A se tordre. Alphonse Allais

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A se tordre - Alphonse Allais

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bons pousse-café, et on était très rouge quand on songea à se faire livrer la pièce en question.

      – Ne nous mettons pas en retard, remarqua Raoul.

      Je crois avoir observé plus haut qu’il faisait une jolie journée ; or une jolie journée ne va pas sans un peu de chaleur, et la chaleur est bien connue pour donner soif à la troupe en général, et particulièrement à l’artillerie, qui est une arme d’élite.

      Heureusement, la Providence, qui veille à tout, a saupoudré les bords de la Seine d’un nombre appréciable de joyeux mastroquets, humecteurs jamais las des gosiers desséchés.

      Raoul et ses hommes absorbèrent des flots de ce petit argenteuil qui vous évoque bien mieux l’idée du saphir que du rubis, et qui vous entre dans l’estomac comme un tire-bouchon.

      On arrivait aux fortifications.

      – Pas de blagues, maintenant ! commande Montcocasse plein de dignité, nous voilà en ville.

      Et les artilleurs, subitement envahis par le sentiment du devoir, s’appliquèrent à prendre des attitudes décoratives, en rapport avec la mission qu’ils accomplissaient.

      Le canon lui-même, une bonne pièce de Bange de 90, sembla redoubler de gravité.

      À la hauteur du pont Royal, Raoul se souvint qu’il avait tout près, dans le faubourg Saint-germain, une brave tante qu’il avait désolée par ses jeunes débordements.

      – C’est le moment, se dit-il, de lui montrer que je suis arrivé à quelque chose.

      Au grand galop, avec l’épouvantable tumulte de bronze sur les pavés de la rue de l’Université, on arriva devant le vieil hôtel de la douairière de Montcocasse.

      Tout le monde était aux fenêtres, la douairière comme les autres.

      Raoul fit caracoler son cheval, mit le sabre au clair, et, saisissant son képi comme il eût fait de quelque feutre empanaché, il salua sa tante ahurie – tels les preux, sans ancêtres – et disparut, lui, ses hommes et son canon, comme en rêve.

      La petite troupe, toujours au galop, enfila la rue de Vaugirard, et l’on se trouva bientôt à l’Odéon.

      Justement, il y avait un encombrement. Un omnibus Panthéon – Place Courcelles jonchait le sol, un essieu brisé.

      Toutes les petites femmes de la Brasserie Médicis étaient sur la porte, ravies de l’accident.

      Raoul, qui avait été l’un de leurs meilleurs clients, fut reconnu tout de suite :

      – Raoul ! ohé Raoul ! Descends donc de ton cheval, hé feignant !

      Sans être pour cela un feignant, Raoul descendit de son cheval, et ne crut pas devoir passer si près du Médicis sans offrir une tournée à ces dames.

      Avec la solidarité charmante des dames du Quartier latin, Nana conseilla fortement à Raoul d’aller voir Camille, au Furet. Ça lui ferait bien plaisir.

      Effectivement, cela fit grand plaisir à Camille de voir son ami Raoul en si bel attirail.

      – Va donc dire bonjour à Palmyre, au Coucou. Ça lui fera bien plaisir.

      On alla dire bonjour à Palmyre, laquelle envoya Raoul dire bonjour à Renée, au Pantagruel.

      Docile et tapageur, le bon canon suivait l’orgie, l’air un peu étonné du rôle insolite qu’on le forçait à jouer.

      Les petites femmes se faisaient expliquer le mécanisme de l’engin meurtrier, et même Blanche, du D’Harcourt, eut à ce propos une réflexion que devraient bien méditer les monarques belliqueux :

      – Faut-il que les hommes soient bêtes de fabriquer des machines comme ça, pour se tuer… comme si on ne claquait pas assez vite tout seul !

      De bocks en fines champagnes, de fines champagnes en absinthes anisettes, d’absinthes en bitters, on arriva tout doucement à sept heures du soir.

      Il était trop tard pour rentrer. On dîna au Quartier latin, et on y passa la soirée.

      Les sergents de ville commençaient à s’inquiéter de ce bruyant canon et de ces chevaux fumants qu’on rencontrait dans toutes les rues à des allures inquiétantes.

      Mais que voulez-vous que la police fasse contre l’artillerie ?

      Au petit jour, Raoul, ses hommes et son canon faisaient une entrée modeste dans le fort de Vincennes.

      Au risque d’affliger le lecteur sensible, j’ajouterai que le pauvre Raoul fut cassé de son grade et condamné à quelques semaines de prison.

      À la suite de cette aventure, complètement dégoûté de l’artillerie, il obtint de passer dans un régiment de spahis, dont il devint tout de suite le plus brillant ornement.

      UN MOYEN COMME UN AUTRE

      – Il y avait une fois un oncle et un neveu.

      – Lequel qu’était l’oncle ?

      – Comment, lequel ? C’était le plus gros, parbleu !

      – C’est donc gros, les oncles ?

      – Souvent.

      – Pourtant, mon oncle Henri n’est pas gros.

      – Ton oncle Henri n’est pas gros parce qu’il est artiste.

      – C’est donc pas gros, les artistes ?

      – Tu m’embêtes… Si tu m’interromps tout le temps, je ne pourrai pas continuer mon histoire.

      – Je ne vais plus t’interrompre, va.

      – Il y avait une fois un oncle et un neveu. L’oncle était très riche, très riche…

      – Combien qu’il avait d’argent ?

      – Dix-sept cents milliards de rente, et puis des maisons, des voitures, des campagnes…

      – Et des chevaux ?

      – Parbleu ! puisqu’il avait des voitures.

      – Des bateaux ? Est-ce qu’il avait des bateaux ?

      – Oui, quatorze.

      – À vapeur ?

      – Il y en avait trois à vapeur, les autres étaient à voiles.

      – Et son neveu, est-ce qu’il allait sur les bateaux ?

      – Fiche-moi la paix ! Tu m’empêches de te raconter l’histoire.

      – Raconte-la, va, je ne vais plus t’empêcher.

      – Le neveu, lui, n’avait pas le sou, et ça l’embêtait énormément…

      – Pourquoi que son oncle lui en donnait pas ?

      – Parce que son oncle était un

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