Chacune son Rêve. Daniel Lesueur

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Chacune son Rêve - Daniel Lesueur страница 8

Автор:
Серия:
Издательство:
Chacune son Rêve - Daniel Lesueur

Скачать книгу

de Francine, et qui, malgré tout l'effort de sa volonté, glisserait, caressante... caressée... entre les bras... Ah! cela... c'était fini. Jamais plus!... jamais plus!... Raymond en purifiait sa pensée... Ce prince abominable... elle ne lui avait pas appartenu... «Pardon, Francine, pardon!»

      Le haïssait-il moins?

      Non. Sa haine évoluait, ne diminuait pas. A cette image, une autre se substituait,—d'horreur moindre—mais tout aussi détestable d'audace, de cruauté. L'homme, au pied du lit de l'accouchée, cet homme de haute taille, despote arrogant,—c'était bien lui! Combien reconnaissable sous le masque! Raymond le voyait, dans la chambre inconnue, la chambre saccagée par son ordre, avec une victime agonisante, tandis qu'il offrait de l'argent à son autre victime, à celle dont il avait dévasté la vie, en attendant que, plus tard, il la fasse assassiner, à la douce Francine—qui se révoltait devant l'odieux salaire,—pauvre enfant!

      «Il expiera... Le châtiment l'atteindra. Et maintenant,» pensait Delchaume, «je le tiens suspendu sur sa tête, ce châtiment. Ce que je connais de la dernière nuit de ma malheureuse femme, joint à ces révélations écrites... l'enlèvement de l'enfant... que de preuves! A peine, à cette chaîne si bien reconstituée, manque-t-il quelques chaînons... Le témoignage de Tatiane Kachintzeff... un jet de lumière!...»

      Tatiane... A ce nom le jeune homme tressaillit douloureusement. Pauvre fille! en prison, au secret, compromise dans l'affaire des explosifs, inculpée de complicité dans le complot contre la vie d'Omiroff, précisément... Pourrait-il la faire citer? La croirait-on? N'aggraverait-il pas sa situation, à elle, sans profit pour l'œuvre de justice qu'il entreprenait? Tatiane... Il s'attarda au souvenir de l'étudiante. Il reconstitua mot à mot ce qu'elle lui avait appris. Avec quelles réticences, quel trouble effrayé, elle insinuait ce dont Boris était capable! On eût dit qu'elle gardait des secrets terrifiants... Savait-elle quelque chose de cette naissance mystérieuse?... Dévoilerait-elle la personnalité de la mère?... Avait-elle été mêlée?... Cette jeune femme près du lit, si c'était elle...

      Le raisonnement intervint, chez Raymond, pour retenir l'imagination emportée. Ses conjectures faisaient fausse route. Non, Tatiane ignorait tout de ce drame-là. Autrement, elle n'aurait pas pris le change. Elle n'aurait pas cru, elle aussi, que Francine Delchaume était la maîtresse du prince, et la mère...

      Dans cette folie, dans ce désordre, dans cette fièvre, Delchaume s'avisa qu'il atteignait Paris. L'arrêt de l'auto, à la grille, devant l'octroi, interrompit sa méditation effrénée, lui rendit le sens du réel.

      «Ah!» pensa-t-il, se rappelant soudain pourquoi il revenait ainsi à toute vitesse, «je vais voir dans quelques heures le chef de la Sûreté. Tout... je lui dirai tout. Puisque ce misérable Omiroff m'a refusé la satisfaction d'un duel, je le livrerai à la justice comme le malfaiteur qu'il est...»

      Était-ce aussi simple?... La secousse d'un revirement fit osciller sa résolution:

      «Mais alors?... Il faudra reconnaître que l'enfant est à lui... qu'il avait le droit de me l'enlever... Cet enfant que ma Francine a sauvé, que j'ai fait mien... Mon petit François... Petit François!...»

      —«A quelle adresse faut-il vous conduire, monsieur?» demanda le chauffeur.

      Raymond hésita une seconde. A dix heures seulement, il avait rendez-vous avec le chef de la Sûreté. Il n'en était guère plus de six et demie. L'intention de tout à l'heure, en quittant Claire-Source, persistait au fond de lui: se rendre avant tout chez Flaviana. Comme ce serait doux d'apporter son cœur brûlant, tourmenté, à cette amie délicieuse!... Il crut la voir, l'entendre... Noble créature... En ce moment, elle s'apprêtait à partir pour le National-Lyrique. Paradoxe... une telle femme, étoile de la danse... Et cependant, non. Son art, la poésie qu'elle y mettait, c'était encore si bien elle!

      «Je ne puis pas lui dire toute la vérité. Même si j'étais déterminé à la mettre au courant, le temps me manquerait. Que sait-elle? Si peu de chose, puisqu'elle me croit le père de François. Elle adore cet enfant... Ce serait mal à moi de lui apporter brièvement, brutalement, à l'heure où elle doit monter en scène, la nouvelle de sa disparition... Quel chagrin elle en éprouvera!...»

      Ces réflexions, rapides, s'ébauchèrent dans la pensée tumultueuse de Delchaume, tandis que le chauffeur attendait son ordre. Le jeune docteur prononça presque tout haut:

      —«D'ailleurs, j'ai mieux à faire...»

      Puis, devant la mine interloquée de son conducteur, que lui révélait la lumière d'un bec de gaz, il jeta sa propre adresse:

      —«Rue du Général-Foy.»

      Rentré chez lui, Delchaume, après un coup d'œil sur la liste des clients venus à sa consultation, et qu'avait reçus son remplaçant, refusa de dîner, s'enferma dans son cabinet de travail.

      C'était l'ancien cabinet de Francine.

      En ce ménage de deux docteurs, avant que la mort ne l'eût brisé, la jeune femme gardait, pour la réception de sa clientèle—surtout féminine,—la pièce la plus élégante, la mieux exposée. Au lendemain de son veuvage, le mari au désespoir—amant plus que mari, et en deuil d'un bonheur si court!—ne voulut pas dépayser sa douleur, ses souvenirs. Il garda l'appartement de la rue du Général-Foy,—le cher appartement installé avec tant de soins, tant de goût, témoin de tant de joie, de tant d'espoirs! Et il prit, comme sanctuaire de son labeur, le cabinet de Francine, où il sentait flotter plus constamment, plus près de lui, l'âme vaillante et tendre de l'adorable compagne perdue.

      Ce soir, lorsqu'il y rentra, il plaça sur son bureau, dans la clarté de la lampe électrique, le livre qu'il rapportait de Claire-Source. Avant de le rouvrir, pour y trouver la suite des confidences tragiques, interrompues par la tombée de la nuit, il contempla encore l'extérieur de l'humble volume. Sur la couverture, à teinte jadis vive, aujourd'hui fanée, aux dorures éteintes, il relut le titre:

      LA GUIRLANDE DES MARGUERITES

      Il lui sembla entendre la pauvre voix mourante balbutier ces mots étranges:

      «Mon secret... dans la guirlande des marguerites, à Claire-Source.»

      Qui donc ne s'y serait trompé comme lui? Dire qu'il avait fouillé la corbeille des fleurs vivantes, alors que ces tristes fleurs mortes se fermaient sur le frémissant mystère, parmi les autres livres, dans la petite bibliothèque, au fond de l'ancienne chambre de jeune fille, où flottait un si nostalgique parfum!...

      La reliure soulevée montrait, collé à la feuille de garde, un bulletin à vignette, mentionnant le prix d'excellence accordé à l'élève Francine. Ensuite commençaient les biographies, illustrées par les traditionnels portraits, des Marguerites,—reines, princesses ou artistes,—célèbres dans l'histoire. Mais des feuillets avaient été coupés et remplacés par une sorte de cahier d'une épaisseur équivalente,—le manuscrit.

      Raymond passa rapidement sur ce qu'il avait lu,—dévoré plutôt,—deviné presque, sous la nuit envahissante qui lui disputait les mots. Le récit s'arrêtait d'ailleurs peu après le passage où il avait dû fermer le livre, et à la suite duquel il avait bondi hors de l'auto, pour être seul, pour tomber à genoux, pour exhaler son transport dans la solitude. La fin de ce récit narrait, en quelques mots, une coïncidence qui détermina, facilita, la résolution prise par Francine de faire elle-même élever l'enfant. Une pauvre brave femme du village de Champagne,—pays de Claire-Source,—la garde-barrière, venait de perdre un bébé de quelques jours, qu'elle commençait d'allaiter.

Скачать книгу