Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

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Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas

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de ces nombreuses chèvres sauvages que l’on voyait sauter de rocher en rocher, on n’attribua cette excursion de Dantès qu’à l’amour de la chasse ou au désir de la solitude. Il n’y eut que Jacopo qui insista pour le suivre. Dantès ne voulut pas s’y opposer, craignant par cette répugnance à être accompagné d’inspirer quelques soupçons. Mais à peine eut-il fait un quart de lieue, qu’ayant trouvé l’occasion de tirer et de tuer un chevreau, il envoya Jacopo le porter à ses compagnons, les invitant à le faire cuire et à lui donner lorsqu’il serait cuit, le signal d’en manger sa part en tirant un coup de fusil; quelques fruits secs et un fiasco de vin de Monte-Pulciano devaient compléter l’ordonnance du repas.

      Dantès continua son chemin en se retournant de temps en temps. Arrivé au sommet d’une roche, il vit à mille pieds au-dessous de lui ses compagnons que venait de rejoindre Jacopo et qui s’occupaient déjà activement des apprêts du déjeuner, augmenté, grâce à l’adresse d’Edmond, d’une pièce capitale.

      Edmond les regarda un instant avec ce sourire doux et triste de l’homme supérieur.

      «Dans deux heures, dit-il, ces gens-là repartiront, riches de cinquante piastres, pour aller, en risquant leur vie, essayer d’en gagner cinquante autres; puis reviendront, riches de six cents livres, dilapider ce trésor dans une ville quelconque, avec la fierté des sultans et la confiance des nababs. Aujourd’hui, l’espérance fait que je méprise leur richesse, qui me paraît la plus profonde misère; demain, la déception fera peut-être que je serai forcé de regarder cette profonde misère comme le suprême bonheur… Oh! non, s’écria Edmond, cela ne sera pas; le savant, l’infaillible Faria ne se serait pas trompé sur cette seule chose. D’ailleurs autant vaudrait mourir que de continuer de mener cette vie misérable et inférieure.»

      Ainsi Dantès, qui, il y a trois mois, n’aspirait qu’à la liberté, n’avait déjà plus assez de la liberté et aspirait à la richesse; la faute n’en était pas à Dantès, mais à Dieu, qui, en bornant la puissance de l’homme, lui a fait des désirs infinis! Cependant par une route perdue entre deux murailles de roches, suivant un sentier creusé par le torrent et que, selon toute probabilité, jamais pied humain n’avait foulé, Dantès s’était approché de l’endroit où il supposait que les grottes avaient dû exister. Tout en suivant le rivage de la mer et en examinant les moindres objets avec une attention sérieuse, il crut remarquer sur certains rochers des entailles creusées par la main de l’homme.

      Le temps, qui jette sur toute chose physique son manteau de mousse, comme sur les choses morales son manteau d’oubli, semblait avoir respecté ces signes tracés avec une certaine régularité, et dans le but probablement d’indiquer une trace; de temps en temps cependant, ces signes disparaissaient sous des touffes de myrtes, qui s’épanouissaient en gros bouquets chargés de fleurs, ou sous des lichens parasites. Il fallait alors qu’Edmond écartât les branches ou soulevât les mousses pour retrouver les signes indicateurs qui le conduisaient dans cet autre labyrinthe. Ces signes avaient, au reste, donné bon espoir à Edmond. Pourquoi ne serait-ce pas le cardinal qui les aurait tracés pour qu’ils pussent, en cas d’une catastrophe qu’il n’avait pas pu prévoir si complète, servir de guide à son neveu? Ce lieu solitaire était bien celui qui convenait à un homme qui voulait enfouir un trésor. Seulement, ces signes infidèles n’avaient-ils pas attiré d’autres yeux que ceux pour lesquels ils étaient tracés, et l’île aux sombres merveilles avait-elle fidèlement gardé son magnifique secret?

      Cependant, à soixante pas du port à peu près, il sembla à Edmond, toujours caché à ses compagnons par les accidents du terrain, que les entailles s’arrêtaient; seulement, elles n’aboutissaient à aucune grotte. Un gros rocher rond posé sur une base solide était le seul but auquel elles semblassent conduire. Edmond pensa qu’au lieu d’être arrivé à la fin, il n’était peut-être, tout au contraire, qu’au commencement; il prit en conséquence le contre-pied et retourna sur ses pas.

      Pendant ce temps, ses compagnons préparaient le déjeuner, allaient puiser de l’eau, à la source, transportaient le pain et les fruits à terre et faisaient cuire le chevreau. Juste au moment où ils le tiraient de sa broche improvisée, ils aperçurent Edmond qui, léger et hardi comme un chamois, sautait de rocher en rocher: ils tirèrent un coup de fusil pour lui donner le signal. Le chasseur changea aussitôt de direction, et revint tout courant à eux. Mais au moment où tous le suivaient des yeux dans l’espèce de vol qu’il exécutait, taxant son adresse de témérité, comme pour donner raison à leurs craintes, le pied manqua à Edmond; on le vit chanceler à la cime d’un rocher, pousser un cri et disparaître.

      Tous bondirent d’un seul élan, car tous aimaient Edmond, malgré sa supériorité; cependant, ce fut Jacopo qui arriva le premier.

      Il trouva Edmond étendu sanglant et presque sans connaissance: il avait dû rouler d’une hauteur de douze ou quinze pieds. On lui introduisit dans la bouche quelques gouttes de rhum, et ce remède qui avait déjà eu tant d’efficacité sur lui, produisit le même effet que la première fois.

      Edmond rouvrit les yeux, se plaignit de souffrir une vive douleur au genou, une grande pesanteur à la tête et des élancements insupportables dans les reins. On voulut le transporter jusqu’au rivage; mais lorsqu’on le toucha, quoique ce fût Jacopo qui dirigeât l’opération, il déclara en gémissant qu’il ne se sentait point la force de supporter le transport.

      On comprend qu’il ne fut point question de déjeuner pour Dantès; mais il exigea que ses camarades, qui n’avaient pas les mêmes raisons que lui pour faire diète, retournassent à leur poste. Quant à lui, il prétendit qu’il n’avait besoin que d’un peu de repos, et qu’à leur retour ils le trouveraient soulagé.

      Les marins ne se firent pas trop prier: les marins avaient faim, l’odeur du chevreau arrivait jusqu’à eux et l’on n’est point cérémonieux entre loups de mer.

      Une heure après, ils revinrent. Tout ce qu’Edmond avait pu faire, c’était de se traîner pendant un espace d’une dizaine de pas pour s’appuyer à une roche moussue.

      Mais, loin de se calmer, les douleurs de Dantès avaient semblé croître en violence. Le vieux patron, qui était forcé de partir dans la matinée pour aller déposer son chargement sur les frontières du Piémont et de la France, entre Nice et Fréjus, insista pour que Dantès essayât de se lever. Dantès fit des efforts surhumains pour se rendre à cette invitation mais à chaque effort, il retombait plaintif et pâlissant.

      «Il a les reins cassés, dit tout bas le patron: n’importe! c’est un bon compagnon, et il ne faut pas l’abandonner; tâchons de le transporter jusqu’à la tartane.»

      Mais Dantès déclara qu’il aimait mieux mourir où il était que de supporter les douleurs atroces que lui occasionnerait le mouvement, si faible qu’il fût.

      «Eh bien, dit le patron, advienne que pourra, mais il ne sera pas dit que nous avons laissé sans secours un brave compagnon comme vous. Nous ne partirons que ce soir.»

      Cette proposition étonna fort les matelots, quoique aucun d’eux ne la combattît, au contraire. Le patron était un homme si rigide, que c’était la première fois qu’on le voyait renoncer à une entreprise, ou même retarder son exécution.

      Aussi Dantès ne voulut-il pas souffrir qu’on fit en sa faveur une si grave infraction aux règles de la discipline établie à bord.

      «Non, dit-il au patron, j’ai été un maladroit, et il est juste que je porte la peine de ma maladresse. Laissez-moi une petite provision de biscuit, un fusil, de la poudre et des balles pour tuer des chevreaux, ou même pour me défendre, et une pioche pour me construire, si vous tardiez trop à me venir prendre, une espèce de maison.

      – Mais

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