Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

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Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi

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ou (pour parler plus moderne) dans les capitales des États-Unis de la Colombie-Grenadine; il a poussé, je crois, jusque dans les républiques de l’Ecuador et de la Bolivie. Mais son centre principal, la maison mère, comme il dit plaisamment, est resté à Caracas.

      – Le voyez-vous quelquefois?

      – Oui… mais jamais dans l’hivernage, c’est-à-dire de juillet à octobre. Il vient revoir la France ici, pendant la saison fraîche, où il n’y a jamais d’ouragan.

      Après quelques remerciements et politesses, on prit congé. Le temps avait passé; le secrétaire du gouverneur reconduisit Lavarède au bateau. Là, tout était bouleversé: il y avait eu un raz de marée.

      Ce phénomène bizarre est assez commun dans ces parages, mais il n’en est pas plus expliqué pour cela. En plein calme, sans que les flots soient agités au large, de longues houles se produisent, s’accentuant de plus en plus à mesure qu’elles s’approchent du rivage, si bien que, sur la côte, la mer est furieuse et comme démontée. Heureusement, le port de Fort-de-France est sûr, c’est le mieux abrité des Antilles, en sorte que les effets de ce raz ne furent point funestes à la Lorraine.

      – Bonheur encore que nous n’ayons pas vu le cyclone, dit un des matelots; ça ravagerait tout, les maisons et les bateaux.

      – Ces cyclones sont donc bien terribles? fit miss Aurett.

      – Certes, répondit sir Murlyton, et ils sont particuliers à la Carribean sea, – le nom que les Anglais donnent à la mer des Antilles.

      Pendant que le navire dérapait, un officier du bord en rappela quelques-uns dont la Martinique eut fort à souffrir: celui du 10 octobre 1780, qu’on appelle encore le «grand ouragan», celui du 26 août 1825, et celui du 4 septembre 1883, où la ville de Saint-Pierre fut à demi détruite et vingt navires perdus dans le port. On était silencieux. Cela se comprend: l’évocation de tels désastres n’est pas pour que l’on rie.

      Quelques instants après, Lavarède, seul sur le pont, regardant la côte qui approchait, restait pensif. À peine interrogea-t-il le second.

      – La première escale est bien la Guayra?

      – Oui; ensuite Porto-Cabello, encore en Vénézuela; ensuite Savanilla, en Colombie; mais, à l’aller, nous ne nous arrêtons guère sur ces points que pour le service de la poste. Au retour, nous restons plus longtemps, à cause des chargements pour l’Europe.

      La Lorraine continua sa route. Lavarède ne parut point à table. Il était malade, disait-on.

      Le lendemain, sir Murlyton le fit demander. Bouvreuil et don José le cherchèrent eux-mêmes partout. Ils ne le trouvèrent point. Lavarède avait disparu. Tout le monde était inquiet, sauf miss Aurett, qui seule paraissait conserver son sang-froid britannique.

      VI. Sur la terre américaine

      On le devine sans peine, la disparition de Lavarède fut un gros événement à bord de la Lorraine. Un instant on le crut tombé en mer. Mais sir Murlyton alla parler au commandant après l’escale de Sabanilla, et il le rassura. Il avait trouvé dans sa cabine un mot du voyageur ainsi conçu:

      «Dans huit ou dix jours, attendez-moi à Colon, à Isthmus’s Hotel, où je vous rejoindrai sans doute. Je ne vois aucun inconvénient à ce que l’infortuné Bouvreuil réintègre son nom et sa cabine, maintenant que je ne navigue plus avec lui; mais je vous saurai gré d’attendre la prochaine relâche de la Lorraine pour dire la vérité.

      Mes hommages à miss.

      «Ever yours.

      «Armand Lavarède,

      «Millionnaire de l’avenir.»

      L’Anglais se conforma à ces instructions. Il était vraisemblable qu’Armand était descendu à la Guayra, le port de Caracas en Vénézuela, dont il n’est séparé que par moins de cinq lieues.

      L’identité de Bouvreuil, constatée par ses papiers, fut attestée par sir Murlyton et par le passager d’illustre marque don José Miraflorès y Courramazas. On se confondit en excuses, mais ces regrets ne furent que superficiels; car les officiers du bord avaient un faible pour le joyeux aventurier disparu dans l’Amérique du Sud. Et, malgré eux, ils se montrèrent froids et réservés avec l’individu qui leur avait donné tant de tablature pendant la traversée. Il n’en reprit pas moins possession de son rang de passager de première classe. Et le voyage finit pour lui mieux qu’il n’avait commencé.

      Mais un doute singulier, un mystère étrange subsista pendant les derniers jours, et l’on parle encore, à bord des transatlantiques, de cette bizarre substitution, qui n’a jamais été complètement expliquée.

      Ces événements avaient nécessairement rapproché les quatre passagers qui connaissaient Lavarède.

      Don José en profita pour tracer quelques parallèles, exécuter quelques travaux d’approche, afin d’avancer le siège de la petite aux millions.

      Ce fut en pure perte. La jeune perle de la Grande-Bretagne demeurait inabordable, tels les carrés de l’infanterie anglaise à Waterloo. Bouvreuil, de son côté, cherchait à déconsidérer l’absent dans l’esprit de sir Murlyton.

      – C’est un bohème sans consistance, sans position, sans fortune, disait-il.

      – À moins, objectait le rival impassible, qu’il ne gagne dans un an les quatre millions du cousin Richard.

      Un haussement d’épaules fut la seule réponse du propriétaire irrité. C’était fort invraisemblable, en effet.

      La Lorraine parvint à Colon sans encombre, et, une fois à terre, chacun reprit ses occupations personnelles.

      Froidement, mathématiquement, sir Murlyton et miss Aurett descendirent à Isthmus’s Hotel, maison anglaise tenue avec le confortable cher aux insulaires, – d’autant plus cher ici qu’il y coûte les yeux de la tête, Bouvreuil les y suivit. C’était conforme d’ailleurs à son programme du départ: «Article 3, descendre de préférence dans les hôtels anglais.» Au surplus, il n’oubliait pas ce qu’il était venu faire dans l’isthme: représentant d’un groupe important de porteurs de titres, il voulait voir l’état réel des travaux, et se rendre compte par lui-même de la possibilité ou de l’impossibilité d’aboutir, dans un temps donné, à un résultat définitif.

      Il avait un rapport à faire, et, pour commencer, il prit le chemin de fer, qu’il parcourut dans toute sa longueur de Colon à Panama, puis de Panama à Colon, espérant qu’il verrait quelque chose d’utile, – voyage très court d’ailleurs, puisque la distance est inférieure à celle de Paris à Montereau. Il fallait d’autres yeux que les siens pour cela, des connaissances spéciales qu’il n’avait point. Il crut très malin de s’aboucher avec des Français qu’il supposait heureux de se rencontrer en ces lointains parages avec un compatriote. Il n’en trouva point d’assez naïf, ou d’assez bavard, pour s’ouvrir à lui, tout futé, tout madré qu’il fût. Il attendit une occasion que sa bonne étoile devait lui envoyer.

      Mais, entre temps, il écrivit à sa fille, à sa Pénélope, pour lui dire que Lavarède était invisible et introuvable.

      «Errant dans une république quelconque du Sud, et séparé de toute communication régulière par la double chaîne des Cordillères des Andes, il en a pour plusieurs mois avant d’arriver dans un

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