Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey

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la croit coupable; elle pense à Gaston qui lui a juré un amour éternel et sans doute l’a déjà oubliée. Les heures s’écoulent, lentes, monotones, sans apporter à la pauvre recluse un souvenir amical, un souhait bienveillant, rien, pas même une nouvelle de ce monde où elle ne rentrera plus. Cette cellule aux murs blanchis, c’est la tombe. Pas un bruit du dehors n’y pénètre, pas un rayon de soleil. Quand la porte s’ouvre, Berthe ne voit apparaître au fond du corridor sombre que les sœurs de Marie-Joseph, en long vêtements de laine, voilées de noir et de bleu, marchant du pas silencieux des fantômes. Trois fois on est venu l’appeler pour la conduire au Palais de justice, et l’horrible voyage en voiture cellulaire ne lui a pas été épargné; trois fois elle s’est assise dans le cabinet du juge, toujours grave, toujours impassible. Elle a été interrogée poliment, froidement, et elle n’a répondu que par des larmes. Trois fois elle est revenue désespérée. Elle se sent perdue, et elle n’attend plus rien de la justice des hommes. Elle n’a plus foi qu’en Dieu qui lit dans les cœurs.

      Gaston Darcy endure un autre supplice, le supplice de l’attente, les angoisses de l’incertitude. Il a rompu avec son existence habituelle, il a pris le monde en horreur, il fuit les distractions, il se complait dans les joies amères de l’isolement. Il ne voit que son oncle, madame Cambry et Nointel.

      Son oncle l’accueille, le plaint, et reste impénétrable.

      Madame Cambry prend part à ses peines, elle se désole avec lui, elle jure que Berthe n’est pas coupable et qu’elle ne se lassera jamais de la défendre; elle a été jusqu’à proclamer qu’elle ne se marierait pas tant que sa jeune amie serait sous le coup de cette affreuse accusation. Cependant, son mariage avec M.  Roger Darcy est décidé, et M.  Roger Darcy la presse de conclure, car le sévère magistrat a fini par s’éprendre très vivement de la charmante veuve, et il n’en est plus à souhaiter que son neveu se charge seul de perpétuer le nom de la famille. Mais madame Cambry ne peut rien contre les convictions du juge, madame Cambry n’obtiendra pas de son futur mari qu’il décide contre sa conscience en signant l’ordre de remettre en liberté mademoiselle Lestérel.

      Reste Nointel. Nointel est plus dévoué, plus ardent que jamais; il affirme à son ami qu’il ne perd pas un instant, qu’il poursuit lentement et sûrement son enquête, qu’il recueille chaque jour des informations nouvelles, que toutes ces informations sont favorables à Berthe, qu’il réunit ces preuves éparses ou plutôt ces commencements de preuves, et qu’il sera bientôt en mesure de démontrer l’innocence complète de la jeune fille; mais il a déclaré nettement que, pour réussir, il fallait qu’il agît seul. Et, comme Gaston se récriait contre l’inaction à laquelle Nointel voulait le condamner, Nointel l’a supplié de le laisser faire à sa guise, sans s’abstenir pour cela de travailler, lui aussi, à l’œuvre difficile de la réhabilitation de mademoiselle Lestérel.

      Pressé de s’expliquer sur les résultats acquis, le capitaine s’est obstiné à répondre que tout allait bien, et que, pour le moment, il lui était impossible d’en dire davantage.

      De sa rencontre avec le baleinier, de sa visite à madame Crozon, de ses conventions avec les deux coquins d’outre-mer, il n’a pas soufflé mot. Il redoutait les entraînements irréfléchis qui emportent les amoureux au-delà des limites de la prudence. Ses batteries étaient dressées, et il craignait que Gaston ne vînt gêner son tir. Et Gaston, qui n’appréciait pas les causes de cette extrême réserve, avait fini par lui savoir mauvais gré de sa discrétion. Gaston en était presque venu à croire que Nointel l’abandonnait, que Nointel colorait d’un prétexte plus ou moins plausible une défection impardonnable. Depuis quelques jours, Gaston vivait solitaire et sombre, maudissant les hommes, broyant du noir, doutant de tout, même de l’amitié, n’attendant plus rien de l’avenir.

      Et cependant, ce soir-là, un mercredi, vers onze heures, Gaston s’habillait pour aller au bal.

      Il avait reçu, à la fin de la semaine précédente, une invitation de madame la marquise de Barancos à une grande soirée dansante, et certes le carton armorié qui figurait à la glace de son cabinet de toilette n’aurait pas suffi à lui persuader d’assister à une fête pendant que Berthe Lestérel pleurait au fond d’une prison. Mais, le matin même, deux lettres lui étaient arrivées par la poste, deux lettres qui l’avaient immédiatement tiré de sa torpeur.

      L’une était de Nointel, et elle ne contenait que ces trois lignes:

      «Viens ce soir au bal de madame de Barancos. Tu m’y trouveras. J’ai pris pied dans la place. Tout va très bien. Nous touchons au but. Viens. Il le faut.»

      Gaston n’avait pas trouvé ce billet beaucoup plus clair que les récentes conversations du capitaine. Mais il ne pouvait guère négliger une recommandation aussi formelle, et il était à peu près décidé à se rendre à l’invitation de la marquise, lorsqu’il décacheta l’autre lettre, qui était de son oncle et qui disait ceci:

      «Mon cher Gaston, j’accompagne ce soir madame Cambry au bal que donne la marquise de Barancos. C’est la première fois que madame Cambry consent à sortir, depuis qu’il est survenu un malheur qui te touche vivement et qui l’a beaucoup affectée. Tu sais que mon mariage avec elle est décidé. Sa rentrée dans le monde sera presque un événement. Viens à cette fête. Je serai d’autant plus aise de t’y rencontrer que toute ma journée sera occupée au Palais par l’affaire que j’instruis, et que je n’aurai pas le loisir de passer chez toi. Il vaut mieux, d’ailleurs, que madame Cambry te dise elle-même une nouvelle que j’aurais eu grand plaisir à t’apporter si j’étais libre de mon temps. Je compte que nous te verrons cette nuit, et je suis certain que tu ne regretteras pas d’être sorti de la retraite où tu te confines au grand chagrin de ton oncle affectionné.»

      La lecture de cette lettre avait réveillé dans le cœur de l’amoureux Gaston des espérances endormies. Cette nouvelle, que madame Cambry tenait à lui apprendre, concernait certainement Berthe, et, si elle eût été mauvaise, l’oncle Roger n’aurait pas eu hâte d’en faire part à son neveu. Avait-il enfin reconnu l’innocence de la pauvre prisonnière, ou bien s’agissait-il seulement d’une découverte heureuse, d’un indice tout récemment recueilli, qui permettrait de croire à la possibilité d’un acquittement?

      Il y avait une phrase inquiétante:

      «L’affaire que j’instruis», écrivait le magistrat, qui savait la valeur des mots et qui ne se serait pas servi de l’indicatif présent, si l’instruction eût été abandonnée. Et pourtant Gaston ne pouvait guère admettre que M.  Roger Darcy attachât tant d’importance à l’informer d’un fait relativement insignifiant. Le billet de Nointel, d’autre part, était pressant. Aussi Gaston avait-il accepté l’invitation de la marquise, quoiqu’il lui semblât bien dur d’aller au bal avec la mort dans l’âme. Et, à force de réfléchir aux chances que lui offrait cette soirée, il en était arrivé à se dire qu’il ne fallait pas faire les choses à demi, que le mieux était d’apporter à la fête un visage riant, de danser avec madame Cambry, de valser avec madame de Barancos; en un mot, d’accepter toutes les conséquences de la corvée qu’il se résignait à subir.

      Pour se préparer, il avait passé la journée au coin de son feu, il avait dîné légèrement, il s’était endormi après son dîner, il s’était réveillé plus frais et plus lucide après une sieste de deux heures, et il avait procédé à sa toilette avec un soin tout particulier. Les deuils du cœur ne sont pas de mise au bal, et le meilleur moyen de servir la cause de Berthe, c’était de ne pas laisser voir que les infortunes de Berthe le désespéraient.

      Il venait de chausser les souliers vernis découverts, de passer le gilet à deux boutons et la cravate blanche dégageant le cou, d’endosser l’habit noir à grands revers, fleuri d’une rose thé à la boutonnière; il s’était muni

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