Histoire des salons de Paris. Tome 2. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 2 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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genre léger et tout entier d'agrément; et lorsque Marmontel voulait sortir de sa manière romanesque, il montrait aussitôt l'auteur des Contes moraux, et parlait de la marquise de Duras, de madame d'Egmont, comme il faisait parler Annette et Lubin. Il n'avait pas de trait dans l'esprit, pour me servir d'une expression de ce temps-là, qui chez nous peint d'un seul mot… C'est ainsi que cette réunion d'hommes et de femmes aimables faisait de Brienne un lieu de délices. Il se joignait à cet agrément, qui fournissait aux plaisirs de chaque jour, un sujet de bonheur et de paix qui ne pouvait qu'augmenter le charme de ce beau lieu; c'était la bonté inépuisable du comte et de la comtesse de Brienne. On citait de cette bonté des traits vraiment touchants… Un jour le comte apprend que les lapins d'une garenne à laquelle il tenait beaucoup commettaient de grands dégâts; il donne aussitôt l'ordre d'entourer la garenne d'un mur élevé à ses frais. Un malheureux ne s'adressait jamais à lui sans en être écouté et soulagé. Un hospice pour les malades, des écoles pour les enfants, une école militaire, tous ces bienfaits étaient l'ouvrage de l'archevêque et de son frère. Pour le comte de Brienne, il avait peu d'esprit, mais un sens droit, une manière toujours indulgente de voir les choses et de les juger. Il avait été ministre malgré lui, et n'avait accepté que pour ne pas faire de peine à son frère l'archevêque, lorsque celui-ci était parvenu au premier ministère… Il quitta donc la place sans regret, et retourna dans sa paisible retraite, espérant y retrouver le repos. Mais le malheur avait frappé un premier coup, et il ne devait plus s'arrêter… Qui aurait prévu cependant, lorsque les plus belles fêtes faisaient retentir les salons et les jardins de Brienne des accents d'une joie heureuse, que quelques années plus tard cette belle demeure entendrait les cris du désespoir!..

      Lorsque le comte de Brienne fut arrêté et conduit à Paris, plus de trente villages environnants réclamèrent pour lui… mais telle était la rage stupide des bourreaux de cette époque, qu'on ne voulut voir dans cette démarche qu'un acte insurrectionnel!.. Le malheureux périt sur l'échafaud!..

      L'archevêque avait été jeté dans une prison de Sens, puis ensuite, à la fin du mois de février 1794, il avait été transféré chez lui avec des gardes qui ne le perdaient de vue sous aucun prétexte… Un jour, il dormait; des gardes, accompagnés d'un commissaire du gouvernement, viennent de nouveau l'arrêter… le malheureux vit qu'il était perdu!.. et son parti fut pris… Son frère devait venir le voir le lendemain de Brienne. L'archevêque demande à l'attendre… Indignement traité par les exécuteurs de l'ordre, il reçoit une funeste impression de cette sévérité et de l'horreur de sa position. Autour de lui était la belle madame de Canisy, sa mère, mère de la belle duchesse de Vicence, et les trois jeunes Loménie, ses neveux… sa tête se perdit, et le lendemain matin, son frère le comte de Loménie, partant pour voir mettre les scellés à Brienne, entra dans la chambre de l'archevêque, et le trouva mort dans son lit; il s'était empoisonné avec le poison composé par Cabanis lui-même: du stramonium combiné avec de l'opium.

      L'archevêque de Brienne a fait de grandes fautes dans son ministère. Je suis fâchée d'ajouter un mot de blâme à cette fin si désastreuse, mais la vérité est là pour l'histoire, et elle est sévère pour l'innocent comme pour le coupable… Et l'on ne peut se dissimuler que l'archevêque de Sens n'ait commis des fautes graves, surtout depuis la Révolution, dans le premier ministère à la tête duquel il était.

      J'ai entendu raconter à l'empereur une histoire assez extraordinaire qui aurait eu lieu au château de Brienne, alors qu'il était le rendez-vous de toutes les joies. L'empereur n'y était pas admis alors, il le fut depuis, et on le comblait même de bontés; mais il savait beaucoup de choses par le retour de quelques-uns de ses camarades que leurs relations de famille faisaient admettre au château lors des vacances.

      Un jeune homme de la société de madame de Brienne avait un caractère tellement désagréable qu'on ne pouvait vivre avec lui en bonne harmonie. Il avait surtout beaucoup de prétentions, et entre autres celle de n'avoir jamais peur. Un soir, la discussion s'échauffe; quatre personnes de la société font le pari avec ce jeune homme qu'avant six mois il aura été effrayé: il accepte; les conditions sont arrêtées; cent louis de pari seront payés par le jeune homme s'il perd, cent louis seront payés par les attaquants si le jeune homme sort vainqueur de la lutte…

      Pendant les premiers temps, les choses furent assez bien. Quelque bourrue que fût l'humeur de cet homme, elle ne tenait pas, elle cédait même parfois aux bouffonnes inspirations de ses amis. Le premier mois s'écoula sans qu'il eût cédé une seule fois à de la peur. On avait arrêté de ne continuer la chose qu'à Brienne.

      Un jour, les quatre amis réunis se dirent qu'il y avait une sorte de honte à n'avoir pas encore réussi. L'un d'eux fit une proposition qui fut adoptée et mise à exécution le soir même.

      J'ai déjà dit qu'il y avait à Brienne, dans les premières années de la construction du château neuf, quelques restes d'un vieux pavillon de l'ancienne construction, où les rats mangeaient les souliers de l'abbé Morellet; ce pavillon servait à loger des jeunes gens lorsque le château avait plus de monde qu'il n'en pouvait contenir. L'on se trouvait précisément dans cette circonstance, et le jeune homme poursuivi y logeait, ainsi que quelques-uns de ses amis.

      Le temps avait été orageux tout le jour… Le soir la tempête s'était apaisée, mais sans avoir éclaté, et lorsqu'on se retira, le temps avait cette pesanteur qui accable et rend malade.

      – Voilà une nuit pour une apparition! dirent les jeunes fous à leur ami…

      – Vraiment, leur répondit-il, je lui conseille de venir, elle sera bien venue.

      Et les saluant d'un air ironique, il rentra dans son appartement.

      L'air était lourd, l'atmosphère accablante; le jeune homme se laissa aller sur un fauteuil, dont les pieds vermoulus le soutenaient à peine, et là il eut d'étranges visions. Bientôt ses idées s'embrouillèrent, et il tomba dans un sommeil étrange. Son domestique le réveilla de cette sorte de torpeur… il se coucha presque malade et succombant à une impression toute nerveuse qui ne pouvait être naturelle, même par l'effet de la tempête…

      La chambre où il se trouvait était éloignée de toute la partie occupée même de ce pavillon déjà assez désert… elle était vaste et sombre… Un lit à colonnes torses, garni de rideaux en point de Hongrie, était la pièce la plus remarquable de l'ameublement. Le jeune homme l'avait longtemps considéré avant de se coucher.

      – Mon Dieu!.. avait-il dit, c'est comme un tombeau!..

      La chaleur accablante qu'il faisait et le temps orageux l'eurent bientôt endormi profondément, et il était enseveli dans son premier sommeil, lorsqu'un son plaintif le réveilla en sursaut. Ce bruit est près de lui… il est contre son oreille!.. il se lève sur son séant… et croit continuer un rêve interrompu. Les quatre parties de rideaux sont relevées autour des colonnes; contre chacune d'elles est appuyée une panoplie complète35, c'est-à-dire un chevalier revêtu de son armure, mais immobile, silencieux, et sans aucune apparence de vie!..

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<p>35</p>

On appelle ainsi, comme on le sait, une armure complète de chevalier dressée contre une muraille d'arsenal dans un vieux château.