L'ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche. Miguel de Cervantes Saavedra

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L'ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche - Miguel de Cervantes Saavedra

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Je veux qu'on vienne me voir de cent lieues.

      Certes, tu auras fort bon air, dit don Quichotte: seulement il faudra que tu te fasses souvent couper la barbe; car tu l'as si épaisse et si crasseuse, qu'à moins d'y passer le rasoir tous les deux jours, on reconnaîtra qui tu es à une portée d'arquebuse.

      Et bien, qu'à cela ne tienne, reprit Sancho; je prendrai un barbier à gages, afin de l'avoir à la maison, et, dans l'occasion, je le ferai marcher derrière moi comme l'écuyer d'un grand seigneur.

      Comment sais-tu que les grands seigneurs mènent derrière eux leurs écuyers? demanda don Quichotte.

      Je vais vous le dire, répondit Sancho. Il y a quelques années je passai environ un mois dans la capitale, et là je vis à la promenade un petit homme[41], qu'on disait être un grand seigneur, suivi d'un homme à cheval, qui s'arrêtait quand le seigneur s'arrêtait, marchait quand il marchait, ni plus ni moins que s'il eût été son ombre. Je demandai pourquoi celui-ci ne rejoignait pas l'autre, et allait toujours derrière lui; on me répondit que c'était son écuyer, et que les grands avaient l'habitude de se faire suivre ainsi. Je m'en souviens et je veux en user de même quand mon tour sera venu.

      Par ma foi, tu as raison, dit don Quichotte; et tu feras fort bien de mener ton barbier à ta suite: toutes les modes n'ont pas été inventées d'un seul coup, et tu seras le premier comte qui aura mis celle-là en usage. D'ailleurs, l'office de barbier est bien au-dessus de celui d'écuyer.

      Pour ce qui est du barbier, reposez-vous-en sur moi, reprit Sancho; que Votre Grâce songe seulement à devenir roi, et à me faire comte.

      Sois tranquille, dit don Quichotte, qui, levant les yeux, aperçut ce que nous dirons dans le chapitre suivant.

       COMMENT DON QUICHOTTE DONNA LA LIBERTÉ A UNE QUANTITÉ DE MALHEUREUX QU'ON MENAIT, MALGRÉ EUX, OU ILS NE VOULAIENT PAS ALLER

       Table des matières

      Cid Hamet Ben-Engeli, auteur de cette grave, douce, pompeuse, humble et ingénieuse histoire, raconte qu'après la longue et admirable conversation que nous venons de rapporter, don Quichotte, levant les yeux, vit venir sur le chemin qu'il suivait une douzaine d'hommes à pied ayant des menottes aux bras et enfilés comme les grains d'un chapelet par une longue chaîne, qui les prenait tous par le cou. Ils étaient accompagnés de deux hommes à cheval, et de deux à pied, les premiers portant des arquebuses à rouet, et les seconds des piques et des épées.

      Voilà, dit Sancho en apercevant cette caravane, la chaîne des forçats qu'on mène servir le roi sur les galères.

      Voilà la chaîne des forçats qu'on mène servir le roi sur les galères (p. 100).

      Des forçats? s'écria don Quichotte; est-il possible que le roi fasse violence à quelqu'un?

      Je ne dis pas cela, reprit Sancho; je dis que ce sont des gens qu'on a condamnés pour leurs crimes à servir le roi sur les galères.

      En définitive, reprit don Quichotte, ces gens sont contraints, et ne vont pas là de leur plein gré.

      Oh! pour cela je vous en réponds, repartit Sancho.

      Eh bien, dit don Quichotte, cela me regarde, moi dont la profession est d'empêcher les violences et de secourir les malheureux.

      Faites attention, seigneur, continua Sancho, que la justice et le roi ne font aucune violence à de semblables gens, et qu'ils n'ont que ce qu'ils méritent.

      En ce moment la bande passa si près de don Quichotte, qu'il pria les gardes, avec beaucoup de politesse, de vouloir bien lui apprendre pour quel sujet ces pauvres diables marchaient ainsi enchaînés.

      Ce sont des forçats qui vont servir sur les galères du roi, répondit un des cavaliers; je ne sais rien de plus, et je ne crois pas qu'il soit nécessaire que vous en sachiez davantage.

      Vous m'obligeriez beaucoup, reprit don Quichotte, en me laissant apprendre de chacun d'eux en particulier la cause de sa disgrâce.

      Il accompagna sa prière de tant de civilités, que l'autre cavalier lui dit: Nous avons bien ici les sentences de ces misérables, mais il serait trop long de les lire, et cela ne vaut pas la peine de défaire nos valises: questionnez-les vous-même, ils vous satisferont, s'ils en ont envie, car ces honnêtes gens ne se font pas plus prier pour raconter leurs prouesses que pour les faire.

      Avec cette permission, qu'il aurait prise de lui-même si on la lui avait refusée, don Quichotte s'approcha de la chaîne, et demanda à celui qui marchait en tête pour quel péché il allait de cette triste façon.

      C'est pour avoir été amoureux, répondit-il.

      Quoi! rien que pour cela? s'écria notre chevalier. Si on envoie les amoureux aux galères, il y a longtemps que je devrais ramer.

      Mes amours n'étaient pas de ceux que suppose Votre Grâce, reprit le forçat, j'aimais si fort une corbeille remplie de linge blanc, et je la tenais embrassée si étroitement que, sans la justice qui s'en mêla, elle serait encore entre mes bras. Pris sur le fait, on n'eut pas recours à la question: je fus condamné, après avoir eu les épaules chatouillées d'une centaine de coups de fouet; mais quand j'aurai, pendant trois ans, fauché le grand pré, j'en serai quitte.

      Qu'entendez-vous par faucher le grand pré? demanda don Quichotte.

      C'est ramer aux galères, répondit le forçat, qui était un jeune homme d'environ vingt-quatre ans, natif de Piedrahita.

      Don Quichotte fit la même question au suivant, qui ne répondit pas un seul mot, tant il était triste et mélancolique; son camarade lui en épargna la peine en disant:

      Celui-là est un serin de Canarie; il va aux galères pour avoir trop chanté.

      Comment! on envoie aussi les musiciens aux galères? dit don Quichotte.

      Oui, seigneur, répondit le forçat, parce qu'il n'y a rien de plus dangereux que de chanter dans le tourment.

      J'avais toujours entendu dire: Qui chante, son mal enchante, repartit notre chevalier.

      C'est tout au rebours ici, répliqua le forçat: qui chante une fois, pleure toute sa vie.

      Par ma foi, je n'y comprends rien, dit don Quichotte.

      Pour ces gens de bien, interrompit un des gardes, chanter dans le tourment, signifie confesser à la torture. On a donné la question à ce drôle; il a fait l'aveu de son crime, qui était d'avoir volé des bestiaux; et, pour avoir confessé, ou chanté, comme ils disent, il a été condamné à six ans de galères, outre deux cents coups de fouet qui lui ont été comptés sur-le-champ. Si vous le voyez triste et confus, c'est que ses camarades le bafouent et le maltraitent pour n'avoir pas eu le courage de souffrir et de nier: car, entre eux, ils prétendent qu'il n'y a pas plus de lettres dans un non

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