Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

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Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau

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peu.

      —En attendant, proposa le maire, vous désireriez peut-être, monsieur le juge d’instruction, visiter le théâtre du crime.

      M. Domini eut un geste comme pour se lever et se rassit aussitôt.

      —Au fait, non, dit-il, autant ne rien voir avant l’arrivée de notre agent. Mais j’aurais bien besoin de renseignements sur le comte et la comtesse de Trémorel.

      Le digne maire triompha de nouveau.

      —Oh! je puis vous en donner, répondit-il vivement, et mieux que personne. Depuis leur arrivée dans ma commune, j’étais, je puis le dire, un des meilleurs amis de monsieur le comte et madame la comtesse. Ah! monsieur, quels gens charmants! et excellents, et affables, et dévoués!...

      Et, au souvenir de toutes les qualités de ses amis, M. Courtois éprouva une certaine gêne dans la gorge.

      —Le comte de Trémorel, reprit-il, était un homme de trente-quarante ans, beau garçon, spirituel jusqu’au bout des ongles. Il avait bien, parfois, des accès de mélancolie pendant lesquels il ne voulait voir personne, mais il était d’ordinaire si aimable, si poli, si obligeant, il savait si bien être noble sans morgue, que tout le monde dans ma commune l’estimait et l’adorait.

      —Et la comtesse? demanda le juge d’instruction.

      —Un ange! monsieur, un ange sur la terre! Pauvre femme! Vous allez voir ses restes mortels tout à l’heure, et certes vous ne devinerez pas qu’elle a été la reine du pays, par la beauté.

      —Le comte et la comtesse étaient-ils riches?

      —Certes! Ils devaient réunir à eux deux plus de cent mille francs de rentes; oh! oui, beaucoup plus; car, depuis cinq ou six mois, le comte, qui n’avait pas pour la culture les aptitudes de ce pauvre Sauvresy, vendait les terres pour acheter de la rente.

      —Étaient-ils mariés depuis longtemps?

      M. Courtois se gratta la tête; c’était son invocation à la mémoire.

      —Ma foi, répondit-il, c’est au mois de septembre de l’année dernière; il y a juste dix mois que je les ai mariés moi-même. Il y avait un an que ce pauvre Sauvresy était mort.

      Le juge d’instruction abandonna ses notes pour regarder le maire d’un air surpris.

      —Quel est, demanda-t-il, ce Sauvresy dont vous nous parlez?

      Le père Plantat, qui se mordillait furieusement les ongles dans son coin, étranger en apparence à ce qui se passait, se leva vivement.

      —M. Sauvresy, dit-il, était le premier mari de Mme de Trémorel; mon ami Courtois avait négligé ce fait...

      —Oh! riposta le maire d’un ton blessé, il me semble que dans les conjonctures présentes...

      —Pardon, interrompit le juge d’instruction, il est tel détail qui peut devenir précieux bien qu’étranger à la cause, et même insignifiant au premier abord.

      —Hum! grommela le père Plantat, insignifiant étranger!...

      Son ton était à ce point singulier, son air si équivoque, que le juge d’instruction en fut frappé.

      —Ne partageriez-vous pas, monsieur, demanda-t-il, les opinions de monsieur le maire sur le compte des époux Trémorel?

      Le père Plantat haussa les épaules.

      —Je n’ai pas d’opinions, moi, répondit-il, je vis seul, je ne vois personne; que m’importent toutes ces choses. Cependant...

      —Il me semble, exclama M. Courtois, que nul mieux que moi ne doit connaître l’histoire de gens qui ont été mes amis et mes administrés.

      —C’est qu’alors, répondit sèchement le père Plantat, vous la contez mal.

      Et comme le juge d’instruction le pressait de s’expliquer, il prit sans façon la parole, au grand scandale du maire rejeté ainsi au second plan, esquissant à grands traits la biographie du comte et de la comtesse.

      La comtesse de Trémorel, née Berthe Lechaillu, était la fille d’un pauvre petit instituteur de village.

      À dix-huit ans, sa beauté était célèbre à trois lieues à la ronde, mais comme elle n’avait pour toute dot que ses grands yeux bleus et d’admirables cheveux blonds, les amoureux—c’est-à-dire les amoureux pour le bon motif—ne se présentaient guère.

      Déjà Berthe, sur les conseils de sa famille, se résignait à coiffer sainte Catherine et sollicitait une place d’institutrice—triste place pour une fille si belle—lorsque l’héritier d’un des plus riches propriétaires du pays eut occasion de la voir et s’éprit d’elle.

      Clément Sauvresy venait d’avoir trente ans; il n’avait plus de famille et possédait près de cent mille livres de rentes en belles et bonnes terres absolument libres d’hypothèques. C’est dire que mieux que personne il avait le droit de prendre femme à son gré.

      Il n’hésita pas. Il demanda la main de Berthe, l’obtint, et, un mois après, il l’épousait en plein midi, au grand scandale des fortes têtes de la contrée, qui allaient répétant:

      —Quelle folie! À quoi sert d’être riche, si ce n’est à doubler sa fortune par un bon mariage!

      Un mois avant la noce, à peu près, Sauvresy avait mis les ouvriers au Valfeuillu, et, en moins de rien, il y avait dépensé, en réparations et en mobilier, la bagatelle de trente mille écus. C’est ce beau domaine que les époux choisirent pour passer leur lune de miel.

      Ils s’y trouvèrent si bien qu’ils s’y installèrent tout à fait, à la grande satisfaction de tous ceux qui étaient en relation avec eux. Ils conservèrent seulement un pied à terre à Paris.

      Berthe était de ces femmes qui naissent tout exprès, ce semble, pour épouser les millionnaires.

      Sans gêne ni embarras, elle passa sans transition de la misérable salle d’école, où elle secondait son père, au superbe salon de Valfeuillu. Et lorsqu’elle faisait les honneurs de son château à toute l’aristocratie des environs, il semblait que de sa vie, elle n’avait fait autre chose. Elle sut rester simple, avenante, modeste, tout en prenant le ton de la plus haute société. On l’aima.

      —Mais il me semble, interrompit le maire, que je n’ai pas dit autre chose, et ce n’était vraiment pas la peine...

      Un geste du juge d’instruction lui ferma la bouche et le père Plantat continua:

      —On aimait aussi Sauvresy, un de ces cœurs d’or qui ne veulent même pas soupçonner le mal. Sauvresy était un de ces hommes à croyances robustes, à illusions obstinées, que le doute n’effleure jamais de ses ailes d’orfraie. Sauvresy était de ceux qui croient, quand même, à l’amitié de leurs amis, à l’amour de leur maîtresse.

      «Ce jeune ménage devait être heureux, il le fut.

      «Berthe adora son mari, cet homme

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