Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 3 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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style="font-size:15px;">      – Et que veulent ces hommes?

      – Ce que tu demandes toi-même: changer les comités… les comités! qui seuls peuvent sauver et sauveront la patrie; nous sommes dans un moment de crise, Tallien, où la chose publique est perdue si le timon est abandonné à trop de mains. La Convention n'est déjà que trop nombreuse!

      Tallien fit un mouvement à ce mot qui fut remarqué par Robespierre… Il se reprit et dit ensuite:

      – Elle est trop nombreuse, quand je vois des hommes dans son sein qui peuvent perdre notre malheureuse patrie.

      – Qui sont-ils? Et quel est leur nombre?

      – Trop grand sans doute, surtout lorsqu'à leur tête on voit un homme comme Danton.

      – Danton!

      – Lui-même!.. Crois-tu maintenant que la République doive prendre trop de mesures pour centraliser son pouvoir, lorsqu'elle voit de semblables perfidies?

      – Mais où est la preuve?

      – Crois-tu que je t'en impose?

      – Non; mais tu peux être mal informé. Un homme aussi bon patriote que Danton ne doit être jugé dans l'opinion de ses frères qu'après avoir été entendu.

      Intimement lié avec Danton, Tallien courut aussitôt près de lui, et lui demanda comment il était avec Robespierre.

      – Mais très-bien, répondit Danton. Nous avons bien quelquefois de petites discussions, mais, ajouta-t-il en souriant, cela passe comme cela vient.

      – Tu t'abuses, malheureux!

      Et Tallien lui rapporta sa conversation du jour même avec Robespierre… Danton demeura stupéfait.

      – À tout autre qu'un ami, je dirais que ce n'est pas vrai! mais à toi, je te laisse voir le fond de mon âme. Elle est profondément navrée de ce que tu me dis. Me crois-tu?

      – Oui!.. mais que comptes-tu faire?

      – Voir Robespierre… Demande-lui un rendez-vous pour demain à huit heures du matin. Nous serons seuls à cette heure…

      Tallien demanda et obtint le rendez-vous, qui fut accordé comme une grâce… Il vit que son malheureux ami était en péril, et voulut le détourner d'aller chez Robespierre… À la première parole Danton rugit comme un lion.

      – Moi le craindre! s'écria-t-il… C'est à lui de trembler!..

      Ils arrivèrent au moment où Robespierre venait de se lever. En entrant, Danton fut d'abord au fait:

      – Me voilà, lui dit-il. Je viens vers toi. Qu'as-tu à me reprocher?

ROBESPIERRE

      Des faits graves dans l'intérêt de la patrie. Tu blâmes et tu entraves tout ce que veulent et ordonnent les comités du Gouvernement… Je le sais… ne nie pas.

DANTON

      En quoi, et comment?.. dans quel lieu… et quel jour? qui m'a entendu, et qu'ai-je dit?.. des faits, et j'y répondrai; la calomnie seule accuse vaguement comme tu le fais.

ROBESPIERRE

      Eh bien! lorsque les Girondins ont justement péri, tu as blâmé leur condamnation.

DANTON

      Non.

ROBESPIERRE

      Tu les as pleurés?

DANTON

      Oui.

ROBESPIERRE

      Ah! tu en conviens?

DANTON

      Pourquoi non?.. Il y avait parmi eux des hommes d'un haut et rare talent et aimant la patrie…

      (Robespierre fait un mouvement, et sourit avec dédain.)

DANTON, répétant de toute la force de sa voix

      Oui, Robespierre, aimant la patrie… et puis j'ai pleuré sur la mort de plusieurs d'entre eux qui n'étaient encore que des enfants… Pourquoi faire mourir Roger-Ducos?

ROBESPIERRE, d'un ton sombre et presque menaçant

      Pourquoi soutiens-tu mes plus ardents ennemis, toi? Camille Desmoulins n'est-il pas connu pour être le mien?

DANTON, levant les épaules

      Autre enfant!..

ROBESPIERRE

      Tu lui donnes tes avis pour son Vieux Cordelier… Tous deux vous vous liguez contre moi… Tu ne lui donnes que des louanges à lui.

DANTON

      Oui, j'en conviens, je suis de son avis, lorsque dans ce journal il demande qu'enfin le sang cesse de couler et qu'il appelle la clémence avec toutes les mères, les femmes et les filles… Eh quoi! du sang! toujours du sang!.. Toute la France doit-elle donc périr? Robespierre, qui peut dire qu'un jour toi aussi tu n'auras pas besoin de cette clémence que tu refuses À TOUS? comment oser la demander si jamais tu arrives à ce moment extrême!..

ROBESPIERRE

      Ose dire que tu n'es pas avec Phélippeaux12?

DANTON, souriant en levant les épaules

      Allons! me voilà Phélippeautin à présent!

ROBESPIERRE, marchant droit à lui

      Nieras-tu que tu n'approuves Phélippeaux dans ses opinions?.. Ose me dire que ce n'est pas sur ton avis qu'il a fait imprimer son écrit sur la Vendée?

DANTON, le regardant avec fermeté

      Robespierre, je ne mens jamais. Oui, c'est moi qui ai conseillé à Phélippeaux d'écrire cette brochure… C'est moi qui l'ai fait imprimer… c'est moi qui l'ai distribuée… Il faut enfin que tant de carnage finisse dans la Vendée… On y marche dans le sang jusqu'à la cheville… Cela doit avoir un terme… C'est encore moi, Robespierre, qui me lève et le crie de toute la force de ma voix… C'est MOI!.. MOI!.. toujours moi!..

ROBESPIERRE

      Oui, Danton, toujours toi!.. toujours conspirateur!.. et forcé de l'avouer!..

      En écoutant cette parole amère, en voyant l'expression de la physionomie de Robespierre, Danton voit son sort… et une pensée intérieure lui fait verser des larmes.

      En ce moment, Robespierre s'habillait; il voit cette larme qui aurait arraché d'autres larmes d'un cœur généreux, mais le misérable n'y vit que le triomphe qu'il remportait sur un superbe ennemi qui jamais peut-être, de sa vie, n'avait pleuré… Il se baissa, et jetant à Tallien un regard qu'il croyait dérober à Danton, il semblait lui dire: L'homme orgueilleux s'est abaissé jusqu'aux larmes; mais Danton le vit, et, se relevant aussitôt de toute la hauteur de sa taille colossale, il s'écria avec sa voix de Stentor:

      – Oui, je pleure, et je ne cache pas mes larmes… elles prouvent que j'ai une âme!.. Crois-tu donc que c'est sur moi que je pleure?.. Si tu mourais, Robespierre, tout meurt avec toi, si ce n'est l'exécration de ta renommée qui le survivra éternellement… Mais moi, quand je mourrai… d'autres me survivent!.. et ces autres, ce sont des enfants… une femme. Moi, conspirer en faveur de la royauté!.. moi, l'ennemi juré des rois!.. Qu'on m'envoie aux armées combattre les ennemis de la France et défier, affronter les tyrans… c'est alors, c'est LÀ qu'on verra si je suis conspirateur!..

      La conversation prenait le ton d'une dispute et d'une vive querelle…

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<p>12</p>

Pierre Phélippeaux, député de la Sarthe à la Convention. C'était un homme de talent que Robespierre n'aimait pas parce qu'il s'opposait aux mesures violentes, quoique bon républicain. Aussi fut-il dénoncé par Hébert aux Jacobins, où il fut cité pour répondre à l'accusation. Loin de se défendre, il accusa Ronsin et Rossignol, et défendit Westermann. La société des Cordeliers le renvoya, et ainsi abandonné à la haine de Robespierre, il mourut plus tard comme l'un des chefs du modérantisme, comme Camille Desmoulins.