Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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chasseur où se mêlent les notes basses et aiguës, et l’on vit surgir, de derrière l’angle de la maison, Danilo le veneur, le visage ridé, et les cheveux gris coupés à la mode des Petits-Russiens. Il tenait à la main un long fouet; ses traits exprimaient la plus parfaite indépendance et ce profond dédain pour toutes choses, qu’on ne rencontre en général que chez les chasseurs. Il ôta son bonnet tcherkesse devant son maître, en conservant la même expression dédaigneuse, qui du reste n’avait rien de blessant. Nicolas savait bien que ce grand gaillard, avec son extérieur hautain, était son homme, son chasseur à lui.

      «Eh! Danilo!» s’écria-t-il, dominé par la passion irrésistible de la chasse, par cette journée faite à plaisir, par la vue de ses chiens et de son chasseur, et sans plus songer à ses résolutions précédentes, comme l’amoureux à genoux devant l’objet aimé.

      «Qu’ordonnez-vous, Excellence?» répondit une voix de basse, une vraie voix de diacre, enrouée à force d’exciter les chiens, et deux yeux noirs et brillants se fixèrent sur le maître, redevenu silencieux: «Y résistera-t-il?» semblait dire ce regard.

      «Bonne journée, hein! Pour chasser à courre, dit Nicolas en caressant les oreilles de Milka.

      — Ouvarka est allé écouter à la pointe du jour, reprit la voix de basse après une pause; il dit qu’elle a passé dans le bois réservé d’Otradnoë, ils y ont hurlé.»

      Cela voulait dire qu’une louve, dont il avait suivi les voies, y était rentrée avec ses louveteaux; ce bois, détaché du reste du domaine, était situé à deux verstes.

      «Il faut y aller! Qu’en dis-tu? Amène-moi Ouvarka!

      — Comme il vous plaira.

      — Attends un peu, ne leur donne pas à manger.

      — Entendu!»

      Cinq minutes plus tard, Danilo et Ouvarka entraient dans le cabinet de Nicolas. Danilo était de taille moyenne, et pourtant, chose étrange, il produisait dans une chambre le même effet qu’aurait produit un cheval ou un ours au milieu des objets et des conditions de la vie domestique; il le sentait d’instinct, et, se serrant contre la porte, il s’efforçait de parler bas, de rester immobile, dans la crainte de briser quelque chose, et se hâtait de vider son sac, pour retourner au grand air et échanger le plafond qui l’oppressait contre la voûte du ciel.

      Après avoir terminé son interrogatoire et s’être bien fait répéter que la meute ne s’en trouverait que mieux (Danilo lui-même se mourait d’envie de chasser), Nicolas donna l’ordre de seller les chevaux. Au moment où le veneur quittait son cabinet, Natacha y entra vivement: elle n’était ni coiffée ni habillée, mais enveloppée seulement du grand châle de la vieille bonne.

      «Tu pars? Je le disais bien! Sonia assurait le contraire. Je m’en doutais, car il faut profiter d’une journée pareille!

      — Oui, répondit à contre-cœur Nicolas, qui avait en vue une chasse sérieuse et n’aurait voulu par suite emmener ni Pétia ni Natacha. Nous quêtons le loup, ça t’ennuiera.

      — Au contraire, et tu le sais bien: c’est très mal à toi, tu fais seller les chevaux, et tu ne nous dis rien!

      — Les Russes ne connaissent pas d’obstacles… en avant! Hurla Pétia, qui avait suivi sa sœur.

      — Mais tu sais bien aussi que maman ne te le permet pas!

      — J’irai, j’irai quand même, reprit Natacha d’un ton décidé.

      — Danilo, fais seller mon cheval, et dis à Mikaïlo d’amener ma laisse de lévriers.»

      Danilo, déjà mal à l’aise et gêné de se trouver dans une maison, fut encore plus décontenancé de recevoir des ordres de la demoiselle, et il essaya, en baissant les yeux, de se retirer comme s’il n’avait rien entendu, tout en prenant grand soin de ne pas coudoyer en passant sa jeune maîtresse et de ne pas lui faire de mal par quelque brusque mouvement.

      IV

      Le vieux comte, dont la chasse avait toujours été tenue sur un grand pied, ne s’en occupait plus depuis qu’il l’avait remise entre les mains de son fils; mais ce jour-là, 18 septembre, se sentant de bonne humeur, il se décida à y prendre part.

      L’équipage de chasse et les chasseurs se trouvèrent bientôt réunis devant le perron. Nicolas, l’air soucieux et préoccupé, passa devant Pétia et Natacha, sans faire attention à ce qu’ils lui disaient… Pouvait-on, en cet instant solennel, penser à des futilités? Il examina tout en détail, envoya en avant les chasseurs et la meute, enfourcha son alezan Donetz, et, sifflant à lui sa laisse de chiens, il franchit l’enclos, pour se diriger à travers champs vers le bois d’Otradnoë. Un domestique d’écurie menait par la bride une jument bai brun, à crinière blanche, appelée Viflianka: c’était la monture du vieux comte, qui devait se rendre en droschki au rendez-vous indiqué.

      Cinquante-quatre chiens courants, quarante lévriers et plusieurs chiens en laisse, accompagnés de six veneurs et d’un grand nombre de valets de chiens, formaient un total de cent trente chiens et de vingt chasseurs à cheval. Chaque chien connaissait son maître et répondait à son nom; chaque chasseur savait d’avance ce qu’il avait à faire et l’endroit où il devait se poster.

      Dès que les cavaliers eurent dépassé l’enceinte, ils débouchèrent en silence sur la grande route et s’engagèrent sur les prairies, dont leurs chevaux foulaient sans bruit le tapis moelleux et faisaient jaillir sous leurs sabots l’eau des flaques des sentiers de traverse. Le ciel brumeux s’abaissait toujours imperceptiblement; dans l’air calme et pur retentissaient parfois le sifflet d’un chasseur, le hennissement d’un cheval, le claquement d’un long fouet et le cri plaintif d’un chien flâneur qu’un valet rappelait à son devoir.

      À une verste de distance, cinq autres chasseurs, à cheval, émergèrent tout à coup du brouillard avec leurs chiens et se joignirent aux premiers: ils avaient à leur tête un beau vieillard, de belle prestance, portant une longue et épaisse moustache grise.

      «Bonjour, petit oncle, lui dit Nicolas.

      — Affaire sûre!… en avant, marche! Je le savais bien, répondit le nouveau venu, petit propriétaire voisin des Rostow et quelque peu leur parent; je disais bien que tu n’y tiendrais pas, et tu as eu raison, morbleu! Affaire sûre!… en avant, marche! Dit-il en répétant son expression favorite. Empare-toi du bois sans retard, car mon Guirtchik m’a annoncé que les Ilaguine sont en chasse du côté de Korniki, et alors il se pourrait bien faire qu’ils t’enlevassent toute la portée sous le nez… Affaire sûre! En avant, marche!

      — J’y vais tout droit; faut-il assembler les meutes?» lui demanda Nicolas.

      L’ordre en fut donné, et les deux cavaliers s’avancèrent côte à côte. Natacha, enveloppée dans son châle, qui laissait à peine entrevoir ses yeux brillants et sa figure animée, les rejoignit bientôt, suivie de Pétia, de Mikaïlo, le chasseur, et d’un valet d’écurie qui remplissait auprès d’elle les fonctions de garde du corps. Pétia riait sans rime ni raison et agaçait sa monture par de légers coups de cravache. Natacha, gracieuse et ferme en selle, modérait d’une main assurée l’ardeur de son arabe, à la robe noire et lustrée.

      Le «petit oncle» lança de côté un regard mécontent sur la jeunesse, car

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