L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie. Aretino Pietro

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie - Aretino Pietro страница 13

L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie - Aretino Pietro

Скачать книгу

un peu. Allonge ton visage sur sa poitrine et dis-lui: «Qui est votre mignonne? Qui est votre enfant? Qui est votre fille? Papa, mon papa, petit papa, ne suis-je pas votre coucou?» Gratte-lui toutes les croûtes, toutes les rides que tu lui trouveras et dis-lui: «Dodo! dodo!» Chante-lui encore quelque chansonnette à mi-voix et traite-le comme un marmot. Je suis sûre qu'il prendra des airs de poupon et t'appellera sa maman, sa petite maman, sa bonne petite maman. Sur ce coup de temps, attaque-le ferme et tâte si l'escarcelle est sous le traversin; si elle y est, n'en laisse pas un dedans. Si elle n'y est pas, fais qu'elle s'y trouve. Il faut user de ce stratagème, parce que ces ladres-là vous alambiquent un denier quatre heures durant hors du moment où ils se divertissent; s'ils te promettent des robes, des colliers, ne les lâche pas avant que le cadeau ne soit bien en règle. Après, soit avec le doigt, soit avec ce qu'ils pourront, qu'ils te le fassent à l'endroit ou à l'envers, je ne t'en donnerais pas une pistache.

      Pippa.– N'ayez pas peur.

      Nanna.– Écoute encore: ils sont jaloux, sujets à monter sur leurs grands chevaux et ils ont les mains aussi promptes que la langue aux brutalités. Mais si tu sais les amadouer, outre que les cadeaux te pleuvront, tu prendras d'eux un amusement de l'autre monde. Il me semble d'ici en voir un, plus cassé que le bisaïeul de l'Antéchrist, en culotte et en pourpoint de brocart tout tailladé, sa toque de velours ornée d'une plume, couverts de ferrets, d'aiguillettes, une pointe de diamant au milieu de sa médaille d'or, avec sa barbe d'argent de coupelle, les jambes et les mains tremblotantes, la figure pleine de rides, s'acheminer en branlant, passer et repasser toute une journée devant la maison, sifflant, grommelant, ronronnant comme des chats au mois de janvier, et je me compisse de rire en dessous, rien que de penser à une bonne farce qui referait le millésime.

      Pippa.– Dites-la-moi.

      Nanna.– Un madré charlatan lui fit accroire qu'il possédait une teinture pour la barbe et les cheveux, si noire que les diables étaient blancs en comparaison; mais il la voulait vendre si cher que l'autre fut des jours et des jours avant de lui prêter l'oreille. A la fin des fins, s'avisant que sa tête de poireau et sa barbe d'étoupe lui rognaient bonne part de réputation en amour, il compta vingt-cinq ducats de Venise au charlatan qui, soit pour le bafouer, soit pour l'attraper, lui rendit les cheveux et la barbe du plus beau bleu turquin dont on ait jamais peint la queue d'un cheval barbe ou d'un cheval turc; de sorte qu'il fallut le raser jusqu'à la couenne. On en fit des fables dans le public; on en rit encore.

      Pippa.– Ah! ah! ah! Je crois le voir. Le vieux fou! S'il m'en tombe un entre les griffes, je veux qu'il soit mon bouffon.

      Nanna.– Tout au contraire! Ne te gausse pas de lui, sous n'importe quel prétexte, et surtout s'il y a du monde, parce qu'on doit toujours révérer la vieillesse. Tu serais tenue pour une vilaine, une scélérate, d'oser bafouer un tel personnage. Je veux que tu feignes de le porter dans ton cœur et que tu fasses la révérence à la moindre parole qu'il te dira. Il en résultera que d'autres vieux se rajeuniront à t'aimer et, si tu veux en rire tout à ton aise, que ce soit entre nous.

      Pippa.– C'est ce que je ferai, si cependant ce n'est pas mal.

      Nanna.– Parlons maintenant des seigneurs.

      Pippa.– Oui, parlons-en.

      Nanna.– Voici un seigneur qui veut t'avoir; je t'y envoie ou tu y vas, n'importe. Ici, il te faudra donner du bon, parce que les seigneurs sont habitués aux grandes dames et qu'ils se nourrissent plus de conversations et de bavardages que d'autre chose. Sache causer, réponds à propos; ne va pas sauter de l'échalas sur la branche: sa seigneurie, ses laquais eux-mêmes te feraient des grimaces par derrière. Ne te tiens pas là comme une sotte ou comme une coquette, mais posément. Si l'on fait de la musique ou si l'on chante, prête l'oreille aux instruments et aux voix et sache faire l'éloge des musiciens et des chanteurs, bien que tu n'y trouves aucun plaisir et que tu n'y entendes rien. S'il y a là quelque lettré, aborde-le d'un air gracieux et montre que tu les apprécies encore mieux, le dirai-je? encore mieux que le maître de la maison.

      Pippa.– Dans quel but?

      Nanna.– Dans un but excellent.

      Pippa.– Voyons.

      Nanna.– Parce qu'il ne te manquerait plus que cela, que tel ou tel fît des livres contre toi et qu'on répandît partout sur toi de ces vilaines choses qu'ils savent inventer contre les femmes. Tu serais bien avancée si l'on venait à imprimer ta vie, comme je ne sais quel désœuvré s'est amusé à imprimer la mienne: il manquait bien de putains de pire sorte que moi! S'il avait eu à divulguer les déportements de je sais bien qui je veux dire, le soleil en aurait pâli, et que de clameurs se sont élevées à propos de moi! L'un veut reprendre ce que j'ai dit des religieuses5 et s'écrie: «Elle en a menti d'un bout à l'autre», oubliant que je racontais leurs histoires à l'Antonia pour la faire rire et non pour médire d'elles, comme j'aurais bien pu; mais le monde est changé, et il n'y a plus moyen ici de vivre pour quelqu'un qui a de l'expérience.

      Pippa.– Ne vous mettez point en colère.

      Nanna.– Regarde, Pippa; j'ai été religieuse; j'en suis sortie parce que j'en suis sortie, et si j'avais voulu révéler à l'Antonia comment elles se marient et appellent leur moine «mon bel ami», tandis que le moine appelle sa religieuse «ma belle amie», j'aurais très bien su le dire. Rien qu'à raconter les propos que ces pleins de soupe tiennent à leurs belles amies, lorsqu'en revenant de prêcher n'importe où ils font reculer de peur les stigmates… Je sais bien ce qu'ils font avec les veuves qui les entretiennent de chemises, de mouchoirs, de bons dîners; je connais leurs badinages et leurs tripotages. C'était sans doute quelque grande dame, la maîtresse de celui qui, au moment où il se démenait en chaire comme un dragon et mettait tous les assistants parmi les damnés, laissa tomber dans la foule, qui l'écoutait la bouche ouverte, son bonnet qu'il tenait dans sa manche. On vit alors les broderies qu'il cachait; en dedans, au fond, il y avait un cœur de soie, couleur chair, brûlant au milieu d'un feu de soie rouge, et sur le bord, tout autour, on lisait, en lettres noires: «L'amour veut de la fidélité; l'âne des coups de bâton.» L'assistance, qui en éclata de rire, garda ce bonnet comme une relique. Pour ce qui est des peintures de sainte Nafisse et de Mazet de Lamporecchio, ce sont des inventions; au lieu de ces peintures, vrai, on voit, pendus au mur, des cilices, des disciplines à pointes de fer, des étrilles à dents pointues, des sandales munies de leurs courroies, des raves, en témoignage des jeûnes que ne font pas les religieuses, des gobelets de bois dans lesquels on mesure l'eau à celles qui pratiquent l'abstinence, des têtes de mort qui font penser au trépas, des ceps, des cordes, des menottes, des fouets, toutes choses propres à épouvanter la sœur qui les regarde et non celles qui pèchent, ni qui vous les ont pendues là.

      Pippa.– Est-ce possible qu'il y ait tant d'affaires?

      Nanna.– Il y en a encore bien d'autres dont je ne me souviens plus. Mais qu'aurait dit quelqu'une de ces ignorantines, de ces flaire-étrons, si j'avais divulgué de quelle manière la maîtresse des novices s'aperçoit que sœur Crescentia ou sœur Gaudentia s'est fait couvrir par le chien? Garces de crottes de sbires! fussiez-vous fouettées, puisque vous osez trouver à redire même au langage de qui vous mènerait à l'école.

      Pippa.– Quoi! ne peut-on pas au moins parler à sa façon?

      Nanna.– Puissent-elles étouffer les drôlesses qui ne savent que blâmer ce que l'on dit à la mode de son pays et amenuiser leurs expressions comme on émince un radis noir. Je t'en supplie, mon enfant, n'abandonne pas le langage que t'a enseigné ta maman, laisse les «in cotal guisa» et les «tantosto»6 aux madrema, et donne-leur partie

Скачать книгу


<p>5</p>

Allusion aux critiques que l'on avait formulées sur la première partie des Ragionamenti, où est racontée la vie des nonnes.

<p>6</p>

De cette façon, tantôt, expressions recherchées.