Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

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Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas

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continua l’Anglais, qui reprit le premier son sang-froid, ainsi le fugitif fut noyé?

      – Bel et bien.

      – De sorte que le gouverneur du château fut débarrassé à la fois du furieux et du fou?

      – Mais une espèce d’acte a dû être dressé de cet événement? demanda l’Anglais.

      – Oui, oui, acte mortuaire. Vous comprenez, les parents de Dantès, s’il en a, pouvaient avoir intérêt à s’assurer s’il était mort ou vivant.

      – De sorte que maintenant ils peuvent être tranquilles s’ils héritent de lui. Il est mort et bien mort?

      – Oh! mon Dieu, oui. Et on leur délivrera attestation quand ils voudront.

      – Ainsi soit-il, dit l’Anglais. Mais revenons aux registres.

      – C’est vrai. Cette histoire nous en avait éloignés. Pardon.

      – Pardon, de quoi? de l’histoire? Pas du tout, elle m’a paru curieuse.

      – Elle l’est en effet. Ainsi, vous désirez voir, monsieur, tout ce qui est relatif à votre pauvre abbé, qui était bien la douceur même, lui?

      – Cela me fera plaisir.

      – Passez dans mon cabinet et je vais vous montrer cela.»

      Et tous deux passèrent dans le cabinet de M. de Boville. Tout y était effectivement dans un ordre parfait: chaque registre était à son numéro, chaque dossier à sa case. L’inspecteur fit asseoir l’Anglais dans son fauteuil, et posa devant lui le registre et le dossier relatifs au château d’If, lui donnant tout le loisir de feuilleter, tandis que lui-même, assis dans un coin, lisait son journal.

      L’Anglais trouva facilement le dossier relatif à l’abbé Faria; mais il paraît que l’histoire que lui avait racontée M. de Boville l’avait vivement intéressé, car après avoir pris connaissance de ces premières pièces, il continua de feuilleter jusqu’à ce qu’il fût arrivé à la liasse d’Edmond Dantès. Là, il retrouva chaque chose à sa place: dénonciation, interrogatoire, pétition de Morrel, apostille de M. de Villefort. Il plia tout doucement la dénonciation, la mit dans sa poche, lut l’interrogatoire, et vit que le nom de Noirtier n’y était pas prononcé, parcourut la demande en date du 10 avril 1815, dans laquelle Morrel, d’après le conseil du substitut, exagérait dans une excellente intention, puisque Napoléon régnait alors, les services que Dantès avait rendus à la cause impériale, services que le certificat de Villefort rendait incontestables. Alors, il comprit tout. Cette demande à Napoléon, gardée par Villefort, était devenue sous la seconde Restauration une arme terrible entre les mains du procureur du roi. Il ne s’étonna donc plus en feuilletant le registre, de cette note mise en accolade en regard de son nom:

      Edmond Dantès: Bonapartiste enragé: a pris une part active au retour de l’île d’Elbe. À tenir au plus grand secret et sous la plus stricte surveillance.

      Au-dessous de ces lignes, était écrit d’une autre écriture:

      «Vu la note ci-dessus, rien à faire

      Seulement, en comparant l’écriture de l’accolade avec celle du certificat placé au bas de la demande de Morrel, il acquit la certitude que la note de l’accolade était de la même écriture que le certificat, c’est-à-dire tracée par la main de Villefort.

      Quant à la note qui accompagnait la note, l’Anglais comprit qu’elle avait dû être consignée par quelque inspecteur qui avait pris un intérêt passager à la situation de Dantès, mais que le renseignement que nous venons de citer avait mis dans l’impossibilité de donner suite à cet intérêt.

      Comme nous l’avons dit, l’inspecteur, par discrétion et pour ne pas gêner l’élève de l’abbé Faria dans ses recherches, s’était éloigné et lisait Le Drapeau blanc.

      Il ne vit donc pas l’Anglais plier et mettre dans sa poche la dénonciation écrite par Danglars sous la tonnelle de la Réserve, et portant le timbre de la poste de Marseille, 27 février, levée de 6 heures du soir.

      Mais, il faut le dire, il l’eût vu, qu’il attachait trop peu d’importance à ce papier et trop d’importance à ses deux cent mille francs, pour s’opposer à ce que faisait l’Anglais, si incorrect que cela fût.

      «Merci dit celui-ci en refermant bruyamment le registre. J’ai ce qu’il me faut; maintenant, c’est à moi de tenir ma promesse: faites-moi un simple transport de votre créance; reconnaissez dans ce transport en avoir reçu le montant, et je vais vous compter la somme.»

      Et il céda sa place au bureau à M. de Boville, qui s’y assit sans façon et s’empressa de faire le transport demandé, tandis que l’Anglais comptait les billets de banque sur le rebord du casier.

      XXIX. La maison Morrel

      Celui qui eût quitté Marseille quelques années auparavant, connaissant l’intérieur de la maison Morrel, et qui y fût entré à l’époque où nous sommes parvenus, y eût trouvé un grand changement.

      Au lieu de cet air de vie, d’aisance et de bonheur qui s’exhale, pour ainsi dire, d’une maison en voie de prospérité; au lieu de ces figures joyeuses se montrant derrière les rideaux des fenêtres, de ces commis affairés traversant les corridors, une plume fichée derrière l’oreille; au lieu de cette cour encombrée de ballots, retentissant des cris et des rires des facteurs; il eût trouvé, dès la première vue, je ne sais quoi de triste et de mort. Dans ce corridor désert et dans cette cour vide, de nombreux employés qui autrefois peuplaient les bureaux, deux seuls étaient restés: l’un était un jeune homme de vingt-trois ou vingt-quatre ans, nommé Emmanuel Raymond, lequel était amoureux de la fille de M. Morrel, et était resté dans la maison quoi qu’eussent pu faire ses parents pour l’en retirer; l’autre était un vieux garçon de caisse, borgne, nommé Coclès, sobriquet que lui avaient donné les jeunes gens qui peuplaient autrefois cette grande ruche bourdonnante, aujourd’hui presque inhabitée, et qui avait si bien et si complètement remplacé son vrai nom, que, selon toute probabilité, il ne se serait pas même retourné, si on l’eût appelé aujourd’hui de ce nom.

      Coclès était resté au service de M. Morrel, et il s’était fait dans la situation du brave homme un singulier changement. Il était à la fois monté au grade de caissier, et descendu au rang de domestique.

      Ce n’en était pas moins le même Coclès, bon, patient, dévoué, mais inflexible à l’endroit de l’arithmétique, le seul point sur lequel il eût tenu tête au monde entier, même à M. Morrel, et ne connaissant que sa table de Pythagore, qu’il savait sur le bout du doigt, de quelque façon qu’on la retournât et dans quelque erreur qu’on tentât de le faire tomber.

      Au milieu de la tristesse générale qui avait envahi la maison Morrel, Coclès était d’ailleurs le seul qui fût resté impassible. Mais, qu’on ne s’y trompe point; cette impassibilité ne venait pas d’un défaut d’affection, mais au contraire d’une inébranlable conviction. Comme les rats, qui, dit-on, quittent peu à peu un bâtiment condamné d’avance par le destin à périr en mer, de manière que ces hôtes égoïstes l’ont complètement abandonné au moment où il lève l’ancre, de même, nous l’avons dit, toute cette foule de commis et d’employés qui tirait son existence de la maison de l’armateur avait peu à peu déserté bureau et magasin; or, Coclès les avait vus s’éloigner tous sans songer même à se rendre compte de la cause de

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