Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 1 - Fortuné du Boisgobey

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me suis trouvée seule avec lui sur l’esplanade, à côté de l’église de la Madeleine, j’avoue que j’ai un peu perdu la tête. J’ai couru pour gagner la rue Royale qui est plus fréquentée. Je me serais mise sous la protection du premier passant venu… Mon persécuteur a couru après moi, il m’a rattrapée à l’entrée du boulevard Malesherbes, il a cherché à me prendre le bras. Si je ne vous avais pas aperçu, je crois que je serais morte de frayeur.

      – Prébord s’est conduit comme un goujat; demain, je lui enverrai deux de mes amis.

      – Vous ne ferez pas cela, dit vivement la jeune fille. Songez donc au scandale qui en résulterait… si on savait que j’étais seule dans la rue… à cette heure. Et puis… exposer votre vie pour moi!… Non, non… promettez-moi que vous ne vous battrez pas.

      Sa voix tremblait, et son bras serrait le bras de Gaston, comme si elle eût cherché à le retenir, pour l’empêcher de courir au danger.

      – Soit! répondit Darcy assez ému, je me tairai, de peur de vous compromettre. Si cet homme venait à savoir que c’est vous qu’il a rencontrée, il est assez lâche pour raconter cette histoire dans le monde.

      – Alors, vous me le jurez, il n’y aura pas de duel, s’écria mademoiselle Lestérel. Vous me rendez bien heureuse, et, pour vous remercier, je vais vous dire comment il s’est fait que je me suis trouvée dans la rue à une heure où les honnêtes femmes dorment. Il est temps en vérité que je vous l’explique, et j’aurais dû commencer par là, car Dieu sait ce que vous devez penser de moi.

      – Je pense que vous êtes allée chanter dans quelque concert, dit Darcy d’un air innocent qui cachait une arrière-pensée.

      Le futur magistrat parlait comme un juge d’instruction qui tend un piège à un prévenu.

      – Si j’étais allée à un concert, répliqua aussitôt la jeune fille, je serais en toilette de soirée, et je ne reviendrais pas à pied.

      »Je vais vous confier tous mes secrets, ajouta-t-elle gaiement. Sachez donc que j’ai une sœur… une sœur mariée à un marin qui revient d’une longue campagne de mer… Il est absent depuis dix-huit mois, et il sera à Paris dans deux jours. En ce moment ma sœur est seule et très souffrante. Elle m’a écrit tantôt pour me prier de venir passer la soirée près d’elle. J’y suis allée, et vers dix heures, alors que j’allais partir, elle a été prise d’une crise nerveuse… elle y est sujette. Je ne pouvais pas la quitter dans l’état où elle était, et quand je suis sortie de chez elle, il était deux heures du matin. Je n’avais pas voulu envoyer chercher un fiacre… ma sœur n’a qu’une domestique… et je pensais en trouver un sur le boulevard. Ma chère malade demeure rue Caumartin… c’est à cent pas de sa maison que j’ai rencontré cet homme.

      Darcy écoutait avec beaucoup d’attention ce récit haché, et il trouvait que mademoiselle Lestérel se justifiait un peu comme une femme prise en faute. Au cours de ses nombreuses excursions dans le demi-monde, il avait entendu dix fois des histoires de ce genre débitées avec un aplomb supérieur par des demoiselles qu’il accusait de sorties illégitimes et qu’il n’avait pas tort d’accuser. La sœur malade et la cousine en couches ont toujours été d’un grand secours aux infidèles.

      Darcy s’abstint pourtant de toute réflexion, mais son silence en disait assez, et la jeune fille ne s’y méprit pas. Elle se tut aussi pendant quelques instants, puis, d’une voix émue:

      – Je vois bien que vous ne me croyez pas. Avec tout autre, je dédaignerais de me justifier. À vous, je tiens à prouver que j’ai dit la vérité. Ma sœur s’appelle madame Crozon. Elle demeure rue Caumartin, 112, au quatrième. J’irai la voir demain à trois heures. Son mari n’arrivera qu’après-demain. S’il était ici, je ne vous proposerais pas de vous présenter à elle, car il est horriblement jaloux. Mais ma pauvre Mathilde a encore un jour de liberté, et s’il vous plaît de m’attendre à la porte de sa maison, nous monterons chez elle ensemble. Je lui raconterai devant vous mon aventure nocturne, et de cette façon, je pense, vous serez sûr que je n’ai rien inventé.

      Darcy ne paraissait pas encore convaincu. Il avait beaucoup vécu avec des personnes dont la fréquentation rend défiant.

      Mademoiselle Lestérel le regarda et lut sur sa figure qu’il lui restait un doute. Elle devint très pâle, et elle reprit froidement:

      – Vous avez raison, monsieur. Cela ne prouverait pas que ma sœur n’est pas d’accord avec moi pour mentir. Je pourrais en effet lui écrire demain matin, la prévenir qu’elle aura à jouer un rôle que je lui tracerais d’avance. Je ne pouvais pas croire que vous me jugeriez capable d’une si vilaine action. Veuillez donc oublier ce que je viens de vous dire, et penser de moi ce qu’il vous plaira.

      Il y a des accents que la plus habile comédienne ne saurait feindre, des indignations qu’on n’imite pas, des réponses où la vérité éclate à chaque mot.

      Darcy fut touché au cœur et comprit enfin qu’il n’y avait rien de commun entre cette fière jeune fille et les belles petites qui forgent des romans pour se justifier.

      – Pardonnez-moi, mademoiselle, dit-il chaleureusement, pardonnez-moi d’avoir un instant douté de vous. Je vous crois, je vous le jure, et pour vous prouver que je vous crois, j’irais jusqu’à renoncer à faire avec vous cette visite à madame votre sœur. Mais, j’espère que vous ne retirerez pas votre promesse. Je serais si heureux de vous revoir… et c’est un bonheur que j’ai si rarement.

      – Vous me verrez samedi prochain, si vous venez ce soir-là chez madame Cambry, dit mademoiselle Lestérel, avec quelque malice. J’y chanterai les airs que vous aimez. Et maintenant, sachez que je ne vous en veux plus du tout, mais que je trouve plus sage de ne pas vous mener chez ma sœur. Votre visite la troublerait beaucoup. Elle a bien assez de chagrins. Il est inutile de lui donner des émotions.

      – Je ferai ce que vous voudrez, mademoiselle, quoi qu’il m’en coûte.

      – Vous tenez donc bien à me rencontrer? Il me semble que les occasions ne vous manquent pas. Vous allez dans toutes les maisons où l’on me fait venir.

      – N’avez-vous pas deviné que j’y vais pour vous? Et n’avez-vous pas compris ce que je souffre de ne pas pouvoir vous parler… vous dire…

      – Mais il me semble que vous me parlez assez souvent, répondit en riant mademoiselle Lestérel. Je ne suis pas toujours au piano, et on ne me traite pas partout comme une gagiste. Quand on me permet de prendre ma part d’une sauterie improvisée, vous savez fort bien m’inviter. Et, un certain soir, vous m’avez fait deux fois l’honneur de valser avec moi. C’était l’avant-veille du jour de l’an.

      – Vous vous en souvenez!

      – Parfaitement. Et il me paraît que vous l’avez un peu oublié… comme vous avez oublié que, depuis cinq minutes, nous sommes dans la rue de Ponthieu. Voici la porte de ma maison.

      – Déjà!

      – Mon Dieu! oui; il ne me reste qu’à vous remercier encore et à vous dire: Au revoir!

      Elle avait doucement dégagé son bras, et une de ses mains s’était posée sur le bouton de cuivre. Elle tendit l’autre à Darcy, qui, au lieu de la serrer à l’anglaise, essaya de la porter à ses lèvres. Malheureusement pour lui, la porte s’était ouverte au premier tintement de la sonnette, et mademoiselle Berthe était leste comme une gazelle. Elle dégagea sa main et elle se glissa dans la maison en disant de sa voix

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