Les voyageurs du XIXe siècle. Jules Verne

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Les voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne

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      Les Anglais, qui firent un bien plus long séjour en ce pays que les Français, étaient par cela même plus aptes à réunir des matériaux autrement abondants et à faire un choix judicieux entre les informations qu'ils avaient recueillies.

      Deux ouvrages surtout firent longtemps autorité: ce sont d'abord les deux relations de James Morier; les loisirs que lui laissait sa position de secrétaire d'ambassade, il les mit à profit pour s'initier à tous les détails des mœurs des Persans, et, de retour en Angleterre, il publia plusieurs romans orientaux, auxquels la variété des tableaux, la fidélité minutieuse des peintures, la nouveauté du cadre, assurèrent un succès retentissant.

      C'est, en second lieu, le gros mémoire géographique in-4o, de John Macdonald-Kinneir, sur l'empire de Perse. Cet ouvrage, qui a fait date et qui laissait bien loin derrière lui tout ce qui avait été publié jusqu'alors, ne nous fournit pas seulement les informations les plus précises sur les bornes du pays, ses montagnes, ses rivières et son climat, comme son titre pourrait le faire croire, il renferme aussi sur le gouvernement, sur la constitution, les forces militaires, le commerce, les productions animales, végétales et minérales, sur la population et le revenu, les documents les plus exacts.

      Puis, après avoir décrit dans un vaste et lumineux tableau d'ensemble les forces matérielles et morales de l'empire de la Perse, Kinneir passe à la description des différentes provinces, sur lesquelles il avait entassé une masse de documents des plus intéressants, qui ont fait de son ouvrage, jusqu'à ces derniers temps, le travail le plus complet et le plus impartial qui ait été publié.

      C'est que, de 1808 à 1814, Kinneir avait parcouru en bien des directions différentes l'Asie Mineure, l'Arménie et le Kurdistan. Les diverses positions qu'il avait occupées, les missions dont il avait été chargé, l'avaient mis à même de bien voir et de comparer. Qu'il fût capitaine au service de la Compagnie, agent politique auprès du nabab de Carnatic, ou simple voyageur, l'esprit critique de Kinneir était toujours en éveil, et bien des événements, des révolutions, dont les causes auraient échappé à tant d'autres explorateurs, s'expliquaient, pour lui, par la connaissance qu'il avait acquise des mœurs, des usages et du caractère des Orientaux.

      A la même époque, un autre capitaine au service de la Compagnie des Indes, William Price, qui avait été attaché en 1810 comme interprète et secrétaire adjoint auprès de l'ambassade de sir Gore Ouseley, en Perse, avait dirigé ses études sur le déchiffrement des caractères cunéiformes. Bien d'autres s'y étaient déjà essayés, qui étaient arrivés aux résultats les plus bizarres et les plus fantastiques. Comme toutes celles de ses contemporains, les vues de Price furent hasardées et ses explications fort peu satisfaisantes; mais il eut le talent d'intéresser un certain public à la recherche de ce difficile problème, en même temps qu'il continuait la tradition de Niebuhr et des autres orientalistes.

      On lui doit le récit du voyage de l'ambassade anglaise à la cour de Perse, à la suite duquel il a publié deux mémoires sur les antiquités de Persépolis et de Babylone.

      A son tour, le frère de sir Gore Ouseley, William Ouseley, qui l'avait accompagné en qualité de secrétaire, avait profité de son séjour à la cour de Téhéran pour étudier la Perse. Seulement, ses travaux ne portèrent ni sur la géographie ni sur l'économie politique; il les restreignit aux inscriptions, aux médailles, aux manuscrits, à la littérature, en un mot à tout ce qui touchait à l'histoire intellectuelle ou matérielle du pays. C'est ainsi qu'on lui doit une édition de Firdousi et tant d'autres ouvrages, qui sont heureusement venus, à côté de ceux que nous venons de citer, pour compléter les connaissances déjà recueillies sur le pays des shahs.

      Mais il est une autre contrée, demi-asiatique, demi-européenne, que l'on commençait aussi de mieux connaître. Nous voulons parler de la région caucasique.

      Déjà, dans la dernière moitié du XVIIIe siècle, un médecin russe, Jean-Antoine Guldenstædt, avait visité Astrakan, Kislar sur le Térek à l'extrême frontière des possessions russes; il était entré en Géorgie, où le czar Héraclius l'avait accueilli avec distinction; il avait vu Tiflis et le pays des Truchmènes, et était parvenu en Iméritie. L'année suivante, 1773, il avait visité la grande Kabardie, la Kumanie orientale, exploré les ruines de Madjary, gagné Tscherkask, Azow, reconnu les bouches du Don, et il se promettait de terminer cette vaste exploration par l'étude de la Crimée lorsqu'il fut rappelé à Saint-Pétersbourg.

      Les voyages de Guldenstædt n'ont pas été traduits en français; publiés incomplètement par leur auteur, que la mort vint surprendre au milieu de leur rédaction, ils eurent pour éditeur, à Saint-Pétersbourg, un jeune Prussien, Henri-Jules de Klaproth, qui devait explorer les mêmes contrées.

      Né à Berlin le 11 octobre 1783, Klaproth montra dès l'âge le plus tendre des dispositions étonnantes pour l'étude des langues orientales. A quinze ans, il apprenait tout seul le chinois, et à peine avait-il terminé ses études aux universités de Halle et de Dresde, qu'il commençait la publication de son journal, le Magasin asiatique. Attiré en Russie par le comte Potocki, il fut aussitôt nommé membre-adjoint pour les langues orientales à l'Académie de Saint-Pétersbourg.

      Klaproth n'appartenait pas à cette race estimable de savants en chambre, qui se contentent de veiller sur des livres. Il comprenait la science d'une manière plus large. Pour lui, il n'y avait pas de manière plus certaine d'arriver à une connaissance parfaite des langues de l'Asie et des mœurs et des habitudes de l'Orient que d'aller les étudier sur place.

      Klaproth demanda donc l'autorisation d'accompagner l'ambassadeur Golowkin, qui se rendait en Chine par l'Asie. Dès qu'il eut obtenu la permission nécessaire, le savant voyageur partit seul pour la Sibérie, s'arrêtant tour à tour chez les Samoyèdes, les Tongouses, les Bashkirs, les Jakoutes, les Kirghises, et bien d'autres peuplades finnoises ou tartares, qui errent dans ces déserts immenses. Puis, il arriva à Jakoutsk, où il fut bientôt rejoint par l'ambassadeur Golowkin. Après une halte à Kiatka, celui-ci franchit la frontière chinoise, le 1er janvier 1806.

      

      Quinze Ossètes m'accompagnèrent. (Page 67.)

      Mais le vice-roi de Mongolie voulut soumettre l'ambassadeur à des cérémonies que celui-ci considérait comme humiliantes. Or, ni l'un ni l'autre ne voulant rien diminuer de leurs prétentions, l'ambassade dut reprendre le chemin de Saint-Pétersbourg. Klaproth, peu désireux de suivre la route qu'il avait déjà parcourue et préférant visiter des peuplades nouvelles pour lui, traversa le sud de la Sibérie et recueillit pendant ce long voyage de vingt mois une collection importante de livres chinois, mandchous, thibétains et mongols, qu'il utilisa dans son grand travail qui porte le nom d'Asia polyglotta.

      

      Il vit le Missouri se précipiter en une seule nappe. (Page 72.)

      Nommé, à sa rentrée à Saint-Pétersbourg, académicien extraordinaire, il fut, peu après, chargé, sur la proposition du comte Potocki, d'une mission historique, archéologique et géographique dans le Caucase. Klaproth passa une année entière en courses, souvent périlleuses, au milieu de populations pillardes, dans des contrées difficiles, et il visita les pays qu'avait parcourus Guldenstædt à la fin du siècle

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