Les naturalistes. Группа авторов

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vue physique, on assiste à une régression des glandes mammaires masculines, alors qu’inversement, les femmes se spécialisent dans l’allaitement de leur progéniture.37 La recherche de nourriture et la lutte contre la concurrence auraient alors incité les hommes à élargir leur rayon de déplacement, ce qui aurait entraîné un accroissement de leur force physique et de leur intelligence. Les femmes, quant à elles, auraient développé leurs instincts maternels et domestiques. L’ironie féministe de cet argument est que l’asymétrie naturelle entre les sexes n’est pas une caractéristique primaire de l’espèce humaine, mais une caractéristique sociale acquise, secondaire. Dans cette optique, les différences biologiques entre les sexes ne sont pas statiques. Soumises à l’évolution de l’histoire naturelle, elles pourront à nouveau se transformer à l’avenir, à savoir se résorber. C’est précisément ce que visait l’argumentation de Clémence Royer. Les «races civilisées» sont, selon elle, au seuil d’une troisième phase du processus d’évolution, dans laquelle les asymétries sexuelles ne seront plus nécessaires, et seront même contre-productives. Au lieu de la force physique et de la dureté chez les hommes, et au lieu du caractère domestique et prudent chez les femmes, la vie dans les sociétés industrielles modernes demandera de plus en plus le développement de facultés intellectuelles et sociales de la part des deux sexes. Pour concevoir une vie harmonieuse dans les villes, les hommes devront donc conjuguer force physique, intelligence et émotivité, tandis que les femmes devront associer la beauté à la force et la tendresse à l’intelligence.38 Biologiquement, la conception de Clémence Royer était concevable, car les fillettes et les garçons héritent des caractéristiques de leurs mères, mais aussi de leurs pères. De ce point de vue, les hommes avaient aussi des dispositions féminines (d’où, par exemple, les mamelons des seins), et vice versa. Pour que les deux sexes puissent pleinement déployer leurs dispositions masculines et féminines, il fallait toutefois supprimer les discriminations juridiques et sociales des femmes. Ainsi pourraient-elles, en concurrence avec les hommes, développer leurs dispositions masculines potentielles en matière d’intelligence, de courage et d’activité, et les retransmettre à leurs filles. Les asymétries biologiques des sexes étaient donc, pour Clémence Royer, largement enracinées dans la nature. Elles n’avaient toutefois rien d’originel, il s’agissait là d’un phénomène d’histoire naturelle secondaire, qui était nécessaire pour atteindre l’état de civilisation dans lequel elles devaient être désormais amenées à disparaître.

      LA FEMME BLANCHE GARDIENNE DE SA «RACE»

      Clémence Royer considérait le sexe humain comme quelque chose d’androgyne et de transformable – une idée qui trouve un écho dans l’actuelle théorie des genres.39 Toutefois, sa théorie présentait un aspect problématique. Pour elle, la vérité profonde sur la nature de l’être humain résidait en effet dans la hiérarchie entre les «races» humaines. «Le premier regard que nous jetons sur l’ensemble de l’humanité vivante», écrit-elle dans son ouvrage principal sur la théorie de l’évolution, Le premier regard, publié en 1869, «nous la montre divisée en grandes races, très-inégales par leurs aptitudes, leur ordre social, leurs caractères physiques, leur prépondérance sur la surface du globe et par l’aire géographique qu’elles y occupent; […]. Au sommet de la série, et la dernière née sans nul doute, se dresse la race blanche, dite aryenne ou indo-européenne […].»40

      Clémence Royer n’était pas la seule à émettre des théories raciales. Dans le contexte suisse, elle peut être considérée comme la représentante d’un racisme sécularisé radical, que prônait également son collègue genevois Carl Vogt. Cet athéiste avéré était, lui aussi, un fervent défenseur de l’évolutionnisme. A la différence de Clémence Royer, il ne croyait pas que toutes les «races» étaient issues d’une même «souche», mais qu’elles provenaient de racines différentes (polygénisme). Comme elle, il considérait les races dans un rapport profondément hiérarchique. Les Africains lui faisaient, par exemple, «irrésistiblement […] penser à des singes».41 D’autres naturalistes partageaient, certes, la thèse de Darwin selon lequel les espèces évoluaient, mais ils tenaient à l’idée de la création divine, pour des raisons religieuses. Ils divisaient l’humanité en différentes «races», qui n’étaient toutefois pour eux que des variations d’une seule et même espèce. Ils s’exprimaient avec plus de retenue et s’engageaient surtout pour la «protection» des «peuples primitifs» menacés d’extinction.42 Louis Agassiz, le maître de Carl Vogt, constitue un cas à part. Il rejette le darwinisme pour des motifs religieux, mais défend, à l’instar de ce dernier, un racisme polygénique qu’il ne propagera pas, à la différence de Clémence Royer et de Carl Vogt, dans ses publications, mais lors de propos tenus en privé.43

      Pour Clémence Royer, la hiérarchie entre les «races» était, à la différence de celle entre les sexes, non seulement fondamentale et insurmontable, mais beaucoup plus grande qu’aux yeux de ses contemporains. Alors que ces derniers mettent surtout en exergue la proximité phylogénétique des «races primitives» et des primates, Clémence Royer souligne:

      «On peut même dire, sans crainte, que [au point de vue intellectuel] un Mincopie, un Boschmen, un Papou ou même un Lapon est plus proche parent, non-seulement du singe, mais du kangouroo, que d’un Descartes, d’un Newton, d’un Goethe ou d’un Lavoisier.»44

      Si l’on combine la théorie des genres prônée par Clémence Royer et sa théorie raciale, on peut considérer sa position comme une sorte de «racisme féministe» ou de «féminisme raciste». Sa pensée s’oriente toujours sur le «progrès» de la «race» blanche. Toutefois, à la différence de ses collègues masculins, pour elle, les femmes ne jouaient pas un rôle passif et accessoire, mais un rôle actif, et même capital, ainsi qu’elle l’explique dans un passage sur les relations sexuelles («mélanges du sang») entre différentes «races»:

      «La répugnance au mélange du sang se manifesta d’abord chez les races supérieures et chez les femelles plus encore que chez les mâles. De nos jours, c’est un fait universel que, si des croisements s’opèrent entre la race blanche et les races inférieures, l’union, à moins qu’elle ne soit le résultat de la violence, s’opère entre le blanc et la nègresse, l’indienne ou l’australienne; et ce n’est qu’exceptionnellement que l’on trouve des exemples de métissage entre la femme blanche et l’homme d’autres races.»45 Les raisons pour lesquelles les relations sexuelles entre des Européens et des femmes de couleur étaient plus fréquentes que l’inverse étaient d’ordre politique et culturel: les puissances coloniales s’efforçaient de limiter les contacts entre femmes blanches et hommes de couleur dans les plantations et dans les comptoirs commerciaux d’outre-mer afin de protéger l’hégémonie revendiquée par les Blancs.46 Clémence Royer s’expliquait néanmoins cet état de choses comme un phénomène biologique, à savoir une «répugnance» prétendue innée des femmes blanches à l’égard des hommes de couleur. Selon elle, la femme blanche veillait donc à la «pureté» et à la prétendue supériorité de sa «race».

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      Ill. 8: A un âge avancé, Clémence Royer reçut plusieurs récompenses en France. Ce portrait a été réalisé en 1902, peu avant sa mort. Elle porte le ruban rouge de la Légion d’honneur.

      CONCLUSION

      Ainsi, Clémence Royer s’avère-t-elle être une philosophe à la fois fascinante et ambivalente. Elle s’élève de manière originale contre la justification scientifique de la discrimination des femmes. Mais, contrairement aux futures générations de féministes, elle ne dénonce pas les différences prétendues biologiques et les hiérarchies entre les sexes comme étant l’expression du pouvoir culturel dans une société dominée par les hommes.

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