Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

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Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas

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rivière n’admet que cette rivière puisse cesser de couler. En effet, jusque-là rien n’était encore venu porter atteinte à la conviction de Coclès. La dernière fin de mois s’était effectuée avec une ponctualité rigoureuse. Coclès avait relevé une erreur de soixante-dix centimes commise par M. Morrel à son préjudice, et le même jour il avait rapporté les quatorze sous d’excédent à M. Morrel, qui, avec un sourire mélancolique, les avait pris et laissés tomber dans un tiroir à peu près vide, en disant:

      «Bien, Coclès, vous êtes la perle des caissiers.»

      Et Coclès s’était retiré on ne peut plus satisfait; car un éloge de M. Morrel, cette perle des honnêtes gens de Marseille, flattait plus Coclès qu’une gratification de cinquante écus.

      Mais depuis cette fin de mois si victorieusement accomplie, M. Morrel avait passé de cruelles heures; pour faire face à cette fin de mois, il avait réuni toutes ses ressources, et lui-même, craignant que le bruit de sa détresse ne se répandît dans Marseille, lorsqu’on le verrait recourir à de pareilles extrémités, avait fait un voyage à la foire de Beaucaire pour vendre quelques bijoux appartenant à sa femme et à sa fille, et une partie de son argenterie. Moyennant ce sacrifice, tout s’était encore cette fois passé au plus grand honneur de la maison Morrel; mais la caisse était demeurée complètement vide. Le crédit, effrayé par le bruit qui courait, s’était retiré avec son égoïsme habituel; et pour faire face aux cent mille francs à rembourser le 15 du présent mois à M. de Boville, et aux autres cent mille francs qui allaient échoir le 15 du mois suivant. M. Morrel n’avait en réalité que l’espérance du retour du Pharaon, dont un bâtiment qui avait levé l’ancre en même temps que lui, et qui était arrivé à bon port, avait appris le départ.

      Mais déjà ce bâtiment, venant, comme le Pharaon de Calcutta, était arrivé depuis quinze jours, tandis que du Pharaon l’on n’avait aucune nouvelle.

      C’est dans cet état de choses que, le lendemain du jour où il avait terminé avec M. de Boville l’importante affaire que nous avons dite, l’envoyé de la maison Thomson et French de Rome se présenta chez M. Morrel.

      Emmanuel le reçut. Le jeune homme, que chaque nouveau visage effrayait, car chaque nouveau visage annonçait un nouveau créancier, qui, dans son inquiétude, venait questionner le chef de la maison, le jeune homme, disons-nous, voulut épargner à son patron l’ennui de cette visite: il questionna le nouveau venu; mais le nouveau venu déclara qu’il n’avait rien à dire à M. Emmanuel, et que c’était à M. Morrel en personne qu’il voulait parler. Emmanuel appela en soupirant Coclès. Coclès parut, et le jeune homme lui ordonna de conduire l’étranger à M. Morrel.

      Coclès marcha devant, et l’étranger le suivit.

      Sur l’escalier, on rencontra une belle jeune fille de seize à dix-sept ans, qui regarda l’étranger avec inquiétude.

      Coclès ne remarqua point cette expression de visage qui cependant parut n’avoir point échappé à l’étranger.

      «M. Morrel est à son cabinet, n’est-ce pas, mademoiselle Julie? demanda le caissier.

      – Oui, du moins je le crois, dit la jeune fille en hésitant; voyez d’abord, Coclès, et si mon père y est, annoncez monsieur.

      – M’annoncer serait inutile, mademoiselle, répondit l’Anglais, M. Morrel ne connaît pas mon nom. Ce brave homme n’a qu’à dire seulement, que je suis le premier commis de MM. Thomson et French, de Rome, avec lesquels la maison de monsieur votre père est en relations.»

      La jeune fille pâlit et continua de descendre, tandis que Coclès et l’étranger continuaient de monter.

      Elle entra dans le bureau où se tenait Emmanuel, et Coclès, à l’aide d’une clef dont il était possesseur, et qui annonçait ses grandes entrées près du maître, ouvrit une porte placée dans l’angle du palier du deuxième étage, introduisit l’étranger dans une antichambre, ouvrit une seconde porte qu’il referma derrière lui, et, après avoir laissé seul un instant l’envoyé de la maison Thomson et French, reparut en lui faisant signe qu’il pouvait entrer.

      L’Anglais entra; il trouva M. Morrel assis devant une table, pâlissant devant les colonnes effrayantes du registre où était inscrit son passif.

      En voyant l’étranger, M. Morrel ferma le registre, se leva et avança un siège; puis, lorsqu’il eut vu l’étranger s’asseoir, il s’assit lui-même.

      Quatorze années avaient bien changé le digne négociant qui, âgé de trente-six ans au commencement de cette histoire, était sur le point d’atteindre la cinquantaine: ses cheveux avaient blanchi, son front s’était creusé sous des rides soucieuses; enfin son regard, autrefois si ferme et si arrêté, était devenu vague et irrésolu, et semblait toujours craindre d’être forcé de s’arrêter ou sur une idée ou sur un homme.

      L’Anglais le regarda avec un sentiment de curiosité évidemment mêlé d’intérêt.

      «Monsieur, dit Morrel, dont cet examen semblait redoubler le malaise, vous avez désiré me parler?

      – Oui, monsieur. Vous savez de quelle part je viens, n’est-ce pas?

      – De la part de la maison Thomson et French, à ce que m’a dit mon caissier du moins.

      – Il vous a dit la vérité, monsieur. La maison Thomson et French avait dans le courant de ce mois et du mois prochain trois ou quatre cent mille francs à payer en France, et connaissant votre rigoureuse exactitude, elle a réuni tout le papier qu’elle a pu trouver portant cette signature, et m’a chargé, au fur et a mesure que ces papiers écherraient, d’en toucher les fonds chez vous et de faire emploi de ces fonds.»

      Morrel poussa un profond soupir, et passa la main sur son front couvert de sueur.

      «Ainsi, monsieur, demanda Morrel, vous avez des traites signées par moi?

      – Oui, monsieur, pour une somme assez considérable.

      – Pour quelle somme? demanda Morrel d’une voix qu’il tâchait de rendre assurée.

      – Mais voici d’abord, dit l’Anglais en tirant une liasse de sa poche, un transport de deux cent mille francs fait à notre maison par M. de Boville, l’inspecteur des prisons. Reconnaissez-vous devoir cette somme à M. de Boville?

      – Oui, monsieur, c’est un placement qu’il a fait chez moi, à quatre et demi du cent, voici bientôt cinq ans.

      – Et que vous devez rembourser…

      – Moitié le 15 de ce mois-ci, moitié le 15 du mois prochain.

      – C’est cela; puis voici trente-deux mille cinq cents francs, fin courant: ce sont des traites signées de vous et passées à notre ordre par des tiers porteurs.

      – Je le reconnais, dit Morrel, à qui le rouge de la honte montait à la figure, en songeant que pour la première fois de sa vie il ne pourrait peut-être pas faire honneur à sa signature; est-ce tout?

      – Non, monsieur, j’ai encore pour la fin du mois prochain ces valeurs-ci, que nous ont passées la maison Pascal et la maison Wild et Turner de Marseille, cinquante-cinq mille francs à peu près: en tout deux cent quatre-vingt-sept mille cinq cents francs.»

      Ce que souffrait le malheureux Morrel pendant cette énumération

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