Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 1 - Fortuné du Boisgobey

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il n’aurait tenu qu’à vous d’être une étoile au théâtre.

      – Oh! je ne regrette pas d’avoir refusé d’y entrer. Je n’avais aucun goût pour la vie qu’on y mène. Ma modeste existence me suffit.

      – Et, demanda Gaston, la solitude à laquelle vous vous êtes condamnée ne vous pèse pas?

      – Mon Dieu! répondit gaiement la jeune fille, je ne prétends pas qu’elle représente pour moi l’idéal du bonheur, mais je m’en accommode. Il y a certes des femmes plus heureuses que moi. Il y en a aussi de plus malheureuses. Tenez! j’ai été élevée dans un pensionnat avec une jeune fille charmante. Je l’aimais beaucoup et nous étions très liées, quoiqu’elle fût plus âgée que moi. Eh bien! aujourd’hui, elle a un hôtel, des chevaux, des voitures.

      – Pardon, mais il me semble que ce n’est pas là un grand malheur.

      – Hélas! je n’en sais pas de pire. Mon amie a pris le mauvais chemin. Elle s’était fait recevoir institutrice, et elle a d’abord essayé de vivre en donnant des leçons. Mais elle s’est vite lassée de souffrir. Elle était orpheline comme moi… pauvre comme moi… le courage lui a manqué, et Julie Berthier s’appelle maintenant Julia d’Orcival.

      Gaston eut un soubresaut que mademoiselle Lestérel sentit fort bien, car elle lui donnait le bras, et ils remontaient le faubourg Saint-Honoré, serrés l’un contre l’autre, comme deux amoureux.

      – Vous la connaissez? demanda-t-elle. Oui, vous devez la connaître, puisque vous vivez dans un monde où…

      – Tout Paris la connaît, interrompit Darcy; mais vous, mademoiselle, vous ne la voyez plus, je suppose?

      – Oh! non. Cependant, elle m’a écrit une fois, il y a deux ans, pour me demander un service. Je pouvais le lui rendre. Je suis allée chez elle. Elle m’a montré ses tableaux… ses objets d’art… Pauvre Julie! Elle paie tout ce luxe bien cher.

      Darcy se garda d’insister. Il était trop heureux de savoir que mademoiselle Lestérel ignorait qu’il eût été intimement lié avec madame d’Orcival, et il ne tenait nullement à la renseigner sur ce point délicat.

      De son côté, mademoiselle Lestérel regrettait peut-être d’avoir confessé qu’elle n’avait pas craint de mettre les pieds chez une irrégulière, car elle ne dit plus rien, et la conversation tomba tout à coup.

      Ce silence fit que Darcy entendit plus distinctement le bruit d’un pas qui, depuis quelque temps déjà, résonnait sur le trottoir.

      La première idée qui lui vint, quand il entendit qu’on marchait derrière lui, ce fut que Prébord s’était ravisé et se permettait de le suivre.

      Il se retourna vivement, et il aperçut, à une assez grande distance, un homme dont les allures n’avaient rien de commun avec celles du Lovelace brun, un homme qui s’avançait d’un pas lourd et qui exécutait en marchant des zigzags caractéristiques. Il devait être chaussé de bottes fortes, et les clous de ses semelles sonnaient sur le trottoir du faubourg Saint-Honoré comme des coups de marteau sur une cloche. Aussi l’entendait-on de fort loin, mais évidemment ce n’était qu’un ivrogne regagnant son domicile et ne s’occupant en aucune façon du couple qui le précédait.

      Rassuré par ce qu’il venait de voir, Darcy se mit à réfléchir aux singuliers hasards de la vie parisienne.

      Au commencement de l’hiver, à une soirée musicale chez la marquise de Barancos, il avait remarqué la beauté et le talent d’une jeune artiste qui chantait à ravir. Il s’était renseigné sur elle. Il avait appris qu’elle était d’une famille honorable, qu’elle vivait de son art, et qu’elle était parfaitement vertueuse. Ce phénomène l’intéressa, et il s’arrangea de façon à l’admirer souvent.

      Il ne manqua pas un seul des concerts où mademoiselle Berthe Lestérel faisait entendre son admirable voix de mezzo-soprano, et dans quelques réunions intimes où l’on traitait l’artiste en invitée, il put causer avec elle, apprécier son esprit, sa grâce, sa distinction.

      De là à lui faire la cour, il n’y avait pas loin, et Darcy n’était pas homme à s’arrêter en si beau chemin. Il rendit à la jeune fille des soins discrets qu’elle reçut sans pruderie, mais avec une extrême réserve. Elle s’arrêta net, dès qu’il essaya de faire un pas de plus en se présentant chez elle. Il ne fut pas reçu, et quand il la revit dans un salon, elle se chargea de lui expliquer pourquoi elle trouvait bon de fermer sa porte à un jeune homme riche qui ne se piquait pas de rechercher les demoiselles pour le bon motif. Elle le fit franchement, honnêtement, gaiement; elle mit tant de loyauté à lui déclarer qu’elle ne voulait pas d’amoureux de fantaisie, que Darcy s’éprit d’elle tout à fait.

      De cette seconde phase datait le refroidissement de sa liaison avec madame d’Orcival, qui s’apercevait bien d’un changement dans ses manières, mais qui se méprenait sur la cause de ce changement.

      Au reste, Gaston n’était pas décidé à s’abandonner au courant de cette nouvelle passion. La vie qu’il menait ne lui plaisait plus, mais il ne songeait guère à épouser Berthe Lestérel. Il n’en était pas encore à envisager sans inquiétude la perspective d’un mariage d’inclination avec une chanteuse.

      Provisoirement, il venait de prendre un moyen terme en rompant avec Julia. Il se trouvait donc libre de tout engagement.

      Et voilà qu’une rencontre imprévue lui fournissait tout à coup l’occasion d’un long tête-à-tête avec mademoiselle Lestérel. Était-ce un présage? Gaston, superstitieux comme un joueur, le crut, et pensa qu’il serait bien sot de ne pas tirer parti de cette heureuse fortune. Si sévère qu’elle soit, une femme ne peut guère refuser de revoir l’homme dont elle a accepté la protection dans un cas difficile, et ce voyage à deux devait fort avancer Darcy dans l’intimité de la prudente artiste.

      Pas si prudente, puisqu’elle s’aventurait seule dans Paris, à une heure des plus indues.

      Cette pensée à laquelle Gaston ne s’était pas arrêté d’abord, quoiqu’elle lui fût déjà venue, cette pensée qui ressemblait assez à un soupçon, se représenta à son esprit, et lui causa une impression singulière.

      En sa qualité de viveur, – son oncle aurait dit de mauvais sujet, – Gaston n’était pas trop fâché de supposer que l’inattaquable Berthe avait une faiblesse à se reprocher. Le service qu’il venait de lui rendre lui aurait alors donné barre sur elle, et sans vouloir abuser de cet avantage, il pouvait bien en profiter.

      Et d’un autre côté, il lui déplaisait de croire que l’honnêteté de cette charmante jeune fille n’était que de l’hypocrisie, et que mademoiselle Lestérel cachait, sous des apparences vertueuses, quelque vulgaire amourette. Il lui en aurait voulu de lui arracher ses illusions, et, quoiqu’il n’eût aucun droit sur elle, il aurait été presque tenté de lui reprocher de l’avoir trompé.

      C’était là un symptôme grave, et si l’indépendant Darcy eût pris la peine d’analyser ses sensations, il aurait reconnu que son cœur était pris plus sérieusement qu’il ne se l’avouait à lui-même.

      Il ne songea qu’à éclaircir ses doutes, et, pour les éclaircir, il s’y prit en homme bien élevé.

      – C’est une fatalité que vous ayez rencontré ce Prébord, commença-t-il. Il est sorti, une demi-heure avant moi, d’un cercle dont nous faisons partie tous les deux, et il demeure rue d’Anjou, au coin du

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