Histoire des salons de Paris. Tome 2. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 2 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Danton aurait tiré le poignard et conduit les assassins!.. Cette époque, où il allait si souvent chez madame Roland, était celle où il chantait les matines de septembre… on était aux vigiles de ces terribles jours, et Fabre d'Églantine, lui aussi, n'ignorait pas ce qui se préparait!.. Croyait-il, comme Danton, que là était le salut de la patrie?.. Mais n'abordons pas encore ce sujet… il viendra bien assez tôt!

      Lorsque Roland fut appelé au ministère pour la première fois, il y eut le jour de sa présentation une question singulière agitée dans le salon de madame Roland; j'ai oublié ce fait, mais il est toujours temps de revenir.

      – Je viens vous demander votre avis, ma chère amie, lui dit son mari; je le puis faire sans que l'on m'accuse de me laisser mener par ma femme, ajouta-t-il en riant. – Comment me faut-il être habillé?

      – Comment?.. mais comme vous êtes tous les jours. Demandez à ces messieurs…

      Madame Roland avait toujours la coutume de se référer à ceux qui l'entouraient avec une grâce charmante; et dans cette occasion elle était encore aimable, car c'était évidemment de son ressort…

      Tous furent de son avis, excepté Robespierre.

      – Il faut faire comme tout le monde, dit-il.

      – Eh bien! il fait comme tout le monde.

      – Non pas, car ses souliers, toujours attachés avec des cordons, ne se porteraient pas dans une assemblée ordinaire.

      – Avez-vous oublié, dit madame Roland avec une amertume qu'elle voulait vainement déguiser, que le jour où les trois corps furent introduits chez le Roi, on jugea à propos de n'ouvrir qu'un battant de porte pour le tiers-état. Mon mari n'est que du tiers-état;… et pour ce tiers-état, tout est assez bon… Il ne faut pas porter des objets qui ne sont pas faits pour nous… non plus que la terre elle-même n'est pas faite pour nous! Il faut un sentier frayé pour les pas d'une caste méprisée; à la Cour nous ne sommes que des parias!..

      Ses narines s'ouvraient et paraissaient trembler; ses lèvres étaient plus vermeilles, et sa voix émue ressemblait alors au tintement d'une cloche d'argent.

      Enfin la présentation par Dumouriez eut lieu le lendemain. Lorsque le chapeau rond, les souliers à cordons furent aperçus par l'huissier de la chambre, il demeura stupéfait, et dit à Dumouriez, qui était alors ministre des affaires étrangères:

      – Monsieur!.. eh quoi!.. sans boucles à ses souliers!..

      – Ah! s'écria Dumouriez, tout est perdu!.. pas de boucles aux souliers!!

      Ce conseil de madame Roland ne fut pas le seul effet de son influence sur les affaires à cette époque, et la disgrâce de Roland et sa sortie de son premier ministère, événement d'une grande influence, furent encore l'effet d'une de ces séances qui avaient lieu chez madame Roland autrefois quatre jours par semaine, et lorsqu'elle fut au ministère ce fut tous les jours.

      Ce qui causa véritablement la disgrâce de Roland, disgrâce venue de la Cour, tandis que la seconde vint de la Convention, fut une lettre écrite au Roi par Roland… Cette lettre n'est pas dans tous les mémoires du temps22… mais Bonnecarrère me l'a laissé copier dans les papiers qu'il avait à Versailles, papiers où il y a des trésors précieux, et dont je crois que son fils, son seul héritier, ignore la valeur.

      «Sire, l'état actuel de la France ne peut subsister longtemps… C'est un état de crise dont la violence a atteint le plus haut degré, etc.»

      Roland remit sa lettre au Roi; Servan, ministre de la guerre, remit aussi une lettre ou une note dans le même genre, et tout le ministère, Clavières, Roland, Servan, etc., se trouvant de la même opinion, donna plutôt qu'il ne reçut sa démission… Il y a dans ce fait une grande conséquence par les suites qu'eut ce changement de ministère. Madame Roland n'avait pas toujours en vue alors dans ses actions le salut de la patrie… il ne dépendait pas seulement de démarches du genre de celle-ci… Il ne s'agissait pas seulement de montrer au Roi qu'une femme avait du pouvoir sur son mari et sur une partie de l'Assemblée… Madame Roland en avait un grand sans doute à cette époque, et la Gironde, toute à elle, répondait à son appel. Mais le motif de la résistance de Roland était noble et beau; il s'agissait du camp de vingt mille hommes sous Paris.

      Servan était aussi un homme d'un beau caractère… – Comme ministre de la guerre, vous vous perdez si vous consentez, lui dit madame Roland.

      – Soyez tranquille, mon honneur et mon cœur me défendront…

      – Comment le Roi a-t-il pris votre avis?

      – Fort mal; il m'a tourné le dos, et à peine étais-je rentré que Dumouriez est venu me prendre le portefeuille, qu'il garde en attendant.

      – Dumouriez!..

      – Oui…

      – Mais comment se fait-il qu'il se trouve en faveur?..

      – Par la Reine… Bonnecarrère est fort en crédit près d'elle par une intrigue de femme du côté de la comtesse Diane de Polignac… Les femmes sont puissantes à cette cour… Et quand des personnes comme celle que je viens de nommer font et défont des ministres, une monarchie peut se dire perdue23.

      – Dumouriez! répéta madame Roland… Dumouriez et Bonnecarrère!..

      – Oui… celui-ci a un des portefeuilles, je ne sais lequel. C'est un homme de beaucoup d'esprit, qui a fait pour l'intrigue plus que jamais personne n'a fait pour le bien… Si cet homme avait autant travaillé pour être honnête homme qu'il l'a fait pour arriver à être un Figaro politique, il mériterait une statue!..

      – Mais comment allez-vous vous en tirer tous tant que vous êtes?..

      – Nous venons à vous!.. Clavières, votre mari et moi, il faut que vous nous donniez une direction de conduite et même une lettre dans laquelle nous donnons tous notre démission…

      – Ah!.. je le veux bien, dit madame Roland… aussi vous serez servis, je vous le jure, à souhait; car ce ministère, cette politique, cela m'éloigne de mes occupations chéries; et certes ce que me donnent en dédommagement ces grandeurs-là ne vaut pas la peine qu'on leur sacrifie une heure de sa vie privée!..

      Les ministres étaient donc réunis au nombre de quatre chez madame Roland, le soir du jour où Servan avait parlé au Roi et où Roland avait donné sa lettre. Assis en rond autour d'une table verte sur laquelle étaient des papiers et une écritoire, les quatre ministres observaient avec une sorte de joie inquiète madame Roland, dans la rédaction silencieuse de la lettre qu'elle faisait au nom de tous. Duranthon24, du parti de Dumouriez, était devant la cheminée, et, quoiqu'on fût au mois de juin, il y était debout, relevant les basques de son habit pour se donner une contenance, comme tous les hommes médiocres qui trahissent et sont au-dessous de la trahison… Il s'était fait attendre plus d'une heure au rendez-vous de ses collègues; Clavières ne l'aimait pas, et toutes les fois que madame Roland le consultait de l'œil ou de la voix, Clavières haussait les épaules, en lui disant tout bas:

      – Laissez-le donc à lui-même… nous n'en voulons pas plus dans notre disgrâce que nous n'en voulions dans notre prospérité.

      Au moment où madame Roland allait lire sa lettre, un message du roi mande M. Duranthon

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<p>22</p>

Bonnecarrère, témoin oculaire du fait, m'a dit que le Roi fut au moment de faire sortir Roland du salon; ce fut la Reine qui le retint. On a prétendu que ce fait avait été considéré comme une offense par le Roi, et qu'il ne le pardonna pas à Roland, et surtout à sa femme.

<p>23</p>

Voir à ce sujet l'Essai de M. de Chateaubriand sur les Révolutions, 1798, Londres.

<p>24</p>

Ministre de la justice.