L'île des pingouins. Anatole France

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L'île des pingouins - Anatole  France

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éternelle, se dit-il. Mais si Dieu veut que l’île soit transportée, qui pourrait empêcher qu’elle le fût?

      Et le saint homme du lin de son étole fila une corde très mince, d’une longueur de quarante pieds. Il noua un bout de cette corde autour d’une pointe de rocher qui perçait le sable de la grève et, tenant à la main l’autre bout de la corde, il entra dans l’auge de pierre.

      L’auge glissa sur la mer, et remorqua l’île des Pingouins; après neuf jours de navigation elle aborda heureusement au rivage des Bretons, amenant l’île avec elle.

      LIVRE II. LES TEMPS ANCIENS

      CHAPITRE PREMIER. LES PREMIERS VOILES

      Ce jour-là, saint Maël s’assit, au bord de l’océan, sur une pierre qu’il trouva brûlante. Il crut que le soleil l’avait chauffée, et il en rendit grâces au Créateur du monde, ne sachant pas que le Diable venait de s’y reposer.

      L’apôtre attendait les moines d’Yvern, chargés d’amener une cargaison de tissus et de peaux, pour vêtir les habitants de l’île d’Alca.

      Bientôt il vit débarquer un religieux nommé Magis, qui portait un coffre sur son dos. Ce religieux jouissait d’une grande réputation de sainteté.

      Quand il se fut approché du vieillard, il posa le coffre à terre et dit, en s’essuyant le front du revers de sa manche:

      – Eh bien, mon père, voulez-vous donc vêtir ces pingouins?

      – Rien n’est plus nécessaire, mon fils, répondit le vieillard. Depuis qu’ils sont incorporés à la famille d’Abraham, ces pingouins participent de la malédiction d’Ève, et ils savent qu’ils sont nus, ce qu’ils ignoraient auparavant. Et il n’est que temps de les vêtir, car voici qu’ils perdent le duvet qui leur restait après leur métamorphose.

      – Il est vrai, dit Magis, en promenant ses regards sur le rivage où l’on voyait les pingouins occupés à pêcher la crevette, à cueillir des moules, à chanter ou à dormir; ils sont nus. Mais ne croyez-vous pas, mon père, qu’il ne vaudrait pas mieux les laisser nus? Pourquoi les vêtir? Lors qu’ils porteront des habits et qu’ils seront soumis à la loi morale, ils en prendront un immense orgueil, une basse hypocrisie et une cruauté superflue.

      – Se peut-il, mon fils, soupira le vieillard, que vous conceviez si mal les effets de la loi morale à laquelle les gentils eux-mêmes se soumettent?

      – La loi morale, répliqua Magis, oblige les hommes qui sont des bêtes à vivre autrement que des bêtes, ce qui les contrarie sans doute; mais aussi les flatte et les rassure; et, comme ils sont orgueilleux, poltrons et avides de joie, ils se soumettent volontiers à des contraintes dont ils tirent vanité et sur lesquelles ils fondent et leur sécurité présente et l’espoir de leur félicité future. Tel est le principe de toute morale.... Mais ne nous égarons point. Mes compagnons déchargent en cette île leur cargaison de tissus et de peaux. Songez-y, mon père, tandis qu’il en est temps encore! C’est une chose d’une grande conséquence que d’habiller les pingouins. À présent, quand un pingouin désire une pingouine, il sait précisément ce qu’il désire, et ses convoitises sont bornées par une connaissance exacte de l’objet convoité. En ce moment, sur la plage, deux ou trois couples de pingouins font l’amour au soleil. Voyez avec quelle simplicité! Personne n’y prend garde et ceux qui le font n’en semblent pas eux-mêmes excessivement occupés. Mais quand les pingouines seront voilées, le pingouin ne se rendra pas un compte aussi juste de ce qui l’attire vers elles. Ses désirs indéterminés se répandront en toutes sortes de rêves et d’illusions; enfin, mon père, il connaîtra l’amour et ses folles douleurs. Et, pendant ce temps, les pingouines, baissant les yeux et pinçant les lèvres, vous prendront des airs de garder sous leurs voiles un trésor!… Quelle pitié!

      Le mal sera tolérable tant que ces peuples resteront rudes et pauvres; mais attendez seulement un millier d’années et vous verrez de quelles armes redoutables vous aurez ceint, mon père, les filles d’Alca. Si vous le permettez, je puis vous en donner une idée par avance. J’ai quelques nippes dans cette caisse. Prenons au hasard une de ces pingouines dont les pingouins font si peu de cas, et habillons-la le moins mal que nous pourrons.

      En voici précisément une qui vient de notre côté. Elle n’est ni plus belle ni plus laide que les autres; elle est jeune. Personne ne la regarde. Elle chemine indolemment sur la falaise, un doigt dans le nez et se grattant le dos jusqu’au jarret. Il ne vous échappe pas, mon père, qu’elle a les épaules étroites, les seins lourds, le ventre gros et jaune, les jambes courtes. Ses genoux, qui tirent sur le rouge, grimacent à tous les pas qu’elle fait, et il semble qu’elle ait à chaque articulation des jambes une petite tête de singe. Ses pieds, épanouis et veineux, s’attachent au rocher par quatre doigts crochus, tandis que les gros orteils se dressent sur le chemin comme les têtes de deux serpents pleins de prudence. Elle se livre à la marche; tous ses muscles sont intéressés à ce travail, et, de ce que nous les voyons fonctionner à découvert, nous prenons d’elle l’idée d’une machine à marcher, plutôt que d’une machine à faire l’amour, bien qu’elle soit visiblement l’une et l’autre et contienne en elle plusieurs mécanismes encore. Eh bien, vénérable apôtre, vous allez voir ce que je vais vous en faire.

      À ces mots, le moine Magis atteint en trois bonds la femme pingouine, la soulève, l’emporte repliée sous son bras, la chevelure traînante, et la jette épouvantée aux pieds du saint homme Maël.

      Et tandis qu’elle pleure et le supplie de ne lui point faire de mal, il tire de son coffre une paire de sandales et lui ordonne de les chausser.

      – Serrés dans les cordons de laine, ses pieds, fit-il observer au vieillard, en paraîtront plus petits. Les semelles, hautes de deux doigts, allongeront élégamment ses jambes et le faix qu’elles portent en sera magnifié.

      Tout en nouant ses chaussures, la pingouine jeta sur le coffre ouvert un regard curieux, et, voyant qu’il était plein de joyaux et de parures, elle sourit dans ses larmes.

      Le moine lui tordit les cheveux sur la nuque et les couronna d’un chapeau de fleurs. Il lui entoura les poignets de cercles d’or et, l’ayant fait mettre debout, il lui passa sous les seins et sur le ventre un large bandeau de lin, alléguant que la poitrine en concevrait une fierté nouvelle et que les flancs en seraient évidés pour la gloire des hanches.

      Au moyen des épingles qu’il tirait une à une de sa bouche, il ajustait ce bandeau.

      – Vous pouvez serrer encore, fit la pingouine.

      Quand il eut, avec beaucoup d’étude et de soins, contenu de la sorte les parties molles du buste, il revêtit tout le corps d’une tunique rose, qui en suivait mollement les lignes.

      – Tombe-t-elle bien? demanda la pingouine.

      Et, la taille fléchie, la tête de côté, le menton sur l’épaule, elle observait d’un regard attentif la façon de sa toilette.

      Magis lui ayant demandé si elle ne croyait pas que la robe fût un peu longue, elle répondit avec assurance que non, qu’elle la relèverait.

      Aussitôt, tirant de la main gauche sa jupe par derrière, elle la serra obliquement au-dessus des jarrets, prenant soin de découvrir à peine les talons. Puis elle s’éloigna à pas menus en balançant les hanches.

      Elle ne tournait pas la tête; mais en passant près d’un ruisseau, elle s’y mira du coin de l’oeil.

      Un pingouin, qui

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