Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le comte de Monte Cristo - Alexandre Dumas страница 90
À cette ouverture presque brutale, Morrel pâlit affreusement.
«Monsieur, dit-il, jusqu’à présent, et il y a plus de vingt-quatre ans que j’ai reçu la maison des mains de mon père qui lui-même l’avait gérée trente-cinq ans, jusqu’à présent pas un billet signé Morrel et fils n’a été présenté à la caisse sans être payé.
– Oui, je sais cela, répondit l’Anglais; mais d’homme d’honneur à homme d’honneur, parlez franchement. Monsieur, paierez-vous ceux-ci avec la même exactitude?»
Morrel tressaillit et regarda celui qui lui parlait ainsi avec plus d’assurance qu’il ne l’avait encore fait.
«Aux questions posées avec cette franchise, dit-il, il faut faire une réponse franche. Oui, monsieur, je paierai si, comme je l’espère, mon bâtiment arrive à bon port, car son arrivée me rendra le crédit que les accidents successifs dont j’ai été la victime m’ont ôté; mais si par malheur le Pharaon, cette dernière ressource sur laquelle je compte, me manquait…»
Les larmes montèrent aux yeux du pauvre armateur.
«Eh bien, demanda son interlocuteur, si cette dernière ressource vous manquait?…
– Eh bien, continua Morrel, monsieur, c’est cruel à dire… mais, déjà habitué au malheur, il faut que je m’habitue à la honte, eh bien, je crois que je serais forcé de suspendre mes paiements.
– N’avez-vous donc point d’amis qui puissent vous aider dans cette circonstance?»
Morrel sourit tristement.
«Dans les affaires, monsieur, dit-il, on n’a point d’amis, vous le savez bien, on n’a que des correspondants.
– C’est vrai, murmura l’Anglais. Ainsi vous n’avez plus qu’une espérance?
– Une seule.
– La dernière?
– La dernière.
– De sorte que si cette espérance vous manque…
– Je suis perdu, monsieur, complètement perdu.
– Comme je venais chez vous, un navire entrait dans le port.
– Je le sais, monsieur. Un jeune homme qui est resté fidèle à ma mauvaise fortune passe une partie de son temps à un belvédère situé au haut de la maison, dans l’espérance de venir m’annoncer le premier une bonne nouvelle. J’ai su par lui l’entrée de ce navire.
– Et ce n’est pas le vôtre?
– Non, c’est un navire bordelais, la Gironde; il vient de l’Inde aussi, mais ce n’est pas le mien.
– Peut-être a-t-il eu connaissance du Pharaon et vous apporte-t-il quelque nouvelle.
– Faut-il que je vous le dise, monsieur! je crains presque autant d’apprendre des nouvelles de mon trois-mâts que de rester dans l’incertitude. L’incertitude, c’est encore l’espérance.»
Puis, M. Morrel ajouta d’une voix sourde:
«Ce retard n’est pas naturel; le Pharaon est parti de Calcutta le 5 février: depuis plus d’un mois il devrait être ici.
– Qu’est cela, dit l’Anglais en prêtant l’oreille, et que veut dire ce bruit?
– Ô mon Dieu! mon Dieu! s’écria Morrel pâlissant, qu’y a-t-il encore?»
En effet, il se faisait un grand bruit dans l’escalier; on allait et on venait, on entendit même un cri de douleur.
Morrel se leva pour aller ouvrir la porte, mais les forces lui manquèrent et il retomba sur son fauteuil.
Les deux hommes restèrent en face l’un de l’autre, Morrel tremblant de tous ses membres, l’étranger le regardant avec une expression de profonde pitié. Le bruit avait cessé; mais cependant on eût dit que Morrel attendait quelque chose; ce bruit avait une cause et devait avoir une suite.
Il sembla à l’étranger qu’on montait doucement l’escalier et que les pas, qui étaient ceux de plusieurs personnes, s’arrêtaient sur le palier.
Une clef fut introduite dans la serrure de la première porte, et l’on entendit cette porte crier sur ses fonds.
«Il n’y a que deux personnes qui aient la clef de cette porte, murmura Morrel: Coclès et Julie.»
En même temps, la seconde porte s’ouvrit et l’on vit apparaître la jeune fille pâle et les joues baignées de larmes.
Morrel se leva tout tremblant, et s’appuya au bras de son fauteuil, car il n’aurait pu se tenir debout. Sa voix voulait interroger, mais il n’avait plus de voix.
«Ô mon père! dit la jeune fille en joignant les mains, pardonnez à votre enfant d’être la messagère d’une mauvaise nouvelle!»
Morrel pâlit affreusement; Julie vint se jeter dans ses bras.
«Ô mon père! mon père! dit-elle, du courage!
– Ainsi le Pharaon a péri?» demanda Morrel d’une voix étranglée.
La jeune fille ne répondit pas, mais elle fit un signe affirmatif avec sa tête, appuyée à la poitrine de son père.
«Et l’équipage? demanda Morrel.
– Sauvé, dit la jeune fille, sauvé par le navire bordelais qui vient d’entrer dans le port.»
Morrel leva les deux mains au ciel avec une expression de résignation et de reconnaissance sublime.
«Merci, mon Dieu! dit Morrel; au moins vous ne frappez que moi seul.»
Si flegmatique que fût l’Anglais, une larme humecta sa paupière.
«Entrez, dit Morrel, entrez, car je présume que vous êtes tous à la porte.»
En effet, à peine avait-il prononcé ces mots, que Mme Morrel entra en sanglotant; Emmanuel la suivait; au fond, dans l’antichambre, on voyait les rudes figures de sept ou huit marins à moitié nus. À la vue de ces hommes, l’Anglais tressaillit; il fit un pas comme pour aller à eux, mais il se contint et s’effaça au contraire, dans l’angle le plus obscur et le plus éloigné du cabinet.
Mme Morrel alla s’asseoir dans le fauteuil, prit une des mains de son mari dans les siennes, tandis que Julie demeurait appuyée à la poitrine de son père. Emmanuel était resté à mi-chemin de la chambre et semblait servir de lien entre le groupe de la famille Morrel et les marins qui se tenaient à la porte.
«Comment cela est-il arrivé? demanda Morrel.
– Approchez, Penelon, dit le jeune homme, et racontez l’événement.»
Un vieux matelot, bronzé par le soleil de l’équateur, s’avança roulant