Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 3 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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par la force de son éloquence au torrent révolutionnaire. Le peu de numéros qu'il fit de son journal appelé le Vieux Cordelier en est une preuve, malgré quelques maximes sanguinaires qui devaient le faire passer. Hébert n'aimait pas Camille, jaloux de lui comme journaliste, comme Robespierre l'était à la tribune, comme Saint-Just l'était auprès des femmes, que sa jolie figure ne pouvait séduire plus que le talent de Camille Desmoulins, le malheureux ne comptait que des juges dans ces hommes qui voulaient frapper de nullité une œuvre qui pouvait avoir du succès; déjà l'orage grossissait et devenait menaçant. Madame Desmoulins le voyait arriver, et tremblante pour son mari qu'elle adorait, elle suivait des yeux l'expression des différentes physionomies à mesure que Camille parlait… Saint-Just paraissait le plus doux, car il était si beau! comment imaginer une âme atroce sous cette enveloppe d'ange?.. mais madame Desmoulins savait trop bien qu'elle pouvait au moins être corrompue… Cette lecture précéda de peu de temps la fin tragique du malheureux Camille!.. Le monstre avait posé son index sanglant sur son front, et sa tête devait tomber… Il devait bientôt mourir avec l'homme de véritable énergie de cette assemblée, avec celui qui commençait pourtant à oublier cette énergie pour une femme… c'était Danton… Ce même soir, il était là, perdu dans un monde d'heureuses chimères, regardant la femme qu'il idolâtrait et pour laquelle il oubliait en ce moment non-seulement la patrie, mais la sûreté de sa personne; déjà une vive discussion s'était engagée à la tribune, il avait été accusé d'être l'ami du général Dillon. Hébert, accusé à son tour par Camille de dilapidations dans les fonds qu'on lui donnait pour son journal8, Hébert le conduisit à cet échafaud où lui-même devait aussi monter, et il proposa à Robespierre un plan qui devait perdre Camille et Danton à la fois!.. Robespierre ne répondit pas; mais serrant fortement la main d'Hébert, il lui fit comprendre une reconnaissance qu'il lui prouva en l'envoyant à l'échafaud…

      J'ai déjà dit que Camille Desmoulins n'était pas aussi coupable que ses collègues, et je puis le prouver en faisant connaître son histoire et celle de sa femme; le sort de ces deux personnes est curieux à bien étudier… il fait voir quel fut le prix que reçurent presque tous ceux qui, nés dans une classe élevée, voulurent abattre tout ce qui était au-dessus des autres, mutilant ainsi le corps auquel ils appartenaient.

      Camille Desmoulins était un homme bien né, ainsi que cela se disait. Son père était lieutenant-général du bailliage de Guise. Mis par lui au collége Louis-le-Grand, il se trouva le condisciple de Robespierre et de Saint-Just, que l'évêque d'Arras y avait fait entrer comme boursiers. Camille Desmoulins n'avait pas une grande fortune. Il se destina au barreau, et 1790 le trouva avocat et ne respirant que pour activer le mouvement, qui déjà commençait à devenir menaçant.

      Camille était un homme d'un esprit remarquable, mais sans aucun jugement. Là où il voyait un changement, il croyait en une amélioration. Cette aberration d'esprit fut malheureusement trop commune alors. Camille fut un des premiers à l'attaque de la Bastille; et un jour, au Palais-Royal, son éloquence entraînante fit fouler aux pieds la cocarde de la France pour lui substituer la couleur verte. Camille Desmoulins parlait avec une puissance d'entraînement qui était énergique et instantanée dans ses effets… mais qui n'avait aucune durée; et cela venait sans doute du foyer qui produisait, et dont le feu n'avait pas une vraie chaleur.

      Ce fut à cette époque que Camille Desmoulins rencontra dans le monde une jeune fille ravissante de beauté, dont l'esprit et les talents reçurent un nouveau charme à ses yeux lorsqu'il apprit qu'elle partageait toutes les opinions les plus exagérées de ce moment (1791). Cette jeune personne avait vingt ans; elle était fille de M. Duplessis-Laridon9, ancien premier commis des finances. Sa mère, l'une des plus belles et des plus spirituelles personnes de son temps, avait élevé sa fille unique avec cet amour de mère qui nous fait jouir dans cette image de nous-même, qui se reproduit chaque jour. En voyant Camille Desmoulins, en l'écoutant surtout lorsque sa voix appelait au culte de l'auguste et sainte liberté, mademoiselle Laridon l'aima de tout l'amour qu'elle avait dans l'âme. Elle était jeune, belle et riche; ce mariage était un bonheur d'autant plus grand pour Camille Desmoulins, qu'il trouvait en même temps une âme noble et grande pour comprendre la sienne: car bien qu'il n'eût pas le jugement aussi profond que plusieurs de ses confrères, il était grand et presque toujours digne d'estime dans ce qu'il appelait ses principes révolutionnaires. Camille, encouragé par elle, la demanda, et l'obtint. Il fut marié par l'abbé Benadier, ancien principal du collége Louis-le-Grand, et les deux témoins de Camille Desmoulins furent deux de ses anciens condisciples, Saint-Just et Robespierre… ceux-là même qui plus tard devaient être ses assassins…

      En joignant la fortune de sa femme à la sienne, Camille eut une position sociale. Madame Desmoulins, jeune, jolie, spirituelle, et vivement impressionnée par ce mouvement révolutionnaire dont les meneurs étaient sans cesse autour d'elle, devint à son tour l'une des puissances du moment. C'était un moyen dont les révolutionnaires n'avaient garde de ne pas profiter, que celui de l'effet que produiraient des maximes répandues et insinuées par une jolie personne aux paroles engageantes et persuasives… Madame Desmoulins reçut chez elle tout ce qui alors marquait fortement dans son parti, et son salon fut un lieu central. Le duc d'Orléans y allait fort souvent; il y dînait et y soupait même fréquemment en revenant de l'assemblée. Le général Lafayette lui donna son buste; chacun enfin était à ses pieds pour écouter sa spirituelle et dangereuse causerie. Camille Desmoulins n'avait pas eu d'abord cette pensée de mettre ainsi sa femme en évidence; ce fut Saint-Just, qui avait des projets ultérieurs sur elle, qui la lui inspira.

      Camille Desmoulins, tout en prêchant les principes démagogiques qui le perdirent, sentit dès le premier moment qu'ils lui seraient mortels, et pourtant il poursuivit. Un jour qu'il avait eu plusieurs personnes à dîner, entre autres une10 qui a survécu à ces temps d'horreurs, il dit très-haut:

      – La révolution prend une mauvaise tournure… j'ai grande envie de me mettre avec les royalistes… la fortune tout entière de ma femme est sur l'État.

      Mais sa femme, jeune, enthousiaste, ne voyait que le lever lumineux de cette révolution, dont le midi devait être à la fois si sanglant et si sombre, et ce fut elle qui arrêta Camille dans son intention de changer de parti.

      Alors il adopta franchement celui de la Révolution. Ce fut lui qui, avec Danton, fonda la société ou plutôt le club des Cordeliers… il était à cette époque le plus chaud partisan de Robespierre; il l'aimait d'une amitié sainte, et cet homme, aveuglé sur le monstre, ne voyait en lui qu'un homme voulant la régénération de la France… Ce fait, ainsi que celui bien prouvé de l'ignorance du frère de Robespierre des crimes de celui-ci, est une des choses les plus curieuses de la Révolution.

      Ainsi que Danton, Camille Desmoulins n'était pas méchant; ils furent enfin indignés de cette continuelle boucherie qui n'avait aucun terme… Camille sentit son âme se soulever contre cette tyrannie sanguinaire qui ne régnait que par l'horreur et les massacres. Sa jeune femme, dont le cœur se brisait chaque jour en voyant passer les tombereaux remplis de victimes, le soutint, l'exalta même dans sa volonté de combattre le tigre… D'accord avec Danton, Hérault de Séchelles et quelques autres, il écrivit un journal intitulé le Vieux Cordelier. Ce journal, écrit avec la chaleur d'une âme vraiment républicaine indignée à la vue de tant de crimes, parut au grand étonnement de tous, qui ne comprenaient pas le courage de Camille… Le premier numéro fut immédiatement suivi de deux autres… En les lisant, Robespierre fronça le sourcil, puis il sourit de ce sourire qui annonçait la mort…

      – Enfant, dit-il en froissant le papier dans sa main et le jetant au loin… enfant!.. te jouer à moi!..

      Prudhomme, qui écrivait alors le journal des Révolutions de Paris, et qui, sans partager les crimes des hommes de sang de l'époque, vivait parmi eux et était particulièrement lié avec Camille Desmoulins, alla

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<p>8</p>

Le fameux Père Duchesne.

<p>9</p>

Anne-Philippine-Louise Duplessis-Laridon, née à Paris en 1771; elle apporta 150,000 francs en dot à Camille, somme très-forte pour ce temps-là.

<p>10</p>

Cette personne est Prudhomme le père. Me trouvant au couvent de l'Abbaye-aux-Bois, je reçus un jour une lettre de lui, par laquelle il me demandait de me venir voir. Il vint, et m'inspira un vif intérêt, ayant vécu avec tous les hommes importants de la Révolution. C'est lui qui a publié le journal intitulé Révolutions de Paris. Il était particulièrement ami de Camille Desmoulins.