Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey страница 8

Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey

Скачать книгу

tires bien toutes les armes. Et il lui tarde que tu t’alignes, car il a soin de te dire où tu trouveras monsieur, l’endroit, l’heure et tout.

      – Oh! il connaît mes habitudes, dit en riant le capitaine. Il savait que je serais ici de quatre à cinq. Par exemple, il ne savait pas que je vous y avais donné rendez-vous éventuellement, car il ne se doute guère que nous sommes d’anciens camarades. Sa combinaison pèche en ce point. Et c’est tout naturel. Le coquin ne pouvait pas deviner qu’il y a treize ans j’étais embarqué avec vous sur le Jérémie. C’est parce qu’il ignorait cette particularité de ma vie militaire qu’il s’est risqué à nous tendre ce piège à tous les deux.

      Nointel parlait d’un air si dégagé, son ton était si franc, son langage si clair, que l’intraitable baleinier entra, malgré lui, dans la voie des réflexions sages. Il regardait alternativement le capitaine et l’ami Bernache. On devinait sans peine ce qui se passait dans sa tête. Après un assez long silence, il dit brusquement:

      – Nointel, voulez-vous me donner votre parole d’honneur que vous n’avez jamais vu ma femme?

      Nointel resta froid comme la mer de glace, et répondit, en pesant ses mots:

      – Mon cher Crozon, si vous aviez commencé par me demander ma parole, je vous l’aurais donnée bien volontiers. Nous n’en sommes plus là. Voilà une demi-heure que vous m’accusez de très vilaines choses et que vous doutez de ma sincérité. J’ai supporté de vous ce que je n’aurais supporté de personne. Mais vous trouverez bon que je n’obéisse pas à une sommation de jurer. Vous pourriez ne pas croire à ma parole d’honneur, et, ce faisant, vous m’offenseriez gravement. Je préfère ne pas m’exposer à ce malheur. Souvenez-vous aussi que vous regrettez d’avoir ajouté foi à un serment fait dans une circonstance identique…

      – Par ma belle-sœur! Ce n’est pas du tout la même chose. Les femmes ne se font pas scrupule de jurer à faux. Mais vous, Nointel, je vous tiens pour un homme d’honneur, et si vous vouliez…

      – Oui, mais je ne veux pas.

      – Eh bien, s’écria le marin convaincu par tant de fermeté, affirmez-moi seulement que ce n’est pas vrai, que vous n’êtes pas…

      – L’amant de madame Crozon. Mais, mon cher, depuis que je suis entré ici, je ne fais pas autre chose, dit Nointel, en éclatant de rire.

      Cette fois, le baleinier était vaincu. Le sang lui monta au visage, les larmes lui vinrent aux yeux, ses lèvres tremblèrent, et il finit par tendre à Nointel, qui la serra, sa large main, en disant d’une voix étranglée:

      – Je vous ai soupçonné. J’étais fou. Il ne faut pas m’en vouloir. Je suis si malheureux.

      – Enfin! s’écria le capitaine, je vous retrouve tel que je vous ai connu jadis. Moi, vous en vouloir, mon cher Crozon! Ah! parbleu! non. Je vous plains trop pour vous garder rancune. Et j’ai déjà oublié tout ce qui vient de se passer ici. Il n’y a qu’une chose dont je me souviens… l’écriture de ce gredin qui a failli me mettre face à face avec un vieux camarade, une épée ou un pistolet au poing. Et je vous réponds qu’il paiera cher cette canaillerie.

      – Voulez-vous sa lettre pour vous aider à le trouver?

      Nointel mourait d’envie de dire: oui. Cette lettre serait devenue entre ses mains une arme terrible contre Simancas; mais il se contint, car il sentait la nécessité de ne pas aller trop vite avec ce mari ombrageux, et il répondit vivement:

      – Merci de ne plus vous défier de moi. Mais conservez la lettre. Je vous la demanderai quand j’aurai trouvé mon drôle, ou plutôt je vous prierai d’assister à l’explication que j’aurai avec lui et de lui mettre vous-même sous le nez la preuve de son infamie.

      »Permettez-moi maintenant de remercier aussi M.  Bernache. C’est en partie à son intervention que je dois de ne pas m’être coupé la gorge avec un vieil ami. Je le prie de croire que je suis désormais son obligé et qu’il peut compter sur moi en toute occasion.

      Le mécanicien balbutia quelques mots polis, mais Nointel n’avait pas besoin qu’il s’expliquât plus clairement. Il voyait bien que les plus vives sympathies de ce brave homme lui étaient acquises à jamais. Et la conquête de M.  Bernache n’était point à dédaigner, car il exerçait une certaine influence sur Crozon, et le capitaine n’en avait pas fini avec le baleinier. Il tenait au contraire à le voir souvent, dans l’intérêt de mademoiselle Lestérel et de sa malheureuse sœur, qui restaient exposées, l’une aux violences de son mari, l’autre aux incartades de son beau-frère. Crozon, momentanément calmé, pouvait d’un instant à l’autre être pris d’un nouvel accès de fureur, motivé par une nouvelle dénonciation. Il pouvait aussi se lancer dans quelque démarche imprudente et aggraver involontairement les charges qui pesaient encore sur Berthe. Nointel était bien décidé à ne pas le lâcher, et il commença sans plus tarder à le travailler; ce fut le mot qui lui vint à l’esprit, et ce mot exprimait très bien ses intentions.

      – Mon cher camarade, reprit-il, du ton le plus affectueux, puisqu’il ne reste plus de nuages entre nous, je puis bien vous parler à cœur ouvert. Mon sentiment est que vous avez été victime d’une abominable machination. Ce drôle qui vous a écrit s’est fait un jeu d’empoisonner votre existence et celle de madame Crozon.

      – Pourquoi? demanda le baleinier, dont le front redevint sombre. Je n’ai pas d’ennemis… à Paris surtout.

      – C’est-à-dire que vous ne vous en connaissez pas. Mais on a souvent des ennemis cachés. D’ailleurs, cet homme a peut-être quelque motif de haine contre madame Crozon. Il y a de par le monde des lâches qui se vengent d’une femme, parce qu’elle a dédaigné leurs hommages.

      – Si c’eût été le cas, Mathilde m’aurait désigné ce misérable. Sa justification était toute trouvée.

      – Vous ne songez pas qu’en le désignant elle vous obligerait à vous battre avec lui. Une honnête femme n’expose pas, même pour se défendre d’une accusation injuste, la vie d’un mari qu’elle aime.

      – Qu’elle aime! répéta le mari en secouant la tête.

      – Mais, reprit Nointel, sans relever cette expression d’un doute qu’il partageait, ce n’est pas ainsi que j’envisage la situation. L’anonyme, à mon avis, n’en veut ni à vous, ni à madame Crozon, mais il en veut à d’autres.

      – À qui donc?

      – À moi, d’abord. Il est évident que je le gêne et que n’étant probablement pas de force à me supprimer lui-même, il a imaginé de me faire supprimer par vous, mon cher Crozon.

      – C’est possible, mais… ce n’est pas vous seul qu’il accuse.

      – Non, et c’est précisément pour cela que je suis presque sûr de ce que j’avance. Si vous voulez bien m’écouter avec attention, vous allez voir comme tout s’enchaîne logiquement.

      – L’autre, c’est le comte Golymine. J’ai connu de vue et de réputation ce Polonais, et je tiens à vous dire en passant qu’étant donné la vie qu’il menait, il est à peu près impossible qu’il ait jamais rencontré madame Crozon. Il vivait dans un monde interlope où, en revanche, il a dû se lier avec plusieurs gredins très capables d’écrire des lettres anonymes, et de cent autres infamies. Supposez qu’un de ces gredins ait eu intérêt à se défaire d’un complice dangereux, un complice qui était Golymine. Supposez encore

Скачать книгу