Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

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Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas

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et pas d’amis. Lorsqu’il songeait profondément, il ne comprenait même pas cette conduite généreuse de MM. Thomson et French envers lui; il ne se l’expliquait que par cette réflexion intelligemment égoïste que cette maison aurait faite: Mieux vaut soutenir un homme qui nous doit près de trois cent mille francs, et avoir ces trois cent mille francs au bout de trois mois, que de hâter sa ruine et avoir six ou huit pour cent du capital.

      Malheureusement, soit haine, soit aveuglement, tous les correspondants de Morrel ne firent pas la même réflexion, et quelques-uns même firent la réflexion contraire. Les traites souscrites par Morrel furent donc présentées à la caisse avec une scrupuleuse rigueur, et, grâce au délai accordé par l’Anglais, furent payées par Coclès à bureau ouvert. Coclès continua donc de demeurer dans sa tranquillité fatidique. M. Morrel seul vit avec terreur que s’il avait eu à rembourser, le 15 les cinquante mille francs de de Boville, et, le 30, les trente-deux mille cinq cents francs de traites pour lesquelles, ainsi que pour la créance de l’inspecteur des prisons, il avait un délai, il était dès ce mois-là un homme perdu.

      L’opinion de tout le commerce de Marseille était que, sous les revers successifs qui l’accablaient, Morrel ne pouvait tenir. L’étonnement fut donc grand lorsqu’on vit sa fin de mois remplie avec son exactitude ordinaire. Cependant, la confiance ne rentra point pour cela dans les esprits, et l’on remit d’une voix unanime à la fin du mois prochain la déposition du bilan du malheureux armateur.

      Tout le mois se passa dans des efforts inouïs de la part de Morrel pour réunir toutes ses ressources. Autrefois son papier, à quelque date que ce fût, était pris avec confiance, et même demandé. Morrel essaya de négocier du papier à quatre-vingt-dix jours, et trouva les banques fermées. Heureusement, Morrel avait lui-même quelques rentrées sur lesquelles il pouvait compter; ces rentrées s’opérèrent: Morrel se trouva donc encore en mesure de faire face à ses engagements lorsque arriva la fin de juillet.

      Au reste, on n’avait pas revu à Marseille le mandataire de la maison Thomson et French; le lendemain ou le surlendemain de sa visite à M. Morrel il avait disparu: or, comme il n’avait eu à Marseille de relations qu’avec le maire, l’inspecteur des prisons et M. Morrel, son passage n’avait laissé d’autre trace que le souvenir différent qu’avaient gardé de lui ces trois personnes. Quant aux matelots du Pharaon, il paraît qu’ils avaient trouvé quelque engagement, car ils avaient disparu aussi.

      Le capitaine Gaumard, remis de l’indisposition qui l’avait retenu à Palma, revint à son tour. Il hésitait à se présenter chez M. Morrel: mais celui-ci apprit son arrivée, et l’alla trouver lui-même. Le digne armateur savait d’avance, par le récit de Penelon, la conduite courageuse qu’avait tenue le capitaine pendant tout ce sinistre, et ce fut lui qui essaya de le consoler. Il lui apportait le montant de sa solde, que le capitaine Gaumard n’eût point osé aller toucher.

      Comme il descendait l’escalier, M. Morrel rencontra Penelon qui le montait. Penelon avait, à ce qu’il paraissait, fait bon emploi de son argent, car il était tout vêtu de neuf. En apercevant son armateur, le digne timonier parut fort embarrassé; il se rangea dans l’angle le plus éloigné du palier, passa alternativement sa chique de gauche à droite et de droite à gauche, en roulant de gros yeux effarés, et ne répondit que par une pression timide à la poignée de main que lui offrit avec sa cordialité ordinaire M. Morrel. M. Morrel attribua l’embarras de Penelon à l’élégance de sa toilette: il était évident que le brave homme n’avait pas donné à son compte dans un pareil luxe; il était donc déjà engagé sans doute à bord de quelque autre bâtiment, et sa honte lui venait de ce qu’il n’avait pas, si l’on peut s’exprimer ainsi, porté plus longtemps le deuil du Pharaon. Peut-être même venait-il pour faire part au capitaine Gaumard de sa bonne fortune et pour lui faire part des offres de son nouveau maître.

      «Braves gens, dit Morrel en s’éloignant, puisse votre nouveau maître vous aimer comme je vous aimais, et être plus heureux que je ne le suis!»

      Août s’écoula dans des tentatives sans cesse renouvelées par Morrel de relever son ancien crédit ou de s’en ouvrir un nouveau. Le 20 août, on sut à Marseille qu’il avait pris une place à la malle-poste, et l’on se dit alors que c’était pour la fin du mois courant que le bilan devait être déposé, et que Morrel était parti d’avance pour ne pas assister à cet acte cruel, délégué sans doute à son premier commis Emmanuel et à son caissier Coclès. Mais, contre toutes les prévisions lorsque le 31 août arriva, la caisse s’ouvrit comme d’habitude. Coclès apparut derrière le grillage, calme comme le juste d’Horace, examina avec la même attention le papier qu’on lui présentait, et, depuis la première jusqu’à la dernière, paya les traites avec la même exactitude. Il vint même deux remboursements qu’avait prévus M. Morrel, et que Coclès paya avec la même ponctualité que les traites qui étaient personnelles à l’armateur. On n’y comprenait plus rien, et l’on remettait, avec la ténacité particulière aux prophètes de mauvaises nouvelles, la faillite à la fin de septembre.

      Le 1er, Morrel arriva: il était attendu par toute sa famille avec une grande anxiété; de ce voyage à Paris devait surgir sa dernière voie de salut. Morrel avait pensé à Danglars, aujourd’hui millionnaire et autrefois son obligé, puisque c’était à la recommandation de Morrel que Danglars était entré au service du banquier espagnol chez lequel avait commencé son immense fortune. Aujourd’hui Danglars, disait-on, avait six ou huit millions à lui, un crédit illimité. Danglars, sans tirer un écu de sa poche, pouvait sauver Morrel: il n’avait qu’à garantir un emprunt, et Morrel était sauvé. Morrel avait depuis longtemps pensé à Danglars; mais il y a de ces répulsions instinctives dont on n’est pas maître, et Morrel avait tardé autant qu’il lui avait été possible de recourir à ce suprême moyen. Il avait eu raison, car il était revenu brisé sous l’humiliation d’un refus.

      Aussi à son retour, Morrel n’avait-il exhalé aucune plainte, proféré aucune récrimination; il avait embrassé en pleurant sa femme et sa fille, avait tendu une main amicale à Emmanuel, s’était enfermé dans son cabinet du second, et avait demandé Coclès.

      «Pour cette fois, avaient dit les deux femmes à Emmanuel, nous sommes perdus.»

      Puis, dans un court conciliabule tenu entre elles, il avait été convenu que Julie écrirait à son frère, en garnison à Nîmes, d’arriver à l’instant même.

      Les pauvres femmes sentaient instinctivement qu’elles avaient besoin de toutes leurs forces pour soutenir le coup qui les menaçait.

      D’ailleurs, Maximilien Morrel, quoique âgé de vingt-deux ans à peine, avait déjà une grande influence sur son père.

      C’était un jeune homme ferme et droit. Au moment où il s’était agi d’embrasser une carrière, son père n’avait point voulu lui imposer d’avance un avenir et avait consulté les goûts du jeune Maximilien. Celui-ci avait alors déclaré qu’il voulait suivre la carrière militaire; il avait fait, en conséquence, d’excellentes études, était entré par le concours à l’École polytechnique, et en était sorti sous-lieutenant au 53ème de ligne. Depuis un an, il occupait ce grade, et avait promesse d’être nommé lieutenant à la première occasion. Dans le régiment, Maximilien Morrel était cité comme le rigide observateur, non seulement de toutes les obligations imposées au soldat, mais encore de tous les devoirs proposés à l’homme, et on ne l’appelait que le stoïcien. Il va sans dire que beaucoup de ceux qui lui donnaient cette épithète la répétaient pour l’avoir entendue, et ne savaient pas même ce qu’elle voulait dire.

      C’était ce jeune homme que sa mère et sa sœur appelaient à leur aide pour les soutenir dans la circonstance grave où elles sentaient qu’elles allaient se trouver.

      Elles ne s’étaient pas

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