Les naturalistes. Группа авторов

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sources thermales en 1860 devait prouver que la Haute-Engadine offrait, «comme nul autre pays» d’Europe, des «températures agréables» à une altitude de 1800 mètres au-dessus de la mer. Vue de St-Moritz vers 1885.

      DE L’ENTHOUSIASME DES DÉBUTS AU «JOUG» DE L’OBSERVATION QUOTIDIENNE

      Pour pratiquer une statistique climatique scientifiquement reconnue, il était essentiel de disposer de séries de mesures ininterrompues. Au XIXe siècle, de nombreux réseaux de mesures échouèrent toutefois à cause du manque de fiabilité des observateurs auxquels ce travail pénible était devenu insupportable. Pour Brügger également, la discipline parmi ses collaborateurs bénévoles allait poser problème.25 Il considérait les observateurs météorologiques comme un «corps franc» qui avait suscité l’enthousiasme scientifique dans tout le canton, mais était menacé par les «esprits hostiles de la léthargie et de l’inertie qui rodaient».26 Noter précisément chaque matin, à l’aube, et à midi les observations météorologiques et organiser un remplaçant à chaque absence, constituait pour la plupart des participants une tâche fastidieuse. Certains s’accrochaient et remplissaient consciencieusement leur devoir, tandis que d’autres interrompront leurs relevés par manque de temps ou de motivation. Süsette Gyger, fille de pasteur, qui travailla comme observatrice pendant trois ans, annonce, après un changement de domicile, qu’elle est heureuse d’avoir pu «se débarrasser du joug» des relevés météorologiques.27 D’autres observateurs justifieront l’interruption des mesures en indiquant qu’il y avait longtemps qu’ils n’avaient rien entendu sur «l’avancement des travaux».28 L’observateur de Sankt Antonien, à la frontière de l’Autriche, avait même l’impression que Brügger ne s’intéressait «pas particulièrement» à son travail.29 N’ayant pas la possibilité d’assurer un encadrement intensif, Brügger essaiera de motiver ses collaborateurs en soulignant l’importance scientifique de leur tâche et en leur promettant que «ce fruit récent de l’arbre de la connaissance scientifique»30 leur apporterait bientôt une reconnaissance sociale. Jusque-là, ceux-ci devaient persévérer «sans se soucier des avantages personnels, pas plus que des compliments ou des critiques de la foule». Brügger leur présentait en outre l’activité scientifique comme un service patriotique rendu à la région des Grisons, en les appelant «à dédier leurs forces aux idéaux élevés de la patrie et de la science».31

      En 1859, Brügger devra limiter sérieusement son propre «service» dans les Grisons. Ayant accepté le poste de conservateur des collections botaniques à l’Ecole polytechnique de Zurich, il ne pouvait plus s’occuper des calculs et de la rédaction des tableaux.32 Auparavant, il avait fait savoir à ses correspondants qu’il n’avait pas réussi à trouver de successeur. Il les exhortera à poursuivre leurs mesures et à conserver les tableaux remplis, afin qu’il puisse les recueillir plus tard.33 «Nous chanterons un Alléluia si tous ceux qui procèdent à ces descriptions météorologiques restent à leurs postes jusqu’à votre retour», commentera Agostino Garbald.34 Cet ami de Brügger, observateur à Castasegna, craignait que, sans direction, le réseau météorologique ne se «désagrège» rapidement. Le Bündner Tagblatt jugeait également que les chances de survie de ce projet étaient faibles sans Brügger.35 Le journal appela la Société grisonne des sciences naturelles à fournir un soutien financier. La société répondit à cet appel en commençant, à partir de 1860, à publier les tableaux d’observation du réseau météorologique dans ses rapports annuels. Cette rubrique sera constamment élargie et, bientôt, elle représentera plus d’un tiers du contenu. C’est ainsi que les relevés pluriannuels d’environ 50 stations y seront publiés. Mais, seules quelques rares stations fournissaient des séries d’observations continues depuis 1856, soit parce que les observateurs avaient interrompu cette tâche, soit parce qu’ils avaient égaré les tableaux remplis. Un observateur de la Haute-Engadine fit savoir qu’il n’avait pas escompté que ses relevés soient publiés, et que c’était la raison pour laquelle ces derniers étaient quasiment illisibles.36

      CRÉATION DU RÉSEAU NATIONAL: NOUVELLES NORMES ET HIÉRARCHIES

      L’intérêt croissant pour les observations météorologiques à l’intérieur de la Société grisonne des sciences naturelles était lié à un projet en cours depuis 1860, dont l’objectif était de créer un réseau d’observation national. Avec le soutien de la Confédération, la Société helvétique des sciences naturelles (SHSN) installera 88 stations dans tout le pays et créera le Bureau central météorologique suisse à Zurich, qui collectera les tableaux à partir de décembre 1863, les contrôlera et les publiera. Au fond, les organisateurs du réseau suisse poursuivaient le même but que Brügger: réaliser une statistique climatique pour une certaine région sur la base de mesures synchrones sur plusieurs années au moyen d’instruments étalonnés. La SHSN y voyait là une chance de disposer d’un grand nombre de données qui soient comparables. Les résultats des observations des 88 stations devaient permettre d’étudier les effets de la topographie, en particulier des Alpes, sur le climat.37 La coordination de projet et la gestion des données étaient entre les mains du Bureau central qui devait gérer plus d’un millier de tableaux mensuels par an. Les données météorologiques locales y devenaient les pièces d’un puzzle complet – le climat suisse. Cette représentation de l’espace naturel helvétique était considérée comme une contribution à la création d’une identité nationale. C’est ainsi que la SHSN qualifiait son projet météorologique de «véritablement patriotique» et parlait d’une «grande entreprise pour la patrie».38 Brügger voyait aussi son projet comme une action patriotique, toutefois, son cadre de référence n’était pas la nation, mais son «cher canton natal des Grisons».39

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      Ill. 4: Le Bureau central météorologique suisse, qui fut hébergé au 2e étage de l’Observatoire de Zurich jusqu’en 1880, était le centre stratégique du réseau national. Chaque année, il recevait plus d’un millier de tableaux d’observation en provenance de toute la Suisse. Photographie non datée.

      Ce projet national constituait pour les Grisons une opportunité de se profiler comme pionnier, car, en dehors de ce canton, seuls la Thurgovie, Berne et Soleure avaient déjà mis en place des réseaux d’observation météorologique.40 En 1862, Brügger écrivait à ses observateurs que la publication de tous les tableaux du réseau grison était «dans l’intérêt de notre canton natal», qui avait «précédé de manière exemplaire les autres cantons et la Confédération».41 Les organisateurs du réseau national lui reprochaient toutefois de nombreux défauts. Les observations organisées par Brügger ne pouvaient «fournir que des résultats d’une portée très limitée et conditionnelle», car ils ne comportaient aucune mesure de la pression et de l’hygrométrie et que les relevés n’avaient pas été faits aux mêmes heures de la journée.42 De plus, les thermomètres utilisés étaient qualitativement insuffisants. La SHSN fournit donc aux observateurs grisons qui travaillaient désormais dans le réseau national des équipements complètement neufs.43 Dès lors, Brügger ne remplissait pas les nouvelles normes du réseau national, définies par une commission de professeurs. La Centrale météorologique considérait son travail comme scientifiquement inutilisable et lui reconnaissait seulement le mérite d’avoir éveillé «l’intérêt pour les observations météorologiques et les expériences climatologiques».44 Bien que les organisateurs du réseau national taxent son travail de «non scientifique», ils en profitaient toutefois. Les 19 observateurs grisons choisis comme collaborateurs du réseau d’observation national disposaient déjà d’une longue expérience, à la différence de la plupart des responsables des 88 stations nationales. Le directeur du Bureau central n’écrivait-il pas à Brügger que l’on remarquait que, dans le canton des Grisons, on avait «déjà éduqué

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