Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey

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ne manquera pas d’interroger Berthe, il lui demandera des explications, il ne se contentera pas de celles que la pauvre fille lui donnera, et, comme il est tenace, il pourrait bien finir par lui arracher quelque parole compromettante pour la sœur aînée.

      Nointel se posait ces questions au beau milieu de la rue Caumartin, et, à son air, les passants devaient le prendre pour un amoureux bayant aux étoiles.

      – J’y suis! s’écria-t-il en se frappant le front, ni plus ni moins qu’un poète qui vient de trouver une rime longtemps cherchée. La mère n’a plus de nouvelle de l’enfant, depuis que mademoiselle Lestérel est sous clef. Mademoiselle Lestérel seule sait où est la nourrice. Peut-être a-t-elle poussé le dévouement jusqu’à dire que l’enfant était à elle. Dans tous les cas, elle s’est bien gardée de donner l’adresse de madame Crozon; le mari était de retour, et cette nourrice aurait pu faire la sottise de venir au domicile conjugal. De sorte que maintenant les communications sont interrompues. Cependant, comment se fait-il que mademoiselle Berthe n’ait pas dit à sa sœur où elle a mis cet enfant?

      Ici Nointel fit une nouvelle pause. Il perdait la piste. Mais son esprit sagace la retrouva bientôt.

      – Eh! oui, reprit-il, après avoir examiné une idée qui lui était venue tout à coup, l’aventure s’arrange très bien ainsi… madame Crozon savait que son jaloux cherchait le malheureux petit bâtard. Elle était surveillée de près. Elle a prié Berthe de se charger du déménagement de l’enfant. Et Berthe a opéré ce déménagement dans la nuit du samedi. Elle a été arrêtée le dimanche avant d’avoir pu voir sa sœur. Voilà l’emploi de cette fameuse nuit expliqué du même coup… et le silence obstiné de la prévenue aussi; car, pour se justifier, il faudrait qu’elle dénonçât la conduite de madame Crozon. Il ne reste plus qu’à trouver la nourrice… et elle doit demeurer dans les parages de Belleville, puisque c’est de ce côté-là qu’on a ramassé le domino. Parbleu! je la dénicherai…

      Le capitaine s’arrêta encore pour donner audience aux réflexions qui naissaient les unes des autres. Et la fin de cette méditation fut qu’il lâcha un gros juron suivi de ces mots:

      – Triple sot que je suis! je l’ai eue sous la main et je l’ai laissée partir. C’est la grosse femme qui m’a accosté au Père-Lachaise pour me demander si mademoiselle Lestérel était en prison. Elle m’a dit qu’elle habitait tout près du cimetière, et elle a bien l’encolure d’une nourrice. Je me souviens même que j’en ai fait la remarque. Comment la rattraper maintenant? Courir Belleville et ses alentours? J’ai d’autres chiens à fouetter… Simancas, par exemple. Elle a ma carte… par bonheur, je la lui ai remise et je lui ai dit que j’étais en mesure d’être utile à l’incarcérée… elle ne manque pas de finesse, la commère, car elle a inventé pour me dérouter une histoire de blanchissage… peut-être se décidera-t-elle un jour ou l’autre à venir me trouver… ne fût-ce que pour toucher son dû… au bout du mois.

      »Eh bien j’attendrai, conclut Nointel, et en attendant je ne manquerai pas de besogne, car il ne suffira pas de démontrer tout ce que je viens de découvrir, à force de raisonnements… quelle belle chose que la logique!… L’oncle Roger est un juge exigeant. Il lui faut une coupable, et c’est moi qui la lui amènerai. Je sais où elle est, mais je ne peux pas encore aller la prendre dans son hôtel. Et puis, j’ai un compte à régler avec un gredin que je vais forcer à me servir de limier pour chasser la marquise. Allons, mon siège est fait maintenant.

      Sus au Simancas!

      Il y avait bien dix minutes que Nointel monologuait ainsi sur le pavé boueux de la rue Caumartin, mais il n’avait pas perdu son temps, car un plan de campagne complet venait de jaillir de son cerveau.

      Il tira sa montre, et il vit qu’il était à peine cinq heures. Crozon avait fait irruption au cercle bien avant l’instant du rendez-vous. La conférence au parloir et la visite à madame Crozon n’avaient pas été longues. Avant d’aller dîner pour achever une journée si bien remplie, Nointel avait encore le temps de commencer ses opérations.

      – Où trouverai-je mon Simancas? se demanda-t-il d’abord. Il ne mettra pas les pieds au cercle, tant qu’il n’aura pas de nouvelles du duel préparé par ses soins. Il sait qu’il m’y rencontrerait, et il ne se soucie pas de me donner des explications sur la prétendue indisposition de madame de Barancos; et ces explications, il espère que je ne les lui demanderai jamais, car il compte que le baleinier me tuera demain… Je suis à peu près sûr qu’à cette heure il est chez la marquise, mais ce n’est pas sur ce terrain-là que je veux le rencontrer. Il faut pourtant que j’attaque immédiatement. Je me sens un entrain de tous les diables. Ce serait dommage de ne pas en profiter.

      Ce jour-là était décidément pour Nointel le jour aux idées, car il lui en vint encore une au moment où il tournait l’angle de la rue Saint-Lazare.

      Il se souvint que Saint-Galmier demeurait tout près de là, rue d’Isly, et qu’il donnait des consultations de cinq à sept. Tout le cercle savait cela, le docteur ne se faisant pas faute de le dire bien haut, chaque fois qu’il y venait. Et cette réclame parlée ne lui réussissait pas trop mal, car bien des gens le prenaient pour un médecin sérieux. Le major Cocktail prétendait même avoir été guéri par lui d’une névrose de l’estomac, due à un usage trop fréquent des liqueurs fortes, et le major Cocktail n’était certes pas un naïf.

      Nointel ne croyait ni à la science, ni à la clientèle de ce praticien du Canada, mais il supposait qu’on le trouvait chez lui à l’heure où il était censé recevoir ses malades, et il s’achemina, sans tarder, vers la rue d’Isly. Saint-Galmier devait être associé à toutes les intrigues de Simancas, Saint-Galmier devait posséder, comme Simancas le secret de la marquise, car il était avec lui, pendant cette mémorable nuit du bal de l’Opéra. Décidé à aborder immédiatement l’ennemi, le capitaine résolut, puisque le chef se dérobait, de tomber d’abord sur le lieutenant qui se trouvait à sa portée. Ce n’était que peloter en attendant partie, mais il pensait que cette première escarmouche lui ferait la main avant d’engager la bataille.

      Saint-Galmier occupait tout le premier étage d’une belle maison neuve, et à la façon dont le portier lui répondit, Nointel vit tout de suite que le docteur était bien noté dans l’esprit de ce représentant du propriétaire. Cela ne le surprit pas, car il savait que les gredins d’une certaine catégorie paient exactement leur terme et ne marchandent pas les gratifications aux subalternes. Ce qui l’étonna davantage, ce fut de voir que ce gradué de Québec avait des pratiques. On prenait des numéros pour être reçu dans son cabinet, des numéros que distribuait un nègre en livrée rouge et verte. Ce nègre semblait destiné à battre la grosse caisse sur la voiture d’un charlatan, mais il faut bien passer quelques fantaisies de mauvais goût à un savant exotique, et d’ailleurs l’appartement avait bon air. Rien n’y sentait l’opérateur.

      Nointel fut introduit dans un salon d’attente, sévèrement meublé. Bahuts en vieux chêne, tenture de papier imitant le cuir; au milieu, une grande table chargée d’albums, armoires en faux Boulle dans les encoignures, tapis d’Aubusson, vaste cheminée avec un bon feu de bois, tableaux anciens de maîtres inconnus, fauteuils en tapisserie, imitation de Beauvais. Pas de vulgarités. La classique gravure qui représente Hippocrate refusant les présents d’Artaxercès brillait par son absence.

      Et ce salon n’était pas vide, tant s’en fallait. Seulement, il n’y avait que des femmes. Saint-Galmier cultivait la spécialité des névroses, et le sexe fort est beaucoup moins nerveux que l’autre. La névrose prend des formes variées et sert à une foule d’usages. La névrose est commode. On peut en user partout, même en voyage. Elle n’enlaidit pas. Et puis, le nom est joli. C’est une maladie qu’on avoue dans le monde et qui n’empêche pas d’y aller. Mais, pour bien établir

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