Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

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Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey

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fête de la marquise était de celles qui occupent pendant toute une semaine les journaux du high life et dont la description fait, comme on dit, le tour de la presse. Les gens les plus haut placés dans toutes les hiérarchies parisiennes tenaient à s’y montrer, et beaucoup de personnages d’une moindre importance n’en étaient pas exclus, madame de Barancos, en sa qualité d’étrangère, ayant cru devoir étendre ses invitations un peu plus qu’il n’est d’usage dans le très grand monde. Aussi, à l’heure où il est de bon ton d’arriver, la queue des équipages commençait-elle à l’angle de la rue de Courcelles.

      Il gelait. Un tapis de neige durcie recouvrait les chemins de la grande ville et les roues glissaient sans bruit sur les pavés capitonnés par l’hiver. Les heureux du monde passaient entre deux haies de pauvres diables accourus là pour se réchauffer au spectacle de ce luxe ambulant, pour regarder à travers les glaces des voitures armoriées les femmes blotties sur des coussins de soie, pour contempler de loin la façade étincelante de l’hôtel, pour oublier un instant la faim, le froid, la mansarde sans lumière et sans feu. Et plus d’un enviait le sort de ce jeune, beau et riche garçon qui avait nom Gaston Darcy, et qui n’appréciait guère en ce moment ce bonheur d’aller au bal dans un coupé bien chaud, traîné par un beau cheval.

      La princière habitation de la marquise touchait au parc Monceau. Les fenêtres resplendissaient des feux de mille bougies, et les harmonies de l’orchestre, amorties par les tentures, passaient dans l’air sec de la nuit comme les vibrations lointaines d’une harpe éolienne. Après avoir franchi la grille dorée, les équipages tournaient au trot cadencé de leurs attelages de hautes allures, et venaient s’arrêter devant un majestueux perron chargé de plantes exotiques. Les invités pouvaient croire qu’ils débarquaient à la Havane, car toutes les fleurs tropicales brillaient dans le vestibule, spacieux comme une serre. À l’entrée de ce jardin d’hiver, se dressaient deux statues en onyx – des esclaves nubiens portant des torchères d’argent – et d’un buisson de camélias, surgissait un ours colossal, un ours empaillé en Russie où il avait dû dévorer beaucoup de moujiks.

      Darcy mit pied à terre au milieu d’une armée de valets de pied, en livrée amarante et or, donna un coup d’œil à une magnifique glace de Venise pour s’assurer que sa tenue n’avait souffert aucun dérangement pendant le court trajet de la rue Montaigne à l’avenue Ruysdaël, et fit, avec l’aisance d’un homme du monde, son entrée dans un premier salon où se tenait debout, pour recevoir ses invités, l’incomparable marquise de Barancos.

      Elle portait une ravissante toilette: robe de satin blanc, couverte de grappes de fleurs rouges, agrafée aux manches avec de gros nœuds de saphirs, trois rangs de perles au cou, un bandeau de diamant au front, boucles de brillants aux souliers mignons qui chaussaient ses pieds, les plus jolis du monde. Et ce soir-là, elle était en beauté. Ses yeux rayonnaient, sa bouche s’épanouissait, sa peau veloutée avait cette coloration chaude qui double d’éclat aux lumières. À l’expression inquiète qui assombrissait par instants son visage, le soir de la représentation du Prophète, avait succédé un air joyeux et fier. On devinait que cette créole était heureuse de vivre, d’être riche, d’être belle. Les femmes qui aiment ont souvent ces airs-là.

      Darcy, en la voyant si triomphante, eut un serrement de cœur. Il lui semblait impossible que la main qu’elle lui tendait gracieusement eût frappé Julia d’Orcival, que le franc sourire qui éclairait ses traits charmants cachât un remords. Et il savait que, pour que Berthe fût innocente, il fallait que madame de Barancos fût coupable.

      Il la salua pourtant aussi correctement que possible, mais il eu à peine le courage de bourdonner une de ces phrases inintelligibles qui forment l’accompagnement obligé du salut d’arrivée. Elle ne lui laissa pas le temps d’achever ses banalités.

      – Vous êtes mille fois aimable d’être venu, lui dit-elle avec grâce, car je sais que vous vous êtes cloîtré depuis notre rencontre à l’Opéra. Et puisque votre neuvaine est finie, j’espère que vous ne vous ennuierez pas chez moi. Votre ami, M.  Nointel, est ici.

      Gaston s’inclina et céda la place à deux Américaines éblouissantes qui s’avançaient avec un frou-frou de soie et un cliquetis de pierreries. Il passa, et il entra dans la salle de bal où on dansait déjà.

      C’était un ravissant assemblage de tentures brochées, de meubles dorés, de plantes rares et de femmes élégantes, un bouquet de beautés, un feu d’artifice de couleur. Mais Darcy ne prit pas grand plaisir à admirer ce délicieux tableau. Il cherchait Nointel, et il l’aperçut causant au milieu d’un petit groupe où figurait l’inévitable Lolif. Le joindre n’était pas facile, car les quadrilles lui barraient le passage. Il y parvint cependant, et Nointel, en le voyant, s’empressa de planter là les indifférents pour s’accrocher au bras de son ami et pour l’entraîner dans un coin.

      – Mon cher, dit joyeusement le capitaine, tu as bien fait de venir. Je te ménage une surprise à la fin de la soirée.

      – Quelle surprise? demanda vivement Darcy.

      – Cher ami, répondit Nointel en riant, si je te le disais maintenant, ce ne serait plus une surprise quand le moment sera venu de m’expliquer. Tu ne perdras rien pour attendre, et afin de t’aider à prendre patience, je vais te raconter une foule de choses qui t’intéresseront.

      – Il n’y en a qu’une qui m’intéresse.

      – C’est bien de celle-là que je vais te parler… indirectement. Mais avoue que tu m’en veux de ne pas être venu te voir depuis quelques jours.

      – Oh! je sais que ma compagnie n’est pas gaie.

      – C’est cela; tu es vexé. Parions que tu m’accuses de légèreté et même d’indifférence. Eh bien, je te jure que tu as tort. Je n’ai été occupé que de toi, c’est-à-dire de mademoiselle Lestérel. Et j’ai plus fait pour elle en une semaine que je n’aurais fait en un mois, si nous avions travaillé de concert.

      – Qu’as-tu donc fait?

      – D’abord, j’ai acquis la certitude qu’elle est innocente; ah! mais là! complètement innocente. Non seulement ce n’est pas elle qui a tué Julia, mais ce n’est pas elle qui a écrit les lettres compromettantes qu’elle est allée chercher au bal de l’Opéra.

      – Elle y est donc allée?

      – Oui, c’est un fait acquis. Mais elle y est allée, comme nous le supposions, par dévouement… un dévouement sublime, mon cher. Les lettres étaient de sa sœur; pour les ravoir, elle a risqué sa réputation; et maintenant qu’elle est accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis, elle aime mieux passer en Cour d’assises que de confesser la vérité. Elle se laissera condamner plutôt que de trahir le secret de madame Crozon. Elle n’aurait qu’un mot à dire pour se justifier, mais ce mot coûterait la vie à une femme qui lui a servi de mère, et ce mot, elle ne le dira pas.

      – Dis-le donc pour elle! Si tu peux prouver cela, qu’attends-tu pour la sauver? Pourquoi ne cours-tu pas chez son juge? Il va venir ici. Refuseras-tu de lui apprendre ce que tu prétends savoir?

      – Absolument. Ce serait une fausse démarche, et les fausses démarches sont toujours nuisibles. Il se pourrait qu’il désapprouvât ce que je fais pour contrecarrer l’accusation et qu’il me priât poliment de me tenir en repos. Je ne veux pas me brouiller avec lui, et je tiens à conserver ma liberté d’action.

      – Je ne te comprends plus, dit tristement Darcy.

      – Il n’est pas nécessaire que tu me comprennes, répliqua Nointel avec un calme parfait.

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