Histoire des salons de Paris. Tome 2. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 2 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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les intrigues les plus actives. Rien ne se fit plus que par les femmes une fois qu'ayant cessé d'être châtelaines, elles sont venues sur un théâtre où l'action toute préparée les engageait à prendre un rôle dans la pièce. Suivez l'état de la société depuis Louis XIII, et voyez dans quel lieu se forment les conspirations!.. C'est dans le salon de madame de Longueville, c'est chez madame de Chevreuse, madame de Montbazon, et plus tard madame Tallien, madame de Staël, madame Château-Regnault, et une foule de femmes qui dans la Révolution ont été non-seulement activement importantes, mais dont l'influence fut discrète et puissante.

      M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, était dans le parti des prélats administrateurs, et fit beaucoup de bien dans la Provence comme M. de Dillon dans le Languedoc28.

      Puisque j'ai parlé du château de Brienne, voici une chanson qui fut chantée le jour de la Saint-Louis, pour l'inauguration du nouveau château. Elle peint l'intérieur de la maison d'une manière assez vraie.

Sur l'air: Dans le fond d'une rivière

      Dans le plus beau jour du monde,

      À Brienne consacré,

      Quand son nom est célébré

      Par vos santés à la ronde,

      Je chanterai de nouveau,

      Si votre voix me seconde,

      Je chanterai de nouveau

      Et Brienne et son château.

      Voyez ce lieu délectable,

      Où les bons mets, les bons vins,

      À vos désirs incertains

      Offrent un choix agréable.

      Comus donna ce projet

      Pour placer les dieux à table;

      Comus donna ce projet

      Du plus beau temple qu'était.

      Au salon si je vous mène,

      Vous admirerez encor,

      Non pas la pourpre ni l'or

      Qu'étale une pompe vaine,

      Mais une noble grandeur

      D'où tout s'arrache avec peine,

      Mais une noble grandeur

      Symbole d'un noble cœur.

      Là, d'un temple de Thalie

      Il29 a tracé les contours;

      Le ton du monde et des cours

      À l'art de Baron30 s'allie.

      Le vice et les préjugés,

      Enfants de notre folie,

      Le vice et les préjugés

      En riant sont corrigés.

      Des lieux où la trompe sonne,

      Je vois sortir à grands flots

      Chiens et chasseurs et chevaux,

      Que même ardeur aiguillonne.

      Diane apprête ses traits

      Comme la fière Bellone;

      Diane apprête ses traits

      Pour les monstres des forêts.

      Puisque ce séjour abonde

      En biens, en plaisirs si grands,

      Revenons-y tous les ans

      De tout autre lieu du monde.

      J'y chanterai de nouveau

      Si votre voix me seconde,

      J'y chanterai de nouveau

      Et Brienne et son château.

      Cette chanson est de l'abbé Morellet; on voit qu'il écrivait mieux en prose qu'en vers.

      C'est ainsi que se passait la vie à Brienne, au milieu d'une société nombreuse et pourtant choisie: de bonnes conversations, des fêtes et des plaisirs, voilà la vie comme il la faut mener; nous l'ignorons maintenant, c'est un secret perdu.

      Mais du sein de cette réunion de joies et de plaisirs un orage s'avançait menaçant et terrible: les jeunes femmes commencèrent à sourire avec moins d'abandon; leurs joues rosées devinrent pâles, car elles craignirent pour un père, un mari, un frère, un amant, un ami. Hélas! à cette époque, quelles sont les affections qui ne furent pas d'abord froissées par le sort, déchirées et baignées dans le sang!

      M. de Loménie fut ministre, son ambition fut satisfaite. Mais combien alors il regretta les jours tranquilles de Brienne! J'ai souvent pensé, en me trouvant dans la pièce qui faisait son cabinet, et dans laquelle j'attendais quelquefois des heures entières lorsque j'étais de service auprès de Madame Mère31, combien peut-être M. de Loménie y avait fait entendre des plaintes trop longtemps contenues dans le monde!.. Cette maison m'a toujours imprimé une profonde tristesse lorsque ma pensée me reportait vers une époque passée au milieu des troubles affreux dont le sang du malheureux archevêque de Sens avait augmenté l'horreur.

      Sans doute M. de Loménie fit des fautes dans son administration, mais ces fautes n'étaient pas de nature à lui donner vis-à-vis de la nation l'aspect d'un homme qu'il fallait conduire à la mort. Le jour où il fut décidé qu'il sortait du ministère, tous les jeunes avocats, toutes les têtes ardentes qui rêvaient déjà la Révolution, portèrent, sur la place de Grève, un mannequin habillé comme l'archevêque, et le brûlèrent. Il y eut du tumulte; le chevalier Dubois, commandant alors le guet de Paris, fit tirer sur la multitude, et plusieurs personnes tombèrent. Hélas! ce ne fut pas la première fois que les pavés de la Grève furent rougis du sang français autrement que par le supplice d'un criminel!

      Cette affaire, que je ne raconte pas plus longuement, au reste, dans cet ouvrage, parce que ce n'est pas son but, l'est avec beaucoup de détail dans mes Mémoires sur Napoléon et sur la Révolution.

      Cependant, s'il était condamné par un parti, M. de Loménie était excusé par l'autre, à la tête duquel était la Reine. Mais il y avait une autre faction qui lui était nuisible plus peut-être que l'autre ne lui était favorable, et cela par la conséquence toute naturelle que le mal blesse bien plus avant que le bien ne produit de bien lui-même. Ces factions qui se levaient avec haine, même contre M. de Loménie, étaient conduites par des femmes choquées dans quelques prétentions au château de Brienne, parce qu'elles jouaient mal la comédie, par exemple; et qui, ayant été exclues d'un rôle, n'avaient jamais pardonné au maître du château qui n'avait pas voulu qu'elles fussent ridicules. De là des haines plus ou moins gratuites, mais toutes funestes à celui qu'elles frappaient. Madame de Coigny était une des plus acharnées contre l'archevêque. Jeune, jolie, charmante, fort grande dame, riche, elle avait tous les droits d'une femme à la mode pour paraître sur le théâtre de Brienne; mais sa voix avait un tel accent qu'il était impossible de lui donner un rôle. Soit qu'elle crût que l'archevêque ne pouvait récuser ses droits, soit qu'elle se fît elle-même illusion sur cette voix vraiment désagréable, elle ne pardonna pas le refus qu'elle essuya, quoiqu'il fût entouré de tout ce qui pouvait l'adoucir. Elle fut une des plus ferventes à poursuivre l'archevêque lorsqu'il fut une fois sorti du ministère; elle était pourtant bonne, et la personne la plus sociable, surtout dans sa jeunesse; elle était fille de M. de Conflans.

      Sans être beau, le cardinal de Loménie en avait l'apparence; j'ai vu beaucoup de ses portraits dans sa famille qui me donnent de lui cette idée, du moins. Mais il avait dans le regard, dans le sourire, dans l'ensemble de la physionomie, cette expression malheureuse qui révèle une destinée funeste. Il avait de l'esprit, contait bien, et avait

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<p>28</p>

À l'époque même de la Révolution, on disait dans les villages du Languedoc, et je l'ai entendu moi-même: Ah! c'est encore de l'ouvrage de notre bon archevêque, de notre père! Il était adoré dans tout son diocèse.

<p>29</p>

Brienne.

<p>30</p>

Fameux comédien.

<p>31</p>

L'hôtel de Madame Mère était l'hôtel de Brienne; il est situé rue Saint-Dominique, faubourg Saint-Germain. C'est aujourd'hui le Ministère de la Guerre.