Les aventures du capitaine Corcoran. Alfred Assollant

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Les aventures du capitaine Corcoran - Alfred  Assollant

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les chasseurs disparurent au tournant de la route, et Rama, tout affligé, alla se consoler en montant sur les épaules de Scindiah, après quoi il dit qu'il était plus grand que les plus grands arbres et qu'il décrocherait la lune, s'il voulait.

      Mais il ne la décrocha pas, et sa mère l'admira pour avoir dit une si belle chose, comme elle l'admirait quand il avait déjeuné de bon appétit ou quand il se laissait moucher sans crier, ou quand il chantait en criant, ou quand il criait en chantant, ou quand il avait la colique, ou quand il buvait de l'huile de ricin, ou quand il prenait un lavement, ou quand il ne prenait rien. Sita l'admirait toujours, et c'est une bénédiction de Dieu que d'avoir donné aux mères une admiration si constante et si infatigable pour ces petits morveux.

      Pour revenir à Corcoran et à son compagnon, ils s'enfoncèrent dans la forêt et allèrent se poster à l'entrée d'un carrefour par où devait passer nécessairement le rhinocéros. Cependant les traqueurs s'avançaient avec de grands cris dans les jungles et jetaient de grosses pierres pour effrayer l'animal et le faire sortir de sa retraite. Tout à coup ces cris changèrent de nature. En cherchant le rhinocéros, ils avaient éveillé un tigre royal de la plus grande espèce, qui dormait tranquillement à l'ombre.

      Il se leva lentement, étira ses quatre membres et jeta autour de lui un regard distrait. Il entendit le bruit des tam-tams et, soit qu'il fût effrayé de cette musique étrange, soit, ce qui est probable, qu'il fût amateur de mélodies plus douces et plus harmonieuses, il s'élança tout à coup dans la direction du carrefour et, par bonds immenses, arriva sans être vu jusqu'à Corcoran lui-même. Celui-ci, à cheval, le doigt sur la détente de sa carabine, attendait le rhinocéros et regardait en face de lui. De l'autre côté, le docteur Ruskaert voyait venir le tigre et aurait dû avertir son compagnon; mais il n'en fit rien; était-il troublé par la peur, ou plutôt, comme le maharajah le présuma plus tard, aurait-il été bien aise de sa mort?

      Tout à coup un poids énorme tomba sur la croupe du cheval de Corcoran et la fit plier jusqu'à terre. C'était le tigre qui venait l'attaquer par derrière. Comme le Malouin avait le doigt sur la détente, le choc du tigre fit partir en l'air le coup de sa carabine, et il se trouva désarmé. De plus, le cheval blessé mortellement, s'abattit d'une façon si malheureuse que le cavalier demeura immobile, ayant une jambe engagée sous le corps de sa monture. Il s'écria aussitôt:

      «A moi! à moi! Ruskaert! Tirez donc! tirez vite!»

      Mais Ruskaert demeura immobile et attentif, quoiqu'il fût armé et qu'il pût aisément faire feu.

      Dans cette situation désespérée, Corcoran ne perdit pas courage. Comme il n'avait pas le temps de prendre son revolver suspendu à sa ceinture, il donna avec la crosse de sa carabine un coup si formidable sur le mufle du tigre, dont il sentait déjà la chaleur sur son cou, que le tigre lâcha prise et recula de douleur.

      Ce ne fut qu'une seconde, mais elle suffit à Corcoran pour se dégager et se trouver debout. De la main gauche saisissant son revolver, il allait faire feu sur le tigre qui revenait à la charge, lorsqu'un accident imprévu mit fin au combat.

      Tout à coup, un autre tigre, un peu moins grand, mais plus beau que le premier, arriva en bondissant, et, au lieu de secourir son camarade, le saisit à la gorge avec ses dents, le roula à terre et lui administra une correction si sévère que Corcoran lui-même en demeura stupéfait, et que le docteur Scipio Ruskaert en ouvrit des yeux plus grands que des portes cochères.

      Ce tigre, ou plutôt cette tigresse au pelage soyeux, lustré, brillant, tacheté, l'avez-vous deviné? c'était Louison. Quant à l'autre, c'était son frère Garamagrif, qu'elle avait suivi au fond des bois et qu'elle avait épousé suivant la coutume des tigres de Java.

      On a parlé beaucoup de la cruauté des tigres, et M. de Buffon, naturaliste qui avait plus de style que de science, a écrit de fort belles choses sur le mauvais caractère de ces animaux; mais, dites-moi, quelle est la femme qui aurait montré plus d'honneur, plus de vertu, de bonté, de douceur et de sensibilité véritable que Louison ne fit en cette occasion? Pour moi, je n'en connais pas. Et ce qui n'est pas moins admirable que la générosité de Louison, c'est l'abnégation sublime et la soumission du pauvre tigre, son époux, qui recevait sans rien dire une correction qu'en conscience il n'avait pas méritée; car enfin il n'avait jamais été, lui, l'ami de Corcoran.

      Cependant le Malouin n'eut pas plus tôt reconnu la tigresse, qu'il sentit renaître toute sa tendresse pour cette ancienne amie. Il remit son revolver à sa ceinture et s'écria:

      «Louison! ma chère Louison! viens dans mes bras!»

      Et elle y vint, car c'était bien sa place.

      «Tu vas rentrer avec moi à Bhagavapour,» dit Corcoran.

      Cette proposition, à laquelle elle devait pourtant s'attendre, jeta Louison dans un grand embarras. Elle regarda par-dessus son épaule le grand tigre, qui considérait cette scène avec une morne tristesse.

      Le pauvre garçon tremblait d'être abandonné.

      Corcoran comprit le sens de ce regard.

      «Et toi aussi, tu viendras, grand nigaud, dit-il.... Allons, c'est décidé, n'est-ce pas?»

      Mais le grand tigre demeurait immobile et morne. Alors Louison s'approcha et miaula à son oreille quelques douces paroles, dont voici probablement le sens:

      «Que crains-tu, ami chéri de mon coeur? Ne suis-je pas avec toi?»

      Le tigre grogna ou plutôt rugit:

      «C'est un piège. Je reconnais ce maharajah. C'est celui qui te gardait sous son toit pendant que je m'enrhumais dans le fossé, en te suppliant de revenir dans nos forêts. Chère Louison, crains ses discours enchanteurs.»

      Ici Louison parut ébranlée.

      «Tu seras libre chez moi, reprit Corcoran, libre et maîtresse comme autrefois. Laisse là ce bourru, ce rustre qui ne peut pas te comprendre, ou, si tu ne veux pas renoncer à lui, emmène-le-moi avec toi. Je le supporterai, je l'aimerai, je le civiliserai à cause de toi.»

      On ne sait comment aurait fini l'entretien, si l'arrivée d'un nouveau venu n'avait résolu la question. Ce nouveau venu était un jeune tigre d'une beauté admirable. Il était à peu près gros comme un chien de taille moyenne et paraissait n'avoir pas plus de trois mois. Corcoran devina qu'il était le fils de Louison, et profita de cette découverte pour employer un argument irrésistible et décider la victoire.

      Le jeune tigre s'approcha de sa mère par bonds et par sauts, regardant alternativement Louison et Corcoran. Il alla d'abord frotter son mufle roux contre celui de sa mère et, sans étonnement, sans sauvagerie, il fixa avec curiosité ses yeux sur ceux du maharajah.

      Celui-ci le prit dans ses bras, le caressa doucement.

      «Et toi, petit, dit-il, veux-tu venir avec moi?»

      Le jeune tigre consulta les yeux de sa mère, et y lisant sa tendresse pour Corcoran, rendit au Malouin ses caresses, ce qui décida du sort de toute la famille. Voyant que son fils acceptait la proposition, Louison l'accepta également, et le grand tigre ne put faire autrement que de suivre ce double exemple.

      Le Malouin, voyant l'affaire décidée et plein de joie d'avoir retrouvé Louison, ne pensa plus au rhinocéros et donna le signal du départ.

      «La journée a mieux fini que je ne l'espérais, dit-il à Ruskaert. Un instant j'ai cru que j'allais devenir la proie des tigres.... Mais vous, ajouta-t-il après réflexion, pourquoi n'avez-vous

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