Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 1 - Fortuné du Boisgobey

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l’avantage à la reprise des hostilités. Il était arrivé chez Julia un peu hésitant et assez embarrassé. Il venait liquider une association qu’il avait contractée un an auparavant avec entrain, presque avec passion. Un an, c’est-à-dire un siècle dans le monde du plaisir, dans ce monde où les amours ne datent pas souvent par millésimes. Encore faut-il un motif pour leur couper les ailes, et si Gaston en avait un assez sérieux, ce n’était pas madame d’Orcival qui le lui avait fourni. Il prévoyait qu’elle ne goûterait pas du tout les raisons qu’il allait mettre en avant pour s’excuser de rompre, et il craignait de manquer d’énergie au moment décisif.

      Une fausse manœuvre de la sirène brune l’avait remis d’aplomb. En cherchant à exciter sa jalousie, elle s’était livrée par un de ses côtés faibles. Gaston lui pardonnait tous ses anciens amants, excepté Golymine. Les amoureux des irrégulières ont de ces bizarreries. En évoquant le souvenir du comte, Julia avait donc commis une maladresse, et l’arrivée de ce personnage suspect n’était pas faite pour la réparer. Maintenant, Gaston se sentait sûr de lui.

      En attendant que madame d’Orcival rentrât de sa malencontreuse excursion en Pologne, il se promenait fiévreusement à travers le boudoir, s’arrêtant lorsque des éclats de voix arrivaient jusqu’à lui à travers les portes et les tentures, puis reprenant sa marche agitée, de peur de se laisser aller à la tentation d’écouter.

      Le salon où la soubrette avait introduit le comte était contigu à celui où était resté Gaston, qui ne tarda guère à se demander pourquoi Julia n’avait pas emmené son Slave dans une autre pièce.

      L’hôtel était vaste, et elle n’avait qu’à choisir. Il y avait justement une galerie-bibliothèque, – en anglais un hall – situé si loin du boudoir, qu’on aurait pu s’y battre en duel ou s’y brûler la cervelle, sans que le bruit fût perçu dans le réduit coquet où madame d’Orcival se tenait de préférence.

      Gaston en vint bientôt à penser que Julia n’était pas fâchée de le forcer à assister presque à son entretien avec Golymine. Il se dit qu’elle allait faire en sorte que des mots significatifs parvinssent à ses oreilles, et il finit par croire que tout cela était peut-être convenu d’avance entre elle et le Polonais – en quoi il se trompait absolument.

      Le fait est que le diapason de la conversation ne tarda pas à s’élever beaucoup, et qu’il aurait fallu être sourd pour ne pas entendre des fragments du dialogue.

      Gaston distinguait parfaitement les deux voix, qui parfois alternaient et parfois aussi se confondaient dans un morceau d’ensemble: la voix de Julia, une voix chaude, bien féminine pourtant, et la voix du comte, grave, mordante, saccadée, une voix à la Mélingue.

      Et, en vérité, c’était bien un drame qui se nouait chez madame d’Orcival. Elle essayait d’en faire une opérette, mais l’enragé Polonais le poussait au noir.

      – C’est infâme! criait le Buridan.

      – Pas de gros mots, vocalisait la diva.

      – Vous voulez donc que je me tue!

      – Est-ce qu’on se tue pour une femme?

      – Oui, quand on l’adore… quand on ne peut pas vivre sans elle.

      Et après ces explosions, le couplet suivant baissait d’un ton. Évidemment, le comte, reprenant le mode mineur, essayait d’attendrir l’inexorable demi-mondaine, qui lui répondait par des refus en sourdine.

      D’où il résultait que Gaston passait par des supplices variés. Quand le duo montait aux notes aiguës, il se tenait à quatre pour s’empêcher d’entrer en scène et de jeter dehors cet étranger qui sommait Julia de le suivre aux pays perdus où finissent les décavés. Un galant homme ne laisse pas malmener une frégate qui a navigué sous son pavillon. Et quand le récitatif revenait aux notes douces, Gaston enrageait de tenir dans la saynète un emploi ridicule. On a beau ne plus aimer une femme, on trouve dur d’écouter malgré soi les explications orageuses qu’elle a avec un prédécesseur, et il vous prend de furieuses envies d’intervenir.

      – Maintenant, grommelait-il pour se consoler, me voilà radicalement guéri.

      D’ailleurs, la situation se corsait de telle sorte que le dénouement ne pouvait pas se faire beaucoup attendre, et en effet, il ne tarda guère. Julia n’aimait pas les longueurs. Elle fit des coupures dans ses répliques.

      – Ainsi, reprit la voix de basse, vous êtes résolue à ne pas partir avec moi?

      – Parfaitement résolue, mon cher, chanta le soprano, en scandant ses notes.

      Et, après un point d’orgue:

      – Vous me remercierez plus tard.

      – Non, car vous ne me reverrez jamais vivant.

      – Encore! Vous parlez vraiment trop de mourir. Je n’étais pas seule quand vous avez fait chez moi cette entrée à la Tartare. Souffrez donc que je vous quitte et que, en dépit de vos discours sinistres, je vous dise: Au revoir… dans trois ou quatre ans… quand vous aurez trouvé une autre mine d’or en Californie… ou ailleurs… je ne tiens pas à la provenance.

      – Allez rejoindre votre amant, tonna la basse profonde. Je vous méprise trop pour vous tuer, mais je vous maudis… et vous verrez ce que vaut la malédiction d’un mort.

      Après cette phrase de cinquième acte, il y eut le bruit d’une porte fermée avec violence. La toile venait de tomber. La pièce était finie.

      Gaston s’intéressait fort peu à ce Polonais qui abusait vraiment des mots à effet, mais les froides railleries de madame d’Orcival l’avaient écœuré, et il l’attendit de pied ferme.

      Elle rentra calme, presque souriante. De la scène du salon, il ne lui restait qu’un peu de flamme dans les yeux et un peu de rougeur aux joues.

      – Enfin, dit-elle, je suis délivrée de cet énergumène. Mariette a bien fait de le laisser entrer. Maintenant, il ne reviendra plus.

      – Je le crois, dit froidement Gaston.

      – Est-ce que vous avez écouté?

      – Écouté, non. Entendu… oui… quelques mots…

      – Et pensez-vous que le comte Golymine m’aime comme nous voulons être aimées, nous autres femmes… avec fureur… avec rage… jusqu’au suicide… inclusivement?

      – Quand on veut se tuer, on ne le crie pas si haut.

      – Je vous ai déjà dit, mon cher, que vous ne connaissiez pas Golymine. C’est un fou qui ferait sauter Paris et lui avec, pour satisfaire une de ses fantaisies.

      – Peu m’importe ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. J’espère bien ne jamais le retrouver sur mon chemin.

      – Vous avez raison, mon ami, je vous parle beaucoup trop de cet insurgé, et je vous prie de me pardonner les désagréables instants que vous venez de passer. Vous auriez pu vous offenser d’une situation que je n’avais pas créée, et vous avez bien voulu me permettre de renvoyer mon persécuteur. Je vous dois vraiment de la reconnaissance, et vous savez que je paie toujours mes dettes, dit Julia avec un sourire à fondre la glace d’un cœur octogénaire.

      »En attendant que je paie celle-là, venez que je vous verse une

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