P'tit-bonhomme. Jules Verne
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Enfin les trois coups retentirent.
Sib tressaillit comme s'il les eût reçus dans le dos.
Le rideau se leva.
La duchesse de Kendalle était seule en scène, monologuant au milieu d'un décor de chaumière. Tout à l'heure, la porte du fond s'ouvrirait, un enfant entrerait, s'avancerait vers elle en lui tendant la main, et cet enfant serait le sien.
Il faut noter qu'aux répétitions, P'tit-Bonhomme avait été très chagriné, lorsqu'il s'était vu réduit à l'obligation de demander l'aumône. On se rappelle sa fierté native, sa répugnance quand on voulait le contraindre à mendier au profit de la ragged-school. Miss Anna Waston lui avait bien dit que ce n'était point «pour de bon». N'importe, cela ne lui allait pas du tout... Dans sa naïveté, il prenait les choses au sérieux et finissait pas croire qu'il était véritablement l'infortuné petit Sib.
En attendant son entrée, et tandis que le régisseur lui tenait la main, il regardait à travers l'entrebâillement de la porte. Avec quel ébahissement ses yeux parcouraient cette vaste salle pleine de monde, inondée de lumière, les girandoles des avant-scènes, l'énorme lustre, comme un ballon de feu suspendu en l'air. C'était si différent de ce qu'il avait vu, lorsqu'il assistait aux représentations sur le devant d'une loge.
A ce moment le régisseur lui dit:
«Attention, Sib!
Dressé par E. Morieu.
Paris, Lith. Lemercier et Cie.
—Oui, monsieur.
—Tu sais... va droit devant toi jusqu'à ta maman, et prends garde de tomber!
—Oui, monsieur.
—Et tends bien la main...
—Oui, monsieur... comme ça?»
Et c'était une main fermée qu'il montrait.
«Non, nigaud!... C'est un poing, cela!... Tends donc une main ouverte, puisque tu demandes l'aumône.
—Oui, monsieur.
—Et surtout ne prononce pas un mot... pas un seul!
—Oui, monsieur.»
La porte de la chaumière s'ouvrit, et le régisseur le poussa juste à la réplique.
P'tit-Bonhomme venait de faire son début dans la carrière dramatique. Ah! que le cœur lui battait fort!
Un murmure arriva de tous les coins de la salle, un touchant murmure de sympathie, tandis que Sib, la main tremblante, les yeux baissés, le pas incertain, s'avançait vers la dame en deuil. Comme on voyait bien qu'il avait l'habitude des haillons et qu'il n'était point gêné sous ses loques!
On lui fit un succès,—ce qui le troubla davantage.
Soudain, la duchesse se lève, elle regarde, elle se rejette en arrière, puis elle ouvre ses bras...
Quel cri lui échappe,—un de ces cris conformes aux traditions, qui déchirent la poitrine!
«C'est lui!... C'est lui!... Je le reconnais!... C'est Sib... c'est mon enfant!»
Et elle l'attire à elle, elle le serre contre son cœur, elle le couvre de baisers, et il se laisse faire... Elle pleure,—de vraies larmes, cette fois,—et s'écrie:
«Mon enfant... c'est mon enfant, ce petit malheureux... qui me demande l'aumône!»
Cela l'émeut, le pauvre Sib, et bien qu'on lui ait recommandé de ne pas parler:
—Votre enfant... madame? dit-il.
—Tais-toi!» murmure tout bas miss Anna Waston.
Puis elle continue:
«Le ciel me l'avait pris pour me punir, et il me le ramène aujourd'hui...»
Et, entre ces phrases hachées par des sanglots, elle dévore Sib de baisers, elle l'inonde de larmes. Jamais, non jamais, P'tit-Bonhomme n'a été si caressé, si pressé sur un cœur palpitant! Jamais il ne s'est senti si maternellement aimé!
La duchesse s'est levée comme si elle surprenait quelque bruit au dehors.
«Sib... s'écrie-t-elle, tu ne me quitteras plus!...
—Non, madame Anna!
—Mais tais-toi donc!» répète-t-elle au risque d'être entendue de la salle.
La porte de la chaumière s'est ouverte brusquement. Deux hommes ont paru sur le seuil.
L'un est le mari, l'autre le magistrat qui l'accompagne pour l'enquête.
«Saisissez cet enfant... Il m'appartient!...
—Non! ce n'est pas votre fils! répond la duchesse, en entraînant Sib.
—Vous n'êtes pas mon papa!...» s'écrie P'tit-Bonhomme.
Les doigts de miss Anna Waston lui ont pressé si vivement le bras qu'il n'a pu retenir un cri. Après tout, ce cri est dans la situation, il ne la compromet pas. Maintenant, c'est une mère qui le tient contre elle... On ne le lui arrachera pas... La lionne défend son lionceau...
Et, de fait, le lionceau récalcitrant, qui prend la scène au sérieux, saura bien résister. Le duc est parvenu à s'emparer de lui... Il s'échappe, et courant vers la duchesse:
«Ah! madame Anna, s'écrie-t-il, pourquoi m'avez-vous dit que vous n'étiez pas maman...
—Te tairas-tu, petit malheureux!... Veux-tu te taire! murmure-t-elle, tandis que le duc et le magistrat restent déconcertés devant ces répliques non prévues.
—Si... si... répond Sib, vous êtes maman... Je vous l'avais bien dit, madame Anna... ma vraie maman!»
La salle commence à comprendre que cela «ce n'est pas dans la pièce». On chuchote, on plaisante. Quelques spectateurs applaudissent par raillerie. En vérité, ils auraient dû pleurer, car c'était attendrissant, ce pauvre enfant qui croyait avoir retrouvé sa mère dans la duchesse de Kendalle!
Mais la situation n'en était pas moins compromise. Que, pour une raison ou pour une autre, le rire éclate là où les larmes devraient couler, et c'en est fait d'une scène.
Miss Anna Waston sentit tout le ridicule de cette situation. Des paroles ironiques, lancées par ses excellentes camarades, lui arrivent de la coulisse.
Éperdue, énervée, elle fut prise d'un mouvement de rage... Ce petit