Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey
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– Je n’oublie rien, et pour te prouver que je pense à sa situation, je puis, dès à présent, t’apprendre que son innocence éclatera peut-être d’ici à vingt-quatre heures, et que je ne serai pas tout à fait étranger à ce résultat.
– Comment éclatera-t-elle? Parle donc!… à moins que tu ne prennes plaisir à me torturer.
– Il s’agit d’un point à établir, un point sur lequel je me suis permis d’attirer l’attention de M. Roger Darcy qui n’y avait pas attaché d’abord assez d’importance.
– Quoi! tu as vu mon oncle!
– Non pas. J’ai prié quelqu’un de voir un témoin qui a déjà été entendu, et d’engager ce témoin à déposer de nouveau et à préciser cette fois sa déposition. Cela a dû être fait hier ou avant-hier, et si, comme je l’espère, le témoignage a été favorable à la prévenue, elle est sauvée. L’alibi est démontré.
Le cœur de Darcy battait à l’étouffer. Il se rappelait la lettre de son oncle, et il se demandait si ce n’était pas là cette bonne nouvelle que devait lui annoncer madame Cambry; mais il gardait encore rancune au capitaine, et il trouva bon d’imiter vis-à-vis de lui la discrétion exagérée qu’il lui reprochait. Au lieu de lui confier ses espérances, il se borna à lui répondre:
– Ce serait trop beau. Je n’y compte pas.
– Il ne faut jamais compter sur rien, reprit tranquillement Nointel. Et si nous manquons ce succès, je vais exécuter mon plan, qui est simple et pratique. Mon plan, tu le sais, consiste à convaincre la Barancos d’avoir poignardé de sa jolie main la pauvre Julia. Si elle est coupable, mademoiselle Lestérel ne l’est pas. C’est clair, et cela vaut tous les alibis du monde. Or, je tiens Simancas et Saint-Galmier. Je connais les coquineries de ces deux drôles qui se sont implantés chez la marquise et qui voulaient m’empêcher d’y entrer. J’y suis, tu le vois, et j’y resterai jusqu’à ce que je possède son secret. Les bandits transatlantiques ont baissé pavillon, et je les ferai mettre à la porte quand il me plaira. Je tolère provisoirement leur présence pour des raisons à moi connues, mais il n’est pas impossible que cette nuit même, j’arrache un aveu à la Barancos. C’est à cause de cela que je t’ai prié de venir.
– Toujours des énigmes, murmura Gaston.
– Des énigmes dont tu auras le mot, si tu as le courage de ne pas aller te coucher avant l’heure du cotillon.
– Je comprends de moins en moins.
– Raison de plus pour rester. Je conçois que tu n’aies pas le cœur à la danse, mais le quadrille n’est pas obligatoire, et, pour te désennuyer, tu auras la conversation de ton oncle qui ne peut manquer d’être intéressante. Il t’apprendra peut-être du nouveau et, dans tous les cas, il te parlera de son mariage qui est décidé. Quatre-vingt mille livres de rente que tu perds. Je ne te blâme pas. J’aurais, je le crains, agi comme toi. Rien ne vaut l’indépendance. Et en vertu de cet axiome, tu m’excuseras de te quitter. Madame de Barancos va bientôt avoir fini de recevoir son monde, et toute maîtresse de maison qu’elle est, elle ne donnera pas sa part de sauterie. C’est une valseuse enragée. Elle préfèrerait peut-être la cachucha, mais les castagnettes sont mal portées, et elle n’est pas Espagnole au point d’exécuter en public un pas national. Elle se rattrape sur la valse, et je compte valser avec elle tant que je pourrai, sans parler du cotillon qui m’est promis. C’est au cotillon que je frapperai le grand coup, et, si tu m’en crois, tu m’attendras jusqu’à ce que cet exercice final soit terminé.
– Je ne te promets rien.
– Soit! mais tu resteras, car moi, je te promets de revenir avec toi, dans ton coupé, et de te rendre un compte exact et circonstancié de mes opérations. Plus d’énigmes, plus de cachotteries; tu sauras tout. Est-ce dit?
– Oui, mais…
– Cela me suffit, et je vais à mes affaires. Gare-toi de Lolif, qui cherche quelqu’un à ennuyer, et si Saint-Galmier ou Simancas t’abordent, sois poli tout juste et coupe-les impitoyablement.
– Tu n’as pas besoin de me recommander cela. Ces deux gredins me répugnent.
– Ah! il y a aussi Prébord, qui a réussi à s’introduire ici, malgré l’affront que madame de Barancos lui a fait l’autre jour aux Champs-Élysées. Je pense qu’il filera doux devant toi, mais évite-le. L’heure n’est pas venue de lui chercher noise. Sur ce, cher ami, je vais… Ah! parbleu! tu ne resteras pas longtemps sans avoir à qui parler. Voici M. Roger Darcy donnant le bras à madame Cambry. Elle est un peu pâle, mais comme elle est jolie! Et son futur a rajeuni de dix ans. L’oncle a succession s’est transformé en jeune premier. Adieu l’héritage! Avant qu’il soit longtemps, tu auras une demi-douzaine de petits cousins et de petites cousines. Et c’est toi qui l’as voulu. Au revoir, après le cotillon. Je cours me mettre aux ordres de la marquise.
Ayant dit, le capitaine laissa son ami réfléchir et se perdit dans la foule qui encombrait la salle.
L’orchestre s’était tu; le quadrille venait de finir, et les cavaliers reconduisaient leurs danseuses. Au même moment, d’autres couples nouvellement arrivés faisaient leur entrée, et de ces deux courants contraires, il résultait une certaine confusion qui se produit presque toujours à chaque entracte d’un grand bal. Gaston chercha des yeux son oncle et ne l’aperçut point. Il lui fallut fendre les groupes pour le rejoindre, et il eut beaucoup de peine à y parvenir. Après de longues manœuvres, il le découvrit enfin debout devant madame Cambry qui venait de s’asseoir et qui était déjà fort entourée. Sa beauté attirait les hommes, comme la lumière attire les papillons. On faisait cercle devant sa chaise; elle avait fort à faire pour inscrire sur son carnet toutes les valses sollicitées par les jeunes et pour répondre aux compliments des amis plus mûrs qui la félicitaient discrètement sur son prochain mariage. M. Roger Darcy recevait force poignées de main et se tirait en homme d’esprit d’une situation assez délicate à son âge, la situation du futur agréé, déclaré, escortant la jeune femme qu’il va épouser: l’école des maris avant la cérémonie.
Gaston ne se souciait pas de se mêler à ces courtisans plus ou moins sincères; il avait à dire à la charmante veuve toute autre chose que des fadeurs, et il attendit, pour s’approcher d’elle, que l’essaim des galants se fût envolé. Et, en attendant, il se mit à la regarder de loin, dans l’espoir de lire sur son doux visage la nouvelle qu’elle avait à lui annoncer. Il n’y lut rien du tout. Une femme au bal cache ses tristesses sous des sourires; les joues pâlies par les chagrins se colorent, les yeux qui ont pleuré étincellent. Impossible de deviner si le cœur est de la fête ou si la joie qu’on a affichée n’est qu’un masque. Gaston ne vit qu’une chose, c’est que madame Cambry était ravissante.
Elle avait adopté une mode nouvelle qui sied à merveille aux blondes cendrées, quand elles ont la peau très blanche. Elle était entièrement habillée de satin noir. Sa robe, très serrée aux hanches, faisait admirablement valoir sa taille souple et ronde. Pas de blanc, pas d’agréments de couleur sur ce fond sombre. Rien que des fleurs clairsemées, des fleurs d’une seule espèce, d’énormes pensées d’un violet bleu, que le jardinier qui les a créées a appelées des yeux Dagmar, parce qu’elles rappellent la nuance extraordinaire des yeux d’une adorable princesse.
C’était le deuil, un deuil de bal. La belle veuve aurait pu avoir la mort dans l’âme et s’habiller ainsi pour mener ses douleurs dans le monde.
Elle n’avait pas mis de diamants, quoiqu’elle en eût de superbes,