En dialogue avec le monde. Andrea Franc

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style="font-size:15px;">      et de préférer toujours la mort à l’esclavage.

      Ce que Schiller, imprégné de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, décrit dans son drame comme une lutte des Confédérés contre le joug des Habsbourg reflète, en fait, un développement plutôt lent et pacifique des institutions, par rapport aux habitudes de l’époque. Du XIIIe au XIXe siècle, les villes et cantons fédéraux élaborent une grande variété de formes d’autonomie. Dans les cantons primitifs notamment, des corporations exploitent en commun les forêts, pâturages, eaux ou chemins, d’où le terme allmend pour les terres communales appartenant à tous. De ces corporations se forment des communes politiques autonomes dont les familles établies de longue date détiennent les droits de jouissance. Les nouveaux habitants, contrairement à ceux déjà sur place, ne jouissent souvent d’aucuns droits. Il faut attendre la fondation de l’État fédéral en 1848 pour que tous les habitants de Suisse acquièrent après plusieurs tentatives infructueuses la nationalité et des droits de cité. Cependant, de nombreuses communes suisses comptent encore aujourd’hui des corporations bourgeoises propriétaires de vastes forêts ou de champs inspectés les jours dits de ban. Certaines d’entre elles gèrent des structures sociales telles que maisons de repos et foyers pour personnes âgées. Par cette tradition corporative en Suisse, la commune politique, plus petite entité autonome, est en même temps responsable non seulement du territoire et de l’infrastructure, mais aussi de ses habitants et donc de l’action sociale.

      Il faudra attendre le XXe siècle pour que des penseurs libéraux identifient cette autogestion au niveau des plus petites entités territoriales comme un aspect central supplémentaire des «bonnes» institutions suisses. Les économistes parlent alors de fédéralisme, de décentralisation ou encore de « small is beautiful ». Au lieu de lutter contre le joug imposé par une autorité, les institutions créées dans les cantons suisses maintiennent le pouvoir de décision au niveau le plus bas. Après la guerre, Gerhard Winterberger, directeur de l’USCI, évoque volontiers l’autonomie communale comme le parfait exemple du système étatique suisse : tant qu’une petite commune est maître de son destin, aucune autorité ne peut abuser de son pouvoir à son égard et, inversement, les communes autogérées ne peuvent blâmer aucune autorité de leur propre mauvaise gestion. L’ordre spontané en résultant, dans lequel la plus petite institution ou même un individu doit assumer ses propres responsabilités, apporte non seulement la paix, mais aussi la prospérité.

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      La prairie du Grütli, photo de Werner Friedli, 1948.

      Au cours des premiers siècles de la Confédération suisse, les différents cantons, en l’occurrence Uri, Schwyz et Unterwald, puis Lucerne, Zurich, Glaris, Zoug et Berne, forment des alliances. Ils sont rejoints jusqu’en 1513 par Fribourg, Soleure, Bâle, Schaffhouse et Appenzell. Au besoin, des délégués de ces cantons souverains se réunissent pour traiter des affaires communes. À partir du XVIIe siècle, l’assemblée des députés des cantons fédéraux est appelée Tag pour jour d’assemblée, devenant « diète » en français. Jusqu’à la fondation de l’État fédéral en 1848 – à part l’interruption entre 1798 et 1813 – la Suisse consiste en une confédération d’États, et la Diète fédérale représente l’assemblée des cantons de l’ancienne Confédération suisse, les Orte. Le canton qui convoque la Diète fédérale et en assume la présidence est appelé canton directeur, ou Vorort. La Diète s’occupe, entre autres, de la protection des droits commerciaux des cantons fédéraux, en particulier vis-à-vis de la France, superpuissance économique de l’Europe à la fin du Moyen-Âge et au début des temps modernes. Pour les cantons de la fin du Moyen-Âge situés sur le territoire suisse actuel, être livrés à l’arbitraire français peut coûter cher. En effet, lorsque Genève refuse de se subordonner à Louis XI au XVe siècle, ce dernier interdit alors aux marchands français de se rendre à la foire internationale de Genève et désigne officiellement Lyon pour la remplacer. La disparition de cette plaque tournante s’avère dramatique pour nombre de commerces suisses, notamment pour les manufactures de drap de Fribourg déjà affaiblies par l’augmentation des droits de douane appliqués par l’Angleterre sur leurs exportations de laine. L’importation devenue trop coûteuse de la laine anglaise jusqu’à Fribourg et la perte de ce débouché important ont raison de cette industrie des bords de la Sarine. Pour certaines régions de Suisse, le libre-échange à l’échelle européenne revêt donc une importance essentielle dès la fin du Moyen-Âge. Les accords de libre-échange deviennent une activité fondamentale de la Diète qui, grâce au traité de Paix perpétuelle scellé après la défaite à Marignan, garantit ainsi la liberté de commerce pour la Confédération au début des temps modernes.

      Marignan est célèbre pour la bataille de 1515, que les Confédérés perdent face au roi de France et après laquelle ils abandonnent leur politique expansionniste. Cette défaite mène à la Paix perpétuelle, un important accord de libre-échange. Par ce traité de 1516, François Ier, roi de France, accorde aux Confédérés le libre accès au marché français. En contrepartie, la France est autorisée à lever des mercenaires dans les cantons fédéraux. La bataille de Marignan en 1515 amorce une phase de libreéchange de plusieurs siècles entre les Confédérés et la France, qui est alors la première puissance d’Europe. Cela est d’autant plus important que la Paix perpétuelle est suivie par la Réforme, laquelle s’accompagne de bouleversements religieux, sociaux et politiques, mais marque aussi l’orientation du développement économique de la Suisse. Les préoccupations économiques et en particulier la liberté des commerçants fédéraux initient en quelque sorte la reconnaissance de la souveraineté des cantons fédéraux par les grandes puissances européennes et, au bout du compte, la fondation de l’État suisse. La Diète envoie des délégués ad hoc à la cour de France, par exemple, qui interviennent en faveur des commerçants suisses. Si le bourgmestre de Bâle, Johann Rudolf Wettstein, se rend à la signature de la paix de Westphalie en 1648, c’est à l’origine uniquement pour obtenir que les marchands de Bâle ne soient plus soumis à la juridiction du Saint-Empire, mais relèvent de la seule juridiction bâloise. Or, un délégué français lui donne alors l’idée de négocier un statut de souveraineté pour la Suisse. Ainsi, la paix de Westphalie marque la fin de l’immédiateté impériale et le début de la souveraineté de la Confédération, qui ne consiste encore qu’en un groupement peu structuré de petits cantons. Parallèlement, ces traités lèvent l’interdiction de l’intérêt de l’église catholique pour les territoires réformés, posant la première pierre de la place financière suisse. La souveraineté garantie par la paix de Westphalie étant politique, la Confédération se trouve propulsée au rang de terre d’exil de l’Europe et connaît de ce fait un boom économique sans précédent. L’arrivée de réfugiés huguenots de toute l’Europe, avec leurs innovations et leurs réseaux économiques, élève la Suisse au rang de pays le plus industrialisé d’Europe au XVIIIe siècle, juste avant la Révolution française. À la veille de l’ère napoléonienne, un pays de marchands et de mercenaires s’est transformé en une nation industrielle.

      Alors qu’elle a renoncé à sa politique d’expansion lors de la bataille de Marignan en 1515, la Confédération voit à l’inverse affluer des protestants dotés d’une bonne formation et d’un sens aigu des affaires. Chassés par la Contre-Réforme, ceux-ci fuient la France, l’Italie et les territoires allemands, mais aussi la Hongrie, l’Espagne ou l’Angleterre. En plus de leur capital patrimonial, ces réfugiés protestants apportent aussi un capital humain sous forme de connaissances et de savoir-faire dans l’industrie et la finance. Si, dans leur majorité, les huguenots poursuivent leur route vers le Palatinat, la Bohême ou la Prusse, ils apportent néanmoins des innovations, reprises par la moyenne bourgeoisie notamment de Genève et de Neuchâtel ainsi que celle des cantons de Vaud et d’Argovie. Pourquoi investir dans de coûteuses guerres d’expansion alors que les capitaux et les innovations viennent d’eux-mêmes en

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