Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey

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à un autre point de vue que moi. Je ne te parle pas du poignard japonais qui lui appartient, des lettres brûlées, du fragment de billet qu’on a retrouvé dans sa cheminée. Tu connais tout cela et tu conviendras que mon devoir était et est encore d’instruire l’affaire, jusqu’à ce qu’elle soit éclaircie.

      Mais il vient de se produire un incident que tu ne connais pas et qui a un peu modifié la situation. Dans la nuit du samedi au dimanche, la nuit du bal, deux sergents de ville qui faisaient leur ronde ont trouvé sur le boulevard de la Villette, au coin de la rue du Buisson-Saint-Louis, un domino et un loup. Ces objets ont été reconnus formellement par une marchande à la toilette qui les a vendus à mademoiselle Lestérel. C’est une preuve de plus que la prévenue est allée au bal… et ailleurs, comme je te le disais tout à l’heure.

      – Boulevard de la Villette! répéta Gaston. C’est bien extraordinaire.

      – Très extraordinaire, en effet; mais ce qui ne l’est pas moins, c’est ce que je vais t’apprendre. Les deux sergents de ville que j’ai interrogés avaient déposé d’abord qu’ils avaient fait cette trouvaille à une heure très avancée de la nuit, sans préciser autrement, et je m’en étais tenu à cette déclaration, qui s’accordait fort bien avec les hypothèses de l’accusation. Avant-hier, l’un de ces gardiens de la paix a demandé à compléter sa déposition, et je l’ai fait appeler dans mon cabinet. Or, il est venu me dire que, depuis son premier interrogatoire, il s’était rappelé que, peu de temps après avoir ramassé le domino, il avait entendu sonner trois heures à une des églises de Belleville.

      – Eh bien? demanda Gaston qui ne devinait pas où son oncle voulait en venir.

      – Eh bien, répondit M.  Roger Darcy d’un air presque goguenard, c’est à cette circonstance que tu devras de revoir mademoiselle Lestérel. Et il faut que tu aies bien peu de pénétration dans l’esprit pour ne pas avoir déjà aperçu la raison suffisante de la mesure que je viens de prendre. Tu n’as décidément pas de vocation pour la magistrature. Réfléchis un peu, et tu te diras que le crime ayant été commis à trois heures par une femme en domino, cette femme ne pouvait pas être celle qui a jeté son domino dans la rue avant trois heures.

      – C’est l’évidence même, et, en présence d’une preuve aussi concluante, je m’étonne qu’il vous reste encore des doutes, et que vous ne fassiez pas relâcher définitivement mademoiselle Lestérel.

      – Pas si concluante que tu le prétends, la preuve. D’abord, je suis très frappé de ce fait que le témoin ne s’est rappelé qu’au bout de cinq à six jours le fait si important qu’il m’a déclaré. Ce retour tardif de mémoire est dû aux suggestions d’une personne étrangère à la cause.

      Gaston pensait:

      – C’est Nointel qui a fait cela. Et moi qui l’accusais de tiédeur… de négligence!

      – Je dois dire, reprit le juge, que je me suis renseigné sur la moralité de ce sergent de ville, et que j’ai appris qu’il était fort bien noté. Ses chefs le croient incapable d’altérer la vérité et de s’être laissé gagner par une gratification. Il affirme que c’est en causant de l’affaire dans un café avec un inconnu qu’il s’est souvenu de cette circonstance de l’heure sonnée par l’horloge de l’église Saint-Georges, une église nouvellement bâtie, rue de Puebla. Cet inconnu lui a fait remarquer, assure-t-il, que le juge devait tenir à être informé de ce détail et l’a engagé à me demander une audience.

      – Donc, tout s’explique de la façon la plus naturelle.

      – Hum! il faudrait encore savoir si ce donneur de conseils n’est pas intéressé dans la question. Si c’était, par exemple, un ami de la prévenue, il y aurait encore quelque chose à élucider de ce côté-là. Mais enfin, je tiens le fait pour établi. Malheureusement, ce fait est en contradiction avec plusieurs autres, tout aussi avérés. Pour qu’il innocentât complètement et définitivement mademoiselle Lestérel, il faudrait encore démontrer…

      – Quoi? s’écria Gaston, qui piétinait d’impatience.

      – Mais, par exemple, que la prévenue n’a pas changé de costume en route, qu’elle n’est pas entrée deux fois à l’Opéra, qu’entre ses deux visites, elle n’a pas été faire à Belleville un voyage dont la cause reste à déterminer, et qu’au cours de ce voyage, elle ne s’est pas débarrassée de son domino pour en revêtir un autre…

      – Mais c’est abs… non, c’est inadmissible.

      – Tu as failli me dire une impertinence, et tu oublies que la lettre de Julia donnait rendez-vous à mademoiselle Lestérel, à deux heures et demie. Il n’est pas du tout inadmissible que mademoiselle Lestérel ait été exacte. Quant à sa première apparition dans la loge, vers minuit et demi, elle peut s’expliquer de plus d’une façon.

      – D’autres femmes qu’elles y sont entrées.

      – Tu supposes cela, et c’est évidemment le système que le défenseur mettra en avant lorsque l’affaire viendra aux assises.

      – Aux assises! vous pensez donc…

      – Que la prévenue sera renvoyée devant le jury. C’est très probable. Cependant, ce n’est pas certain. Je ne nie pas a priori qu’une autre femme, ou même, si tu veux, d’autres femmes aient été reçues de minuit à trois heures par Julia. Mais jusqu’à présent, tout semble prouver le contraire. Le principal témoin sur ce point est l’ouvreuse. Or, cette femme est à moitié folle. C’est une espèce de madame Cardinal qui a deux filles marcheuses à l’Opéra et la tête farcie d’imaginations ridicules. Elle a été jusqu’à prétendre que le crime a été commis par ce M.  Lolif que tu connais et qui n’est qu’un sot inoffensif. Bref, je ne puis rien tirer de clair d’une extravagante que mon greffier a toutes les peines du monde à suivre quand elle se met à divaguer. De ce côté encore, les obscurités abondent.

      – Vous en convenez, et cependant vous persistez à soutenir l’accusation, dit Gaston avec amertume.

      – Je ne soutiens rien du tout. Je ne suis pas le ministère public. Et j’ai fait pour la prévenue tout ce que je pouvais faire, plus que je ne devais peut-être, répondit sévèrement le magistrat. Il y a des doutes, je le reconnais, et le fait du domino retrouvé avant trois heures constitue une présomption très favorable à mademoiselle Lestérel. Je me suis appuyé sur ce fait pour prendre une mesure qui a été bien rarement appliquée dans une affaire criminelle de cette gravité, mais qui me paraît humaine et équitable. J’instruis, je ne juge pas. Ce sont les jurés qui jugent. C’est pour cela qu’on les a inventés. Mais je puis, sans clore l’instruction, épargner à une jeune fille intéressante des rigueurs inutiles. J’ai donc, après en avoir référé à qui de droit, signé l’ordre de la mettre en liberté sous caution. Cette caution a été versée aujourd’hui, et je n’ai aucune raison pour te cacher que c’est madame Cambry qui l’a fournie.

      Je l’avais deviné. Elle la croit innocente, et elle est si bonne!

      – À ne te rien celer, j’aurais préféré qu’elle ne se mêlât pas de cette affaire, car enfin elle sera bientôt ma femme, et il n’est pas d’usage que les prévenues soit cautionnées par la future du juge qui a leur affaire entre les mains. Mais elle a fortement insisté, et puis, après tout, nous ne sommes pas encore mariés. Elle est libre de ses actions. D’ailleurs, je ne vois pas à qui mademoiselle Lestérel aurait pu demander ce service.

      – À moi.

      – L’inconvénient

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