Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Histoire des salons de Paris. Tome 3 - Abrantès Laure Junot duchesse d' страница 2

Histoire des salons de Paris. Tome 3 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

Скачать книгу

de leurs têtes cet acte de lâcheté. Ce fut elle qui montra le plus de courage; elle alla à l'échafaud avec sa mère, son mari, son frère et sa belle-sœur, pour ce prétendu projet d'assassinat de Collot-d'Herbois…

      – Ne croyez pas punir, dit-elle, avec une fermeté qui était remarquable dans une femme aussi belle et aussi jeune, aux bourreaux du tribunal; car je ne suis pas coupable, et j'aime mieux mourir, même à vingt ans, que de vivre au milieu de monstres tels que vous.

      Un témoin oculaire de ces temps désastreux, et qui avait particulièrement assisté à cette dernière scène, me disait que le courage de madame de Sartines avait été plus qu'admirable, car il était touchant… Elle aimait sa mère avec une extrême tendresse, et bien loin de lui reprocher sa mort, elle l'embrassait avec son frère, et la consolait ainsi que lui…

      – Nous mourons ensemble, que pouvons-nous regretter?..

      Ils moururent2 le 18 juin 1794… quelque temps avant le 9 thermidor!..

      Et voilà quelles étaient les joies de la société de France sous le beau règne de la terreur!..

      Quelquefois c'était Danton qui recevait à son tour ses collègues en puissance; sa femme était jeune et belle, et jamais on n'eût dit, en la voyant, qu'elle était chaque jour témoin du massacre de tant de milliers de victimes innocentes… Quelquefois aussi on allait chez Camille Desmoulins. Sa femme a laissé un nom qui vivra dans l'avenir. On parlera longtemps de sa beauté, de son esprit et de ce courage héroïque qui lui fit chercher la mort pour rejoindre celui qu'elle aimait au point de détester une vie qu'ils ne devaient plus parcourir ensemble…

      Il y avait souvent des réunions, des dîners, des soupers chez les hommes de la Révolution; mais une chose à remarquer, c'est qu'il y avait peu de fêtes particulières à l'époque désastreuse de 92 et 93, même dans les maisons des membres du Comité de Salut public. Ils se réunissaient parce que la nature française repoussera toujours l'isolement; mais il semblait qu'ils craignissent d'éveiller eux-mêmes des sons joyeux, et de provoquer le rire au milieu de tant de pleurs et de deuil!.. Les bals, les fêtes avec de grands appareils, tout cela était public, et donné au peuple pour l'empêcher d'entendre les cris des victimes lorsque la mort leur était trop amère, comme à madame Dubarry… Ces saturnales suffisaient à ce peuple, qui, semblable à celui de Rome, voyait tomber des têtes et allait applaudir aux jeux du cirque en criant également: Vive César!..

      À cette époque, bien qu'il n'y eût que quelques années d'écoulées entre ce temps et celui où la France était la plus aimable et la plus polie des nations, il s'était fait un tel changement dans les coutumes sociales, qu'un Français ramené tout à coup dans Paris ne se serait pas cru en France. On ne se voyait plus que le matin. Le soir, à peine neuf heures étaient-elles sonnées, que tout s'éteignait dans les maisons et devenait silencieux. C'était comme au temps du couvre-feu… tant on craignait d'être signalé pour une manifestation quelconque. Dans l'ignorance d'une nouvelle arrivée deux heures avant et annonçant une défaite, on pouvait faire de la musique et même tout simplement prendre une leçon, puisque la veille une victoire de nos armées avait été annoncée au bruit du canon, tandis que nos revers étaient toujours cachés… Eh bien! ce simple accord fait sur un piano par la main d'une jeune fille l'envoyait quelquefois à la mort3!..

      Enfin, il ne fallait pas témoigner une douleur apparente; il ne fallait pas porter le deuil de son père! tout devenait crime… même les larmes!

      Cependant les hommes qui s'isolaient ainsi de leurs semblables, et ne les réunissaient que pour les envoyer à la mort, ces mêmes hommes avaient parmi eux de grands talents, et même des esprits aimables. Robespierre, lui-même, l'était lorsqu'il voulait l'être. Il connaissait le prix de la causerie, et l'aimait; mais il craignait l'abandon, et on le conçoit.

      SALON DE ROBESPIERRE

      Il faut bien qu'une chose ait un nom. Je n'en trouve pas d'autre que celui de Salon, pour désigner un lieu de réunion chez cet homme qui fut le maître de la France, et vivait pourtant comme un simple député de cette même Convention dans laquelle il avait choisi les véritables meneurs de l'État, ceux qui faisaient partie des Comités de Sûreté générale et de Salut public. Sa modestie n'était au reste que de l'hypocrisie, et sa conduite continuelle le prouve assez. On voyait son orgueil percer malgré ses efforts lorsqu'il présidait à une table chez lui, autour de laquelle étaient assis les principaux de la Convention, et les hommes les plus remarquables de cette époque de sang, où pourtant de hautes notabilités comme talents pouvaient compter… Un jour, Camille Desmoulins, qui alors était encore (en apparence du moins) dans les bonnes grâces de Robespierre, lut chez lui un drame en prose intitulé: Émilie, ou l'Innocence vengée. Les auditeurs étaient curieux à voir rassemblés et le sont encore à nommer aujourd'hui: Danton, sa femme, celle de Camille, Hébert et la sienne4, Barrère, Tallien, Saint-Just, Cambacérès, Chénier, Talma, Dugazon, Laïs, une femme qui était alors sa maîtresse et parfaitement belle, nommée madame Lapalud5, David, et plusieurs notabilités dans les arts, dont les noms sont également connus.

      Le drame de Camille Desmoulins était une œuvre qui devait étonner même ses auditeurs dans une telle assemblée… Le sujet était la séduction d'une jeune et belle fille par le seigneur de son village, où elle revient après avoir reçu une très-bonne éducation. Ce sujet, très-usé aujourd'hui, était encore neuf à l'époque dont je parle, et très-bon à exploiter pour les persécuteurs de tout ce qui était noble, riche et au-dessus de la foule. Camille Desmoulins usa de cette facilité avec largesse: les vertus de la jeune fille, les vices de l'homme puissant, ne faillirent point et furent mis dans le jour le plus apparent. Mais ce qui était curieux, c'était l'idylle qui était constamment en scène; une peinture de la vie des champs! un calme! une paix! et tout cela dit dans un style répondant à la chose. Enfin, il y avait deux actes surtout que Gessner n'aurait pas désavoués pour peindre la vie heureuse et douce que menait Émilie dans son village, auprès de sa mère, filant sa quenouillée, bien qu'elle sût chanter, broder et jouer du piano. Il avait du talent, au reste, à ce que disait Tallien, qui est celui à qui j'ai entendu raconter cette scène, et ce qui la suivit et la précéda. Il y eut du mouvement parce que Robespierre dit à Camille Desmoulins qu'il aurait dû présenter le curé du village comme aidant à la séduction d'Émilie, et non pas le laisser dans une ombre qui faisait présumer qu'il était au contraire son appui, ET IL AVAIT RAISON, poursuivit Tallien6, lorsqu'on adopte un système il faut marcher avec et comme lui.

      Quoi qu'il en fût, Camille Desmoulins, qui déjà commençait à être mal avec le tyran, prit la réflexion de Robespierre pour une critique de toute la pièce. Il savait qu'il lui inspirait de la jalousie par son éloquence rapide du Forum, et ses paroles lui parurent amères et envieuses. Chénier voulut en vain raccommoder les choses, Camille ne put ou ne voulut comprendre que la critique, et toute louange fut inutile. Le fait est que la pièce était mauvaise comme pièce, et que la contexture ne valait rien. La femme de Camille elle-même le sentait et fut presque contente de l'insuccès de la lecture. Ce que Tallien ne me fit certes pas remarquer, car il était encore trop de cette époque au moment où je le vis à Madrid7, mais ce dont je fus vivement frappée, ce fut cette pensée qui me représentait cette réunion d'hommes de sang, écoutant une œuvre d'art et souriant à la voix de l'un d'eux, lorsqu'il parlait du lever du jour, de la paix des champs et du calme d'une bonne conscience… C'était un spectacle bien curieux que celui-là, et que de réflexions ces mêmes hommes se devaient-ils pas faire dans leur âme en écoutant ces paroles paisibles et dignes de l'Arcadie, récitées dans l'antre du tigre, lorsque ses lèvres étaient rouges encore

Скачать книгу


<p>2</p>

Madame de Sainte-Amaranthe était une femme comme il faut, mais d'une réputation fort équivoque… ses relations intimes avec les hommes de sang d'alors le prouvent. Elle n'est pas excusée en disant qu'elle était contrainte. Il ne dépend pas de nous d'être heureux ou malheureux, mais toujours il est en notre puissance de n'être pas humilié et encore moins avili… Je parlerai d'elle plus longuement tout à l'heure.

<p>3</p>

C'est ainsi que sont mortes mesdemoiselles de Saint-Léger à Arras, toutes deux jeunes, nobles, belles, âgées, l'une de seize ans, l'autre de dix-sept, pour avoir joué du piano le jour de la prise de Valenciennes.

<p>4</p>

Toutes trois charmantes, surtout celle de Camille Desmoulins.

<p>5</p>

Il la rencontra dans un gros bourg de Flandre, où elle faisait la patrie dans une fête nationale. Elle avait une belle voix, mais elle ne put entrer à l'Opéra, ne sachant pas chanter.

<p>6</p>

Le mot est plus fort dit par Tallien, beaucoup d'années après, que par Robespierre en 93.

<p>7</p>

Lorsqu'il allait prendre possession de son consulat à Cadix. Ce fut à Madrid que je le trouvai.