Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'
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– Fais les monter, dit Robespierre.
Danton fut alors entraîné presque violemment par Tallien au moment où sa colère lui donnait une telle fureur qu'il se serait peut-être porté à quelque extrémité envers Robespierre, qui, toujours armé, toujours entouré de vingt ou vingt-cinq misérables qu'il appelait sa garde, aurait tué ou fait massacrer Danton sur l'heure, sous le prétexte de tentative d'assassinat.
Cette garde personnelle était seulement de vingt hommes; elle était composée de tout ce qu'on avait pu trouver de plus abject. Ils suivaient Robespierre de loin, et se tenaient à portée de sa voix pour le secourir en cas d'attaque; ils dormaient pêle-mêle; comme à un bivouac, dans le vestibule de la maison qu'il habitait. Maintenant, écrivez l'histoire avec le Moniteur, qui raconte bénévolement que Robespierre allait dans Paris sans garde, et livré à l'amour des Parisiens et à leur reconnaissance.
Lorsque Danton et Tallien furent hors de cette maison, Danton marcha longtemps sans parler. Tallien respectait son silence… Tout à coup Danton s'arrête, et saisissant fortement le bras de Tallien:
– Ne suis-je pas un homme perdu?.. dis-moi, ne le penses-tu pas?
– Non, si tu gagnes Robespierre de vitesse… Nous voici près de la Convention, entrons-y tous deux. Nos amis y sont en force aujourd'hui, je le sais. Monte à la tribune, parle comme tu le sais faire dans une occasion telle que celle-ci. Parle de cette inamovibilité funeste qui donne tant de mécontentement et d'ombrage aux départements… Parle de l'assassinat de la Gironde… Parle enfin, et tu seras secondé.
– Il n'est pas encore temps, dit Danton.
– Il n'est pas temps!..
– Non; pas encore.
– Mais, malheureux, si tu perds une minute, c'est fait de toi!.. Ne connais-tu plus Robespierre?.. Demain, aujourd'hui, cet homme va faire ce que tu hésites, toi, d'accomplir, et il sera vainqueur… Danton… par pitié pour toi-même!..
– Il n'est pas encore temps.
Ces funestes paroles semblaient être dictées à Danton par son mauvais ange… Danton, ordinairement si hardi, si téméraire dans la parole et l'action, demeurait là, en face de son danger, inerte et sans force. Un ami aussi dévoué à son sort que l'était Tallien, le conventionnel Lacroix, fut averti par Tallien lui-même.
– Hélas! lui dit-il, j'ai prévu tout ce qui arrive… J'en ai parlé à Danton, et toujours cette même réponse… et puis une trop grande confiance dans la terreur qu'il croit inspirer à Robespierre. Il croit que celui-ci n'osera jamais toucher à sa tête… Avant-hier, alarmé par un mot de Saint-Just et une autre parole d'Henriot, j'ai tout tenté auprès de Danton; je lui ai représenté que le tyran est odieux au peuple… qu'à un seul mot de son éloquente bouche, Robespierre tombait à l'instant; enfin, ajouta Lacroix, je me suis mis à genoux devant lui… oui… à genoux!.. Eh bien! que m'a-t-il répondu?.. que crois-tu que cet homme ainsi pressé ait dû me dire?
Il n'est pas encore temps!…
Mais quel changement en peu de mois! Qui donc a pu le causer? car son âme est tout aussi ardente!..
Plus, peut-être, et voilà le malheur de la position actuelle de Danton… Cette incurie pour ce qui concerne sa sûreté, cette apathie physique enfin qui le rend si différent de lui-même, est produite par la passion qu'il a pour sa femme… Cette passion le domine au point qu'il ne peut s'absenter un jour de Paris si elle ne peut ou ne veut le suivre… Je lui proposerais bien de fuir, j'en ai les moyens, mais il refusera. Sa femme est enceinte, il ne voudra pas la quitter. S'il agit, il peut troubler le repos de celle qu'il aime à présent plus que la patrie, plus que la liberté, plus que tout ce qui n'est pas elle… Voilà pourquoi il ne voulait jamais reconnaître que Robespierre est son ennemi et lui en veut.
Lacroix ne disait que trop vrai… Danton était sous la puissance d'une de ces passions qui décident de la vie… La sienne lui fut sacrifiée. Dès le même soir du jour où Danton l'avait vu, un greffier du Tribunal révolutionnaire, de ce cloaque impur où les plus illustres têtes reçurent la couronne du martyre, un homme qui voulait du bien à Danton, le vint trouver pour l'avertir que Fouquier-Tinville (accusateur public) allait être investi de l'affaire, qu'on avait parlé de son arrestation au Comité et à la Convention.
– Arrêté! dit Danton en se levant impétueusement, arrêté! Ils n'oseraient!…
– C'est le mot que dit le duc de Guise en entrant chez Henri III, et il n'en sortit pas vivant! répondit Lacroix…
Mais Danton, comme s'il eût voulu braver le tyran et lui montrer que sa force n'était pas éteinte, alla le soir même de cet avertissement à l'Opéra, dans une petite loge. Ce greffier du Tribunal révolutionnaire vint encore l'y trouver, et l'avertir que l'ordre de l'arrêter était expédié, et qu'il n'avait qu'un moment pour échapper. Il avait une maison à Romainville; il offrit à Danton de l'y conduire… Oui, dans ces horribles jours, il y avait encore de nobles âmes!..
Sa femme, qui jusque-là avait ignoré son danger, joignit ses mains, et le pria, le conjura de fuir. Il la vit tellement effrayée qu'il allait suivre cet ami courageux qui, pour lui, donnait peut-être sa tête, lorsqu'un autre ami de Danton, un ami des plus intimes, qui était avec eux dans la loge, soit qu'il fût convaincu du contraire, ou qu'il fût peut-être un faux ami, le détourna vivement de cette fuite, en lui disant qu'on n'arrêtait pas un homme comme lui. Le peuple s'y opposerait, ajouta-t-il.
– C'est ce que j'ai toujours dit, ajouta Danton en serrant la main de cet homme qui n'était peut-être qu'un traître… je reste…
Et, embrassant sa femme, il lui dit de se calmer, et puis ayant avec chaleur remercié le greffier, il écouta le reste du spectacle avec une extrême attention… Il sortit ensuite avec sa femme, retourna tranquillement chez lui, et le lendemain matin, à peine était-il jour, qu'un bataillon entourait sa maison, et qu'il fut arrêté sans que le peuple manifestât autre chose que de la curiosité!..
Et cependant Danton était tellement aimé, que ceux chargés de l'arrêter firent tout ce qui dépendait d'eux pour faciliter son évasion. Lorsqu'ils virent qu'il ne voulait pas fuir, ils prolongèrent leur opération de scellés et tout ce qui a rapport à une pareille mesure, espérant que l'on viendrait le délivrer!.. Personne ne vint… et pourtant, je le répète, on l'aimait… Mais la terreur qu'inspiraient les comités était si grande, que tout disparaissait devant cette puissance. On le conduisit à la Conciergerie, où il se rencontra avec Phélippeaux, avec Lacroix, Camille Desmoulins, Hérault de Séchelles, etc.
Cette faiblesse qui avait précédé son arrestation disparut devant ses juges; au tribunal il fut sublime… On sait comment il se joua de ses juges. Il en vint à leur imposer une telle terreur, que le président demanda une compagnie de renfort pour assurer, disait-il, le salut du tribunal en face de cet homme qui appelait le peuple à la révolte.
Sa fin fut héroïque, et particulièrement belle dans ses derniers moments… Il dit adieu à sa femme en l'exhortant à ne pas l'oublier jusqu'au moment, ajouta-t-il, où, nous nous retrouverons!…
Cette parole fut dite par Danton; elle lui fut dictée par une conviction, une intuition positive… Pour lui, il n'y avait aucun orgueil à manifester un changement de croyance au dernier instant de sa vie… Hérault de Séchelles13, homme parfaitement beau et dans les opinions nouvelles, avait payé de sa tête d'avoir appartenu à l'ancienne
13
Il était commissaire du roi près le tribunal d'accusation, après la constitution de 1791. Ses idées libérales étaient très-fortes, et ses relations le mirent au milieu de tout ce qui était le plus ardent dans la Révolution. Il fut président de la Convention. Là, il montra combien les idées démagogiques avaient d'empire sur lui… Il lut les droits de l'homme en pleine séance de la Convention, et relut une autre fois la Constitution. Il fit décréter une fête à Évreux, pour le retour de la liberté dans cette commune, et pour cette fête, on mariait six
Il avait voté la mort du roi.
Lorsqu'il fut interrogé, après avoir été arrêté sur l'accusation de Saint-Just, qui le déclara complice de Danton, il s'écria:
– Ici, dans cette même salle, j'ai résisté aux parlements dont j'étais détesté, et cela parce que je soutenais les intérêts du peuple!