Les aventures du capitaine Corcoran. Alfred Assollant

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Les aventures du capitaine Corcoran - Alfred  Assollant

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craint de manquer mon coup et de vous tuer au lieu du tigre, dit-il avec assez de sang-froid.

      «Hum! hum! c'est bien de la prudence, répliqua le Malouin.... Voilà qui n'est pas clair, ajouta-t-il en lui-même. Au reste qui vivra verra.»

      Le retour à Bhagavapour fut une marche triomphale. Louison faisait des bonds de joie. Le grand tigre la suivait d'un air un peu honteux, tandis que leur jeune héritier, aussi joyeux que sa mère, ne paraissait sensible qu'au plaisir de voir des choses nouvelles, des palais, des rues, des places, des pagodes et les habitations des hommes.

      Cependant le Malouin remarqua que Louison, dont il connaissait le bon sens, s'écartait de l'Allemand après l'avoir flairé, et lui paraissait peu sympathique. Il se rappela qu'elle n'aimait pas les traîtres.

      On arriva enfin au palais. A la vue de cette famille nouvelle, tous les serviteurs poussèrent des cris de frayeur, et Sita elle-même, à peine rassurée par la présence de Corcoran, se rejeta du côté de Scindiah en portant le petit Rama dans ses bras.

      Mais, contre toute attente, Rama seul ne montra aucune crainte. Il s'avança gaiement vers Louison et la caressa de sa petite main comme s'il l'avait connue depuis longtemps. De son côté, la tigresse lui lécha doucement la figure et lui présenta le petit tigre qui, rentrant ses griffes et faisant patte de velours, avait l'air d'un aîné qui caresse son jeune frère.

      «Voici ma chère Louison, dit Corcoran, tu la reconnais, Sita? c'est à elle que nous avons dû plus d'une fois la vie et la liberté. Son mari, ce grand bête que voilà et qui fait une si piteuse mine, c'est le seigneur Garamagrif; enfin, voici leur fils, ce jeune garçon joyeux que tu vois bondir et lutter avec Rama, et que nous appellerons Moustache, si tu le veux bien. Et maintenant le baptême est terminé, mes enfants, allons souper.»

      La suite ne démentit pas cet heureux début. Rama et son compagnon, le petit tigre Moustache, furent bientôt une paire d'amis. Ils se livraient, sous la garde et la surveillance de Louison, à tous les jeux de leur âge. Cette surveillance d'ailleurs n'était pas inutile. Rama, peu discipliné, se sentait fils de roi et voulait commander. Moustache, de son côté, se sentait fils de tigre et ne voulait pas obéir: Louison avait bien de la peine à maintenir la paix.

      Elle avait encore d'autres inquiétudes.

      On se souvient de la manière dont elle avait quitté Corcoran deux ans auparavant. Ce départ lui avait attiré une querelle violente avec Scindiah, et elle n'avait pas oublié ses procédés un peu vifs. D'un autre côté, Garamagrif avait emporté avec ses dents un morceau de la queue de l'éléphant; Scindiah, à son tour, avait failli tuer Garamagrif d'un coup de pierre. De quel oeil ces deux guerriers redoutables allaient-ils se revoir? Toute l'autorité de Corcoran lui-même suffirait-elle à empêcher une bataille sanglante entre ces ennemis mortels?

      Si quelqu'un s'étonne que les animaux tiennent une place si honorable dans mon histoire, tandis que je néglige les marquis, les comtes, les ducs, les archiducs et les grands-ducs, dont le monde est rempli et comme encombré, j'ose dire que mes héros, bien qu'ils ne marchent pas précédés de tambours et de trompettes, ne sont pas moins intéressants que ceux qu'on voit parader à la tête des régiments, et que leurs passions ne sont ni moins vives ni moins violentes. J'irai plus loin. Scindiah, avec sa gravité, son silence, son sang-froid, son impassibilité et sa trompe immense, qui n'était au fond qu'un nez un peu trop allongé, avait une ressemblance prodigieuse avec plusieurs de ces grands et nobles personnages qui règlent le destin des royaumes. Louison, si fine, si légère, si courageuse, si dévouée à ses amis, aurait pu servir de modèle à plusieurs grandes dames, et elle avait assurément autant d'esprit et de bon sens qu'aucun être humain ou inhumain (le seul Corcoran excepté); par sa force et son impétuosité sans pareilles, elle en aurait remontré à tous les généraux de cavalerie des temps anciens et modernes; et si elle avait eu la parole, elle eût commandé la charge et donna l'exemple aussi bien que Murat et Blücher.

      Que me reprochez-vous donc? Sommes-nous si sûrs d'être supérieurs à tous les autres êtres de la création, que nulle histoire ne nous plaise, excepté la nôtre?

      Oui, je préfère le tigre à l'homme. Le tigre est beau, il est fort; il n'est pas intempérant ou dissolu, il a peu d'amis, mais il les choisit avec soin et ne s'expose pas à les trahir ou à être trahi par eux; il ne flatte personne; il aime la solitude, comme tous les philosophes illustres; il a horreur de l'esclavage pour lui-même et n'a jamais réduit personne en servitude:– enfin, c'est l'une des plus nobles créatures de Dieu.

      De quel homme, si ce n'est de mon lecteur, pourrait-on faire le même éloge?

      VI. Où le docteur Scipio Ruskaert se dévoile.

      Lettre de George-William Doubleface, esq., chef de la police secrète de Calcutta, à lord Henri Braddock, gouverneur général de l'Indoustan.

      Bhagavapour, 15 février 1860.

      «Mylord,

      «Le courrier qui remettra ce rapport à Votre Seigneurie est un homme sûr, et je réponds de sa fidélité.

      «Suivant les ordres de Votre Seigneurie, j'ai pris la route de Bhagavapour, et je me suis présenté à la cour du soi-disant maharajah Corcoran avec les lettres de créance que Votre Seigneurie a bien voulu demander pour moi à sir Samuel Barrowlinson. Sous le nom du docteur Scipio Ruskaert, de l'Université d'Iéna, j'ai pénétré sans peine auprès du capitaine Corcoran, qui m'a reçu d'abord avec défiance, je dois l'avouer; mais bientôt cette défiance, qui paraît, du reste, fort étrangère à son caractère habituel, a fait place à des sentiments meilleurs. Quelle que soit sa pénétration, et je dois dire qu'elle dépasse tout ce qu'on peut imaginer, son insouciance et son intrépidité sont encore supérieures; aussi n'ai-je rencontré aucun obstacle dans l'accomplissement de la mission dont Votre Seigneurie a bien voulu m'honorer.

      «D'abord, il ne m'a pas été difficile d'obtenir la confiance de la reine Sita. La photographie, tout à fait inconnue dans ce pays reculé, m'a servi de passe-port auprès de la fille d'Holkar, qui n'a pas résisté au plaisir de voir son image et celle de son fils,– un marmot de deux ans,– reproduites et tirées à vingt mille exemplaires. Dans tel cas donné, c'est un signalement tout trouvé. Pour cette raison, j'aurais vivement désiré joindre à ma collection le portrait du capitaine Corcoran; mais il s'est toujours refusé à poser devant moi, et j'ai craint, en insistant trop, de faire naître ses soupçons.

      «En revanche, aussitôt qu'il a connu la lettre de sir John Barrowlinson, il s'est empressé de mettre à mon service ses armes, ses roupies, ses chevaux, ses éléphants et de me donner toute facilité d'aller et de venir dans ses États. Grâce à ma connaissance parfaite de la langue hindoustani, j'ai déjà trouvé moyen de recueillir les informations les plus variées et les plus sûres, et je m'empresse d'envoyer sous ce pli à Votre Seigneurie le tableau des forces de terre et de mer du royaume d'Holkar. Je dis: et de mer, car, malgré la répugnance des Indous pour la marine, le capitaine a gardé son brick et l'a fait armer en guerre, soit que, prévoyant le sort que lui réserve Votre Seigneurie, il le garde pour protéger sa fuite, soit qu'il ait, car on doit tout craindre d'un tel homme, quelque raison de compter sur l'appui de ses compatriotes. Votre Seigneurie, dans sa sagesse, appréciera mieux que moi les motifs réels de la conduite de cet aventurier.

      «Votre Seigneurie, mylord, est priée de remarquer que l'armée dont elle verra l'énumération sur le tableau ci-joint, n'est pas, comme on pourrait le croire d'après les usages généralement reçus en Orient et en Occident, une armée sur le papier, et que les non-valeurs n'y tiennent aucune place. J'ai eu plus d'une fois occasion de vérifier avec quelle exactitude le capitaine se rend compte de l'effectif réel de ses troupes et de leur instruction, et je dois ajouter

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