Les terres d'or. Gustave Aimard

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Les terres d'or - Gustave  Aimard

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dit Allen en prenant un air d’indifférence affectée, votre père n’a rien à craindre et nous seuls sommes en danger; car, ainsi que vous pouvez le voir, nous ne sommes point armés.

      Alice était peu habituée à de semblables conversations; elle garda timidement le silence, mais son doux regard fit à Allen une réponse bien plus expressive que tous les discours du monde. Le jeune homme, touché jusqu’au cœur par ce muet appel à sa bienveillante modération, se hâta de dire d’une voix émue:

      – Maintenant, en signe de paix et de réconciliation, vous allez nous permettre de cueillir nos fraises pour en remplir votre corbeille; vous regagnerez ensuite votre logis, gentiment approvisionnée, et nous arriverons peut-être enfin à conclure une trève à toutes ces discussions. N’est-ce pas, docteur?

      – Oui! je serais bien heureux d’en finir avec ces tiraillements pénibles, répliqua ce dernier en prenant doucement la corbeille où son compagnon commençait déjà à jeter des fraises.

      Ainsi pressée, la jeune fille les laissa faire en souriant. Intérieurement il lui semblait que cette petite aventure n’avait rien de «dangereux,» et, qu’au contraire, le retard apporté dans la marche des jeunes gens serait utile, puisqu’il les ferait arriver moins vite sur les lieux contestés; pendant ce temps la colère de Newcome aurait le temps de s’apaiser un peu à la fraîcheur du matin.

      Cette pensée, et quelques autres sentiments dont elle ne se rendait pas compte, ramenèrent le calme dans son esprit, les teintes rosées sur ses joues, le sourire sur ses lèvres: elle reçut la corbeille remplie jusqu’au bord, en remerciant avec effusion.

      – Adieu maintenant, miss Newcome, dit Allen; peut-être avant ce soir votre père nous invitera à en manger chez vous.

      – Dieu le veuille! j’en serais bien heureuse! répondit l’enfant avec une naïve ardeur.

      Puis, tout à coup se rappelant les sévères paroles de son père, et songeant que sa conversation avec des étrangers avait duré trop longtemps, Alice rougit, baissa la tête et s’enfuit.

      Après l’avoir suivie des yeux jusqu’à ce qu’elle eût disparu derrière les arbres, Squire et Doc continuèrent leur promenade matinale.

      En arrivant sur le territoire litigieux, ils trouvèrent leurs pieux arrachés entièrement, une nouvelle rangée plantée fort avant sur leur claim, en détachait une portion considérable. Cet empiétement audacieux, en tranchant dans le vif sur leur propriété, la dépouillait d’un superbe pâturage et d’une futaie magnifique.

      Leur premier mouvement fut loin d’être pacifique, et ils n’auraient pas eu besoin d’être beaucoup excités pour recourir aux moyens violents. Quoiqu’ils eussent pour eux déjà le droit légal d’une concession authentique, le droit du plus fort commençait à leur paraître préférable.

      Cependant, disons-le à leur louange, le souvenir des pacifiques promesses qu’ils venaient de faire à la tremblante Alice leur revint à l’esprit; ils formèrent la bonne résolution d’y rester fidèles.

      – Tout ce que nous pouvons faire en cette occurrence, dit Allen, c’est d’imiter ce vieux singe de Newcome; arrachons ses clôtures et transportons-les à leur place légitime.

      – Adopté à l’unanimité! répondit gaîment le docteur; je ne vois guère d’autre parti à prendre.

      Aussitôt les jeunes gens se mirent vigoureusement à l’œuvre. Ils travaillèrent ainsi pendant une heure et demie sans être troublés dans leur occupation solitaire; mais lorsqu’ils arrivèrent à la forêt, ils aperçurent Newcome qui, appuyé sournoisement derrière un arbre, guettait tous leurs mouvements. Ne voulant pas avoir l’air de le reconnaître, jusqu’à ce qu’il s’annonçât lui-même, ils continuèrent leur besogne comme si rien n’était; arrachant, replantant, consolidant leurs pieux.

      Lorsqu’ils furent tout à fait proches de lui, l’action s’engagea:

      – Vous verrez sous peu votre travail perdu, leur dit l’irascible voisin avec un affreux sourire.

      – Eh bien! nous recommencerons la partie dès que vous aurez fait votre jeu, répliqua aigrement le docteur.

      – Oui, mais viendra le moment où vous aurez recommencé une fois de trop, gronda l’autre.

      – Est-ce une menace? par hasard! demanda le docteur d’une voix de cuivre.

      – Rappelez-vous notre promesse, Doc! murmura Allen à son oreille, de façon à ce que Newcome ne l’entendît pas; laissez aboyer ce vieux dogue, il ne peut nous faire grand mal.

      – Oh! oh! quand je n’aboie plus, je mords, moi! riposta avec une sauvage emphase Newcome, qui avait compris les derniers mots.

      Allen se doutait bien que cette escarmouche verbale ne finirait pas bien; pour donner à son ami le temps de se calmer, il s’empressa de prendre la parole avant le docteur.

      – Nous ne pouvons croire, M. Newcome, dit-il posément, que vous ayez l’intention de commettre vis-à-vis de nous quelque acte violent ou illégal. Si nous ne pouvons arriver au règlement de cette difficulté entre nous, il faudra la déférer au claim-club ou à une cour de district, comme vous aimerez mieux.

      – Oh! mais non! vous ne me fourvoierez pas dans les buissons de la chicane, mes beaux mignons! reprit Newcome en ricanant: je sais trop bien où s’en iraient mes droits, dans cette hypothèse. Des gens comme vous ne sont pas gênés par un excès d’honnêteté!… Je m’entends, et je préfère régler moi-même mes petites affaires.

      – Prenez garde à ce que vous dites! s’écria le docteur dont le sang irlandais se mettait promptement en ébullition.

      – Bast! n’écoutons donc pas ce pauvre fou! dit Allen en se détournant avec une expression de mépris.

      Au même instant Newcome lui lança sur la tête un énorme gourdin qu’il avait tenu tout prêt: Allen aurait été assommé, si le docteur n’eût paré le coup avec sa hache en coupant le bâton, et le rejetant sur Newcome.

      Les yeux de ce dernier étincelèrent comme ceux d’un loup; instinctivement il prit et arma son fusil qui, jusque-là, était resté appuyé contre un arbre.

      – Faites attention! Newcome! Malheur à vous si vous faites feu! cria Allen. Je retirerai si vous voulez mes propos offensants, que vous avez pourtant provoqués. Croyez-moi, restons-en là, avant qu’il survienne entre nous matière à quelque terrible regret.

      – Pas de trève, non! cet homme doit être mis en arrestation! vociféra le docteur hors de lui.

      – Eh bien! arrêtez-moi si vous pouvez! répondit Newcome en serrant les dents.

      A ces mots, il jeta son fusil sur son épaule et disparut dans le fourré.

      Les jeunes gens restèrent durant quelques minutes en délibération, ne sachant quelle allure donner à cette méchante affaire, en présence d’un tel ennemi.

      Tout à coup un éclair brilla dans l’ombre du bois, une détonation se fit entendre; le docteur tomba à la renverse en s’écriant:

      – Allen! mon Dieu! je suis frappé à mort!

      Allen fut tellement abasourdi de cette catastrophe, qu’il resta pendant quelques instants sans savoir que

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