Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey

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comme vous dites, vous autres marins. On sait que vous n’êtes pas d’humeur à supporter un outrage, que vous vous êtes battu souvent et que vous avez toujours tué ou blessé vos adversaires. On sait encore… ne vous fâchez pas si je vous dis vos vérités… on sait que vous avez un caractère très violent, et qu’il vous est arrivé quelquefois d’agir avant de réfléchir.

      Crozon fit un mouvement, mais il ne dit mot. Évidemment, il s’avouait à lui-même que l’appréciation du capitaine était juste.

      – Sur ces indications, reprit Nointel, mon drôle a bâti un plan ingénieux. Il a pensé qu’en dénonçant le Polonais, il ferait de vous une manière d’exécuteur des hautes… non, des basses… œuvres; que, n’écoutant que votre colère, vous iriez, sans vous renseigner, sans admettre aucune explication, attaquer le soi-disant comte, et que vous le tueriez net, soit en duel, soit autrement. C’était précisément ce qu’il voulait, et, pour atteindre son but, peu lui importait de calomnier une femme.

      – C’est un roman que vous me racontez là, dit le mari d’un air assez incrédule. Un complice du Polonais… complice de quoi? Ce Polonais était donc chef de brigands…

      – Je ne jurerais pas que non, et je suis certain qu’il avait une foule de méfaits sur la conscience.

      – Et il se trouve que ce complice me connaît! qu’il sait que je suis marié! Vous supposez trop de choses. Et puis, pourquoi n’aurait-il pas commencé par me désigner ce Golymine? Pourquoi aurait-il attendu, pour me le nommer, que je fusse de retour à Paris et que Golymine fût mort?

      L’objection avait bien quelque valeur, mais elle n’embarrassa pas un instant le capitaine.

      – C’est bien simple, dit-il. Il n’a pas dénoncé le Polonais dans la première lettre que vous avez reçue à San-Francisco, parce que vous auriez pu, avant de rentrer en France, écrire à un ami pour le prier de s’informer, et parce que cet ami n’aurait pas manqué de vous répondre que l’accusation n’avait pas le sens commun. L’aimable gueux qui vous a tendu le traquenard vous ménageait ce coup pour votre arrivée. Il comptait sur les effets de la surprise et de la colère, et il ne voulait pas vous laisser le temps de la réflexion.

      Examinons maintenant les faits qui ont suivi, et vous allez voir que tout s’explique à merveille. Par un hasard singulier – la vie en est pleine, de ces hasards-là – Golymine se suicide, notez ce point, chez une femme entretenue qu’il adorait, car il s’est tué parce qu’elle refusait de le suivre à l’étranger. Nouvelle preuve que ce personnage ne s’occupait pas de madame Crozon. Voilà donc Golymine mort. Votre coquin de correspondant n’a plus rien à craindre de lui. Que fait-il alors? Vous êtes arrivé à Paris… quel jour?

      – Le mardi.

      – Et le Polonais s’est pendu le lundi. C’est bien cela. L’anonyme a dû être informé de votre arrivée qu’il épiait très certainement. Cependant, il reste jusqu’au samedi sans vous écrire. Il se recueille, il se demande quel parti il pourrait tirer de ses ignobles combinaisons. La machine est montée, elle ne broiera plus Golymine, puisque Golymine est mort. Mais elle peut servir à un autre usage. Votre chenapan se dit qu’il y a sur le pavé de Paris un autre homme qui le gêne presque autant que Golymine le gênait, et qu’il pourra se défaire de cet homme en vous lançant contre lui. Il tergiverse encore un peu, il entretient votre colère avec cette ridicule histoire d’enfant, à laquelle, permettez-moi de vous le dire, mon cher Crozon, vous n’auriez pas dû vous laisser prendre. Il vous laisse pendant trois jours cuire dans votre jus, passez-moi l’expression; M.  de  Bismarck nous l’a appliquée à nous autres Parisiens. Et enfin, quand il croit que l’heure est venue de faire éclater l’orage, il me dénonce, moi, qui suis l’homme gênant numéro deux, et il a bien soin de vous dire que vous me trouverez aujourd’hui au cercle de quatre à cinq. Il a choisi un jour où il sait que j’y serai. Il a prévu tout ce qui allait se passer: votre visite immédiate, un duel rendu inévitable par une violence de votre part. Il sait d’ailleurs que je ne suis pas très patient.

      »Et vous voyez, mon cher camarade, que les calculs de ce misérable étaient justes. S’il savait que nous sommes en ce moment réunis en conférence avec l’honorable M.  Bernache, votre témoin, il se frotterait les mains et il rirait dans sa barbe.

      »Heureusement, il n’a pas deviné que nous nous connaissions de longue date, et que nous nous expliquerions avant de nous battre.

      – On ne peut pas mieux parler, dit avec enthousiasme le brave mécanicien, que Nointel venait de complimenter adroitement. Crozon, mon vieux, tu n’as plus qu’une chose à faire, c’est d’embrasser le capitaine d’abord, et ta femme ensuite.

      Crozon était évidemment touché, mais il n’était pas encore convaincu, et il y parut bien à sa réponse:

      – Oui, murmura-t-il, tout cela se peut… je ne demande pas mieux que de vous croire… et pourtant il y a encore dans votre raisonnement des points que je ne comprends pas. Expliquez-moi pourquoi la lettre dénonce Golymine. Il est mort… Le scélérat qui l’a écrite n’avait plus rien à craindre de ce Polonais. À quoi bon parler de lui? Et puisqu’il vous accuse, vous qui êtes vivant, vous dont il veut se défaire, pourquoi ne vous accuse-t-il pas aussi d’être le père de l’enfant?

      – Parce que l’accusation serait trop absurde, parce qu’elle ne s’accorderait pas avec cette invention d’enfant caché chez une nourrice qu’on traque dans Paris et qui s’en va de domicile en domicile pour échapper à l’espion qui la cherche. Voyons, de bonne foi, admettez-vous que si j’étais le père, je n’aurais pas mieux pris mes précautions? J’ai assez de fortune pour mettre en sûreté, en province ou à l’étranger, un fils adultérin, si par malheur j’en avais un. J’aurais même eu assez de cœur pour l’élever chez moi. Et l’anonyme sait que je vis au grand jour, que je n’ai jamais caché mes faiblesses. Aussi a-t-il attribué cette paternité à Golymine, qui n’est plus là pour s’en défendre. Mais l’enfant n’existe pas et n’a jamais existé. Ce conte n’a été imaginé que pour vous exaspérer davantage, je vous l’ai déjà dit.

      »Vous pourriez me demander aussi pourquoi votre correspondant ne m’a pas mis en scène tout d’abord. Rien ne l’empêchait de vous écrire à San-Francisco que madame Crozon avait eu deux amants au lieu d’un. Vous étiez certes bien capable d’en tuer deux. Mais, voilà: cet homme, il y a trois mois, ne s’occupait pas encore de moi. La haine qu’il me porte a une origine toute récente.

      – Vous le connaissez donc! s’écria le baleinier.

      – Je crois le connaître, mais je n’ai pas encore une certitude absolue. Il ne m’a jamais écrit. Il faut donc que je me procure quelques lignes de son écriture, et cela demande un certain temps, car j’ai peu d’occasions de le rencontrer. Dans un cas comme celui-ci, il ne faut rien brusquer, afin d’éviter les fausses démarches. Accordez-moi un délai et laissez-moi manœuvrer à ma guise. Je suis sûr de réussir, et je forcerai ce vilain monsieur à confesser devant vous qu’il a menti.

      Crozon se taisait. On lisait sur son visage qu’il hésitait encore entre le doute et la confiance. Ce fut la confiance qui l’emporta.

      – Eh bien! dit-il brusquement, prenez cette lettre. Il vaut mieux que vous l’ayez en poche pour convaincre ce bandit aussitôt que vous aurez une preuve. Je m’en rapporte à vous pour agir vite. Le jour où vous me démontrerez qu’il a calomnié ma femme, vous me rendrez à la vie.

      Cette fois, Nointel ne se fit pas prier pour accepter le papier que le marin lui offrait, car il sentait que l’offre était faite sans arrière-pensée. Il serra la prose de don José Simancas dans

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