Les naturalistes. Группа авторов

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recrute ses collaborateurs – pour la plupart, des hommes – par le biais de contacts personnels. Il sera soutenu dans cette tâche par un particulier, le châtelain Carl Ulysses von Salis-Marschlins (1795-1886), un éminent érudit qui procédait, lui aussi, à des mesures météorologiques et le mettra en relation avec de nouveaux observateurs. D’autres contactent directement Brügger, proposant de collaborer à cette entreprise «afin de pouvoir servir la science».5 Les observateurs, qui n’avaient, à quelques exceptions près, aucune formation en sciences naturelles, considèrent leur intégration dans un tel projet scientifique comme une grande preuve de confiance. Le pasteur de Zernez, Otto Guidon, remerciera ainsi Brügger de l’«honneur» qu’il lui a fait en l’engageant comme collaborateur.6 Aux yeux du naturaliste, les pasteurs semblaient particulièrement doués pour cette tâche. Ils constituent en tout cas le groupe professionnel le plus fortement représenté parmi les observateurs. Le réseau météorologique sera très vite connu dans le canton des Grisons, car les journaux publient les comptes rendus des résultats de ces mesures. La Bündner Zeitung fait paraître au début de chaque mois un tableau présentant les températures du mois précédent. Le nombre de stations, qui était encore de dix en avril 1857, s’accroît, passant à 37 en juillet 1858.7 Les tableaux comprenaient les températures moyennes mensuelles, le jour où le thermomètre atteignait son niveau le plus bas et le plus élevé, la plus forte fluctuation de température journalière ainsi que les valeurs maximales et moyennes de fluctuation de température journalière, la direction du vent, et enfin, le nombre de jours de neige, de pluie, de brouillard ou de nébulosité.

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      Ill. 1: Avril 1858: dans le village de Martina aux Grisons, le douanier Andreas Bärtsch notait trois fois par jour la température, le type de précipitations, le degré de couverture nuageuse et la direction du vent. A la fin du mois, il envoyait ses relevés à Brügger.

      LES DONNÉES MÉTÉO DANS LE JOURNAL: «DES PERLES JETÉES AUX POURCEAUX»

      Pour atteindre son objectif, Brügger suit la conception de l’explorateur allemand Alexander von Humboldt, selon lequel le but final «est surtout la détermination numérique des valeurs moyennes».8 Il s’efforce donc d’effectuer un relevé statistique des conditions météorologiques sur le long terme, afin d’étudier plus à fond le climat des Grisons. Brügger recevra pour son projet le soutien de scientifiques renommés. Le physicien et météorologue allemand Ludwig Friedrich Kämtz – il est considéré comme le cofondateur de la météorologie moderne – fera un voyage en Suisse en 1858 et parlera en termes élogieux du réseau grison.9 Bernhard Studer, professeur de géologie à Berne, promit également à Brügger que son réseau météorologique se verrait «attribuer les plus hauts honneurs».10 La statistique climatique, telle que la pratiquait Brügger, était l’orientation scientifique qui prévalait dans la météorologie des années 1850. La diffusion de prévisions météorologiques ne devait s’imposer qu’une vingtaine d’années plus tard.11 Brügger s’occupe donc exclusivement des phénomènes climatiques déjà survenus. Dans le journal grison de langue allemande Die Rheinquellen, il publie quotidiennement ses propres mesures de la température de la veille.12 En juin 1858, le journal accepte de tenter une expérience, à savoir publier les mesures de la température de 20 stations le jour suivant.13 Les observateurs y participant recevront pour cela des cartes postales qu’ils rempliront après avoir effectué leurs mesures à midi et enverront à Coire par le «courrier de l’après-midi».14 Bien que la transmission des données ait réussi dans la plupart des cas, ces «rapports journaliers des stations bénévoles servant à l’étude de la météorologie dans et pour les Grisons» seront abandonnés. La collaboration avec le Bündnerisches Monatsblatt ne s’avérera pas non plus durable. Brügger avait promis à ses correspondants que les observations envoyées à temps seraient publiées dans ce mensuel.15 A partir de janvier 1858, un compte rendu des relevés météorologiques paraît chaque mois sur une pleine page sous la rubrique «Chronik». Toutefois, au bout de six mois, ces tableaux seront, là encore, supprimés. Agostino Garbald, directeur de la douane à Castasegna, à la frontière italo-suisse, et observateur météorologique, en attribue la cause au manque d’intérêt de la part des lecteurs:

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      Ill. 2: «Des perles jetées aux pourceaux»: l’intérêt du public pour les données fournies par Brügger sur la météorologie restera limité. Tableau tiré du Bündnerisches Monatsblatt, 5 mai 1858.

      «Quiconque n’est pas à moitié ou au quart météorologue ne s’intéresse nullement à la chose; il n’est pas rare que des gens tout à fait raisonnables et ayant une bonne formation demandent à quoi servent de telles observations, et, à leur sourire moqueur et leur haussement d’épaules compatissant, vous vous rendez compte qu’ils vous prennent, au moins à cet égard, pour un demi-fou. Comment s’étonner dès lors que de telles personnes ne savent pas apprécier les observations météorologiques et regrettent chaque ligne qui les éloignent des ragots colportés par les journaux. Nous avons jeté des perles aux pourceaux.»16

      Le journal n’avait donc pas réussi à convaincre ses lecteurs de l’importance des observations météorologiques. L’argument de Brügger, selon lequel l’agriculture profiterait des informations recueillies sur le climat local, ne suscitera pas un regain d’intérêt de leur part.17 Avec un enthousiasme édifiant, il continue toutefois d’espérer que chaque «Saül devienne encore un saint Paul de la météorologie».18

      LA MÉTÉOROLOGIE AU SERVICE DE LA PROMOTION DU TOURISME

      Dans la branche du tourisme, les données météorologiques susciteront nettement plus d’enthousiasme que chez les lecteurs des journaux. La mesure des températures et des précipitations permettait de prouver de manière scientifique les agréments du climat local et ouvrait ainsi un potentiel économique. Brügger s’intéressait surtout aux particularités climatiques du canton des Grisons. Dès 1858, il collabore avec la Société des sources thermales de St-Moritz. Cette société privée gérait les sources minérales de la station thermale en pleine expansion. Le climat local avait toutefois mauvaise réputation dans la «littérature touristique la plus récente». A tort, comme Brügger l’expliquera à l’aide de ses mesures.19 En 1860, la Société des sources thermales le chargera d’écrire un article sur la climatologie pour compléter un ouvrage de médecine thermale sur St-Moritz.20 Il rédigera un autre article qui lui sera rémunéré 275 francs pour les thermes de St-Moritz et de Bormio.21 Les sources minérales de la station italienne de Bormio appartenaient depuis 1859 au conseiller national Andreas Rudolf von Planta, qui occupait en même temps la fonction de président de la Société des sources thermales de St-Moritz. A St-Moritz comme à Bormio, les employés des établissements de cure enregistreront chaque jour, selon les instructions de Brügger, les données météorologiques et les lui enverront régulièrement afin qu’il les corrige et les traite. Dans un ouvrage sur les thermes de Bormio «destiné à toute sorte de public», Brügger fournit la preuve, à l’aide de ces mesures, que les températures locales sont supérieures à celles de diverses stations thermales européennes situées à la même altitude et qu’il pleut relativement peu à Bormio.22 Eduard Killias, président de la Société grisonne des sciences naturelles, fait alors l’éloge de la climatologie comparée de Brügger, comme étant «très instructive».23 Selon lui, c’était grâce à leurs conditions climatiques que les stations grisonnes n’avaient pas à redouter «la concurrence avec des stations thermales mondiales depuis longtemps célèbres».24 De même que les naturalistes, ceux qui profitaient de la manne du tourisme médical prétendaient que dans leur canton, la nature avait un caractère spécifique.

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