Chacune son Rêve. Daniel Lesueur

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Chacune son Rêve - Daniel Lesueur страница 7

Автор:
Серия:
Издательство:
Chacune son Rêve - Daniel Lesueur

Скачать книгу

maison, des blocs de pierre, matériaux de construction, dont la disposition s'évoqua devant ces formes identiques. Mais n'était-ce pas près d'un terrain déjà enclos d'une grille?

       Je me retournai. Voici la pâleur régulière du mur... les raies noires des barreaux... Alors je me trouvais à deux pas de Claire-Source!

       Avant de me lever, je tâtai de la main près de moi, car j'avais cru me rendre compte qu'on y déposait ma trousse. Mes doigts en palpèrent le cuir... Puis... qu'était-ce? Un paquet assez gros, plus moelleux. Une petite plainte faible, sourde... Mon oreille se tendit. Mes mains tremblantes s'avancèrent... Étrange émotion... Je ne respirai plus... Si l'enfant n'avait pas été là, j'eusse éprouvé une déception atroce.

       Mais il y était. Je serrai contre mon cœur cette vague chose emmaillotée, ce petit être, plus seul au monde que je n'étais seule dans la grande nuit, dans le grand silence, formidable, solennel.

       Un souffle passa sur nous. Les branches nues des bois craquèrent...

      Comment dire l'exaltation, la mélancolie d'une telle minute?... Une révélation terrible des profondeurs perverses de la vie venait de bouleverser ma jeunesse. Mon corps brisé de fatigue n'était pas moins endolori que mon âme. La nuit de novembre, sinistre, sans lune, que j'affrontais seule pour la première fois, me sembla pleine d'épouvante. Ivre de tristesse, j'appuyai davantage sur mon cœur l'enfant... l'enfant rejeté, inconnu. Le regard de sa mère, le seul regard lucide de cette infortunée, le seul regard qu'elle poserait jamais sur son fils, me perça de nouveau. Mes sanglots éclatèrent. Je crois encore les entendre s'élever, sans écho, dans la dure nuit.

       —«Petit enfant... petit enfant...» murmurai-je. «Je t'aimerai, moi!... Je t'aimerai. Ils me tueront s'ils veulent... Je ne t'abandonnerai pas.»

       VERS LA MORT

       Table des matières

      C'est en terminant cette première partie des confidences de Francine, que Raymond Delchaume fit arrêter l'auto en pleine forêt de l'Isle-Adam. Le décor s'harmonisait avec la poignante lecture. Le soir d'octobre enténébrait les espaces peuplés d'arbres. Déjà, sous les futaies, le crépuscule devenait de la nuit. Au-dessus de la large route, un peu de clarté pleuvait encore du ciel gris perle. A cette clarté défaillante, Raymond, dans la voiture découverte, s'était arraché les yeux pour lire, pour lire encore...

      Maintenant, il savait.

      Qu'importait le reste? Il le connaissait, le dénouement effroyable. Il avait reçu dans ses bras sa femme, sa toute jeune femme,—trois ans, mon Dieu!... après cette sinistre aventure,—lorsqu'elle rentra au nid de leur amour, éperdue, ensanglantée, mourante... Oh! l'agonie presque muette... Les lèvres qui n'osaient parler,—dans la crainte (il le comprenait maintenant) de l'exposer au même sort. Et les yeux... ces pauvres yeux, avec leur prière désespérée. Quelle torture, le mystère de cette fin atroce! Enfin le voici donc dévoilé!...

      Ce qui montait du cœur de Raymond, ce qu'il devait à cette morte innocente, à cette martyre, c'était le cri de délivrance, de justification. Sa poitrine en éclatait. Comment ne l'eût-il pas jeté à l'univers, ce cri, à la Nature, à la forêt recueillie, aux premières étoiles... Voilà pourquoi il sauta sur le chemin, renvoyant la voiture, lui faisant prendre de l'avance, haletant du désir d'être seul. Et voilà pourquoi, lorsque se fut éteint le roulement de la machine, lorsque la lueur des phares se fut dissoute dans les ténèbres, le jeune homme tomba sur les genoux, et cria, fou d'une joie plus déchirante que la douleur:

      —«Francine!... ma Francine, à moi... toute à moi... Ce n'est pas ton enfant!... ce n'est pas ton enfant!... ce n'est pas ton enfant!...»

      «Ah!» soupirait-il ensuite,—balbutiant, parlant à mots décousus, à voix haute, comme un insensé, tandis qu'il marchait sur la route pâle, entre les profondeurs baignées de ténèbres,—«ah! ma Francine... ah! bien-aimée... du moins je n'ai pas douté de toi, de la beauté de ton âme... Tu sais... tu sais... j'ai été jusqu'à l'aimer, cet enfant... je l'ai fait mien... Et pourtant l'idée que tu t'étais donnée à un autre!... l'idée surtout... oui... cela, c'était pire... me rongeait... l'idée que tu ne m'avais pas avoué ton erreur, ou ton malheur... que tu t'étais défiée de mon amour... Francine... où que tu sois, dans l'abîme de la mort, dans l'abîme des choses éternelles... il est impossible que tu ne saches pas... que tu ne le sentes pas, cet amour, qui, de toi, acceptait tout, même ce qui l'eût tué s'il n'avait été plus fort que la jalousie, plus fort que l'orgueil... Eh bien, oui... je suis heureux, je suis heureux d'avoir traversé cette épreuve... de connaître seulement après des mois de souffrance la vérité qui te justifie. Cette vérité... elle ne me rend pas ta mémoire plus sacrée, plus chère... Et cependant... si... oh! si... douce adorée!... Et elle me délivre!... Elle me délivre!... Elle me délivre!...»

      Ainsi pensait, parlait le jeune docteur, dans l'égarement, le désordre, d'une révélation qui bouleversait tout en lui.

      Raymond parcourut sans s'en apercevoir les trois kilomètres de route avant la sortie de la forêt. Dans la même inconscience, il passait à côté de l'automobile qu'il avait louée pour le ramener à Paris. Mais le chauffeur guettait ce fantaisiste client.

      —«Monsieur!... monsieur!... me voilà! Je suis là.

      —Hein?... Qu'est-ce...? Que me voulez-vous?... Ah! c'est vrai...»

      Et, sautant dans la voiture:

      —«Eh bien, allez... marchons.»

      La course rapide, dans l'air vif, le restituait à son rêve. Toutefois, une ordonnance, une logique, des déductions s'esquissèrent dans ce net esprit.

      Et, d'abord, quelle attitude devait-il adopter? Quelles résolutions prendre?

      Le message posthume de Francine,—découvert le matin même, par un si prodigieux hasard, entre les feuillets de l'ancien livre de prix, dans la petite maison de Claire-Source, lui parvenait dans un moment critique.

      Eh quoi!... ce manuscrit mille fois précieux, il était en partie la cause d'une nouvelle fatalité. N'était-ce pas l'affolement de l'avoir trouvé,—enfin!—qui, distrayant Raymond de sa vigilance, avait permis le rapt de l'enfant? L'enfant... Toute l'attention ardente de Delchaume se concentra soudain sur lui. Que serait-il désormais, ce petit François?—le petit Serge de nounou Favier—Serge... naturellement... Le dernier mot... presque le seul mot, de sa mère. La raison apparaissait pour laquelle Francine, sa marraine, l'avait baptisé ainsi.

      Mais il n'était plus question de Serge, né de père et mère inconnus. Raymond, dans son incomparable amour, dans son immense pitié pour la morte, avait fait sien cet enfant qu'il supposait celui de Francine. Reconnu par lui, François Delchaume était légalement son fils. Et on le lui avait pris! Qui? Nul doute. L'auteur de l'enlèvement ne s'en cachait pas. Cette carte de visite, la carte du prince Boris Omiroff, signait le crime.

      Boris Omiroff...

      Comme, tout à l'heure, l'image de l'enfant, voilà celle de l'insultant ennemi qui s'évoquait... Raymond fixa mentalement sa vision étonnée sur ce visage. Quel changement encore! La perspective se transformait. Tout se déplaçait: les êtres, les sentiments, les rapports. Cette physionomie

Скачать книгу