.

      Le soleil s'évanouissait dans de l'azur, c'était le moment de l'azur, où l'azur veut tout conquérir, veut tout avoir, veut être tout, où il couvre, où il masque tout, jusqu'à la médiocrité, jusqu'au néant, où il s'épand, en coulées larges et sûres, presque par blocs, sur les arbres, sur les fleurs et c'est un azur profond et massif, un azur plein, vivace, torrentiel et calme.

      Je ne m'assis pas au bord de la mer: c'est une mer devant laquelle on ne doit pas s'asseoir, c'est une mer qui veut qu'on la respecte.

      L'azur léger qui, en un balancement léger, s'en venait mourir au ras de la terre, à la pointe du roc, s'épaississait tout de suite d'un azur plus lourd, d'un azur de puissance, presque indigo; du mauve se gonflait des violets les plus sombres, les plus veloutés, lumineux d'une lumière intime et lointaine.

      Pas un bruit, pas un

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