Chacune son Rêve. Daniel Lesueur

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Chacune son Rêve - Daniel Lesueur

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notre excessive fatigue. Nous n'avions rien pris que du café très fort, bien qu'une religieuse (une véritable, cette fois, ou celle de la voiture?... je n'y fis pas attention) fût venue à deux reprises nous apporter un plateau chargé d'aliments.

       Enfin, nous entendîmes crier, respirer, ce bébé, que j'accueillis dans le monde avec une pitié infinie.

       C'était donc moi qui lui offrais le premier sourire de tendresse!... Moi, si éloignée de son destin, amenée de force en cette chambre où il naissait,—moi qui ne savais rien de lui, sinon qu'il entrait dans la vie sous de bien lugubres auspices.

      Sa mère n'avait pas conscience qu'il fût là. Les yeux clos, peut-être pour toujours, elle ignorait l'orgueil et la joie de posséder un fils. L'appellerait-elle jamais de ce nom?... Si la mort ne l'en privait pas,—comme cela paraissait probable (la malheureuse n'avait plus que le souffle!...)—quelque fatalité terrible lui arracherait ce trésor.

       Quel dommage! Il était si beau, ce nouveau-né! Robuste, solide, bien constitué, le petit gaillard ne demandait qu'à vivre. Un peu noir de suffocation à la première minute, il eut vite fait de mettre en jeu ses poumons—ce qui nous valut quelques bons cris bien perçants, et ce qui éclaircit aussitôt son mignon visage.

       Je mis un baiser sur ce petit front.

       —«Pauvre enfant!» murmurai-je. «Au moins quelqu'un t'aura souhaité la bienvenue. Et tu n'auras pas tout à fait été dépourvu de caresses à ton premier jour.

       —Ainsi, c'est un garçon,» dit une voix d'homme.

       Je tressaillis de saisissement.

      Depuis que l'infirmière, après avoir lavé l'enfant, me l'avait mis dans les bras pour s'occuper de la mère, je m'étais assise, accablée. La réaction s'opérait en moi, après tant d'émotions et d'efforts. Peut-être une demi-torpeur m'engourdissait-elle. Certainement, quelque chose m'avait échappé. Je ne saurais affirmer maintenant rien de net sur l'entrée de cet homme. Ma compagne lui avait-elle envoyé un message, un signal? S'était-elle absentée pour le prévenir? Les cris de l'enfant l'avaient-ils attiré? Comment n'avais-je pas entendu, ni vu, qu'une porte s'ouvrait? Autant de questions insolubles, et, d'ailleurs, sans intérêt.

       Mais quel sursaut lorsque cette voix mâle me frappa! Je levai les yeux.

       Un personnage de très haute taille, de forte carrure, s'approchait, se penchait curieusement. Son désir de voir était si manifeste, que, d'un geste machinal, je soulevai vers lui le nouveau-né. Du moins, mes mains firent ce geste. Ma pensée n'y prit point part. Elle se tendait toute, et mes yeux aussi, dans une application intense, pour observer l'homme et pour garder de lui quelque trait.

       Un masque lui couvrait le visage, emprunté sans doute à un accoutrement d'automobiliste. Les yeux disparaissaient derrière le miroitement des verres, et une espèce de bavolet tombait plus bas que le menton. Je ne puis donc signaler que sa taille presque colossale. Sa tenue était quelconque. Un costume de sortie, non pas un négligé d'intérieur. Il parlait le français avec pureté, sans accent. J'étudiai ses mains,—soignées, sans physionomie caractéristique, et dépourvues de bagues.

       —«Vous êtes le père?» demandai-je.

       Sans avoir eu l'air d'entendre la question, il me parla:

       —«Grâce à vous,» dit-il, «cette femme et cet enfant sont sauvés...

       —L'enfant,» soulignai-je.

       —«L'enfant seulement?» questionna-t-il avec un accent d'inquiétude.

      —«Je le crains. On a commis un vrai crime en employant le chloroforme comme on l'a fait. Cette pauvre jeune femme...»

       Il se détourna, fit un pas vers le lit, puis engagea un colloque avec l'infirmière, dans la langue de celle-ci. Au bout d'un moment, il revint à moi, et, sans plus me parler de l'accouchée, il reprit:

       —«On va vous reconduire, mademoiselle, avec les mêmes précautions qu'on a prises pour vous amener. Je m'excuse de ce qu'elles ont de désagréable pour vous, mais... impossible autrement.

       —Je ne veux pas qu'on me touche!» m'écriai-je avec véhémence. «Je me banderai les yeux. Qu'on s'en assure! Mais, au nom du ciel, si vous êtes le maître ici, empêchez que des valets offensent une femme si indignement.»

       Pendant que je débitais ceci d'une haleine, l'homme, sans s'émouvoir, sortit un portefeuille de sa jaquette, l'ouvrit, en tira une liasse de billets de banque:

       —«Mademoiselle... permettez-moi... Ce n'est qu'une juste rémunération...

       —Non, monsieur.

       —Cependant...

       —Non, monsieur.

       —Mais... des honoraires...

       —Ce ne sont pas des honoraires. C'est le prix d'une complicité. Je ne sais laquelle. L'ignorant... je n'accepte pas.

       —Vous avez donné vos soins à Madame.

      —Comme je les lui aurais donnés au bord d'une route, dans une salle d'hôpital... Non, monsieur, gardez votre argent... Comme vous gardez votre masque.»

       Il se mit à rire... Un rire qui me fit un peu peur.

       Du lit vint un long soupir. Puis des mots balbutiés... des mots d'hallucination sans doute... Je ne les saisis pas.

       —«Prenez garde,» repris-je. «Le moindre bruit l'agite. Et si la fièvre s'en mêle...»

       Il baissa la voix.

       —«Il faut pourtant que vous m'écoutiez, mademoiselle. Je ne puis vous parler ailleurs. Vous ne sortirez d'ici que comme vous y êtes entrée.

       —Qu'avez-vous à me dire?

       —Ceci: je suis le maître de mon secret, et je n'entends pas qu'on s'en mêle. Une indiscrétion vous coûterait cher.

       —Je suis mieux tenue que par vos menaces, monsieur. Par mon honneur professionnel.

       —Si vous aimez quelqu'un au monde, ne lui parlez jamais de ce que vous avez vu ici.

       —Je n'ai rien vu... qu'un enfantement pénible, et singulièrement compromis par une application intempestive de chloroforme.

       —Silence!...»

       Je me tus. Lui aussi.

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