Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux
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À l'instant du départ de la division de Pondichéry, l'aviso prétendu de politesse et de paix, mais qui n'était qu'un espion, se couvrit de mille feux d'artifice très éclatants. Les forces de Gondelour virent, sans doute, ces perfides signaux; elles appareillèrent probablement aussi; mais ce fut sans succès. On fut très fâché, sur nos bâtiments, que l'amiral n'eût pas ordonné à quelqu'un d'entre eux de passer sur le corps de cet infâme aviso, et l'on fut encore plus fâché que l'Atalante, qui, comme nous, dans son voyage, avait visité des bâtiments anglais très richement chargés, ne s'en fût pas emparée. Peu de temps après notre arrivée à l'Île-de-France, la corvette le Berceau y mouilla; elle apportait des nouvelles de France récentes et détaillées. Les Anglais ont prétendu que la guerre qui éclata alors n'était causée que par la position et le caractère du premier Consul Bonaparte; l'une, en effet, exigeait qu'il tînt constamment les Français en haleine, et que son armée, sans cesser d'être forte, lui fût de plus en plus affectionnée; l'autre le poussait à l'ambition de devenir souverain, et Pitt ne pouvait pas ne pas l'avoir deviné.
Bonaparte, de son côté, saisit l'occasion de lenteurs mises par les Anglais dans la restitution de l'île de Malte aux chevaliers de l'Ordre; et, après une scène violente qu'il fit à l'ambassadeur Withworth, les hostilités furent dénoncées. Le général Decaen, les troupes, les autorités civiles, les passagers portés par le Marengo et le gros de la division, s'installèrent dans l'île, et les bâtiments furent mis en état pour établir des croisières dans l'Inde. Quelque temps après on leur adjoignit la Psyché, petite frégate marchande qu'on arma en guerre, et qui resta sous le commandement de mon cher et ancien commandant Bergeret. Il rentra, ainsi, dans la Marine militaire, qu'il avait quittée pendant la paix pour se livrer, avec les colonies, à des spéculations commerciales. Hugon, qui était aspirant sur l'Atalante, passa sur sa frégate, comme enseigne de vaisseau auxiliaire. M. Bergeret voulut aussi m'avoir, et j'aurais servi avec lui comme lieutenant de vaisseau; mais le pouvais-je? Était-il convenable, pour la gloriole d'un grade, de quitter M. Bruillac, dont je n'avais qu'à me louer, et qui, pendant mon congé, m'avait gardé, à son bord, une place, alors si recherchée, dans l'état-major de sa belle frégate; le Bélier avait été détaché de la division, et il ne tarda pas à retourner en France, comme porteur de dépêches.
Dans la précipitation des événements de Pondichéry, j'y avais laissé une malle, dans une chambre que j'avais inconsidérément prise à terre; je la croyais bien perdue, lorsqu'un bâtiment neutre me la rapporta et m'apprit que j'en étais redevable à la fidélité proverbiale de mon dobachi. Je me promis pourtant de me souvenir de la leçon et de ne jamais me séparer de mes effets sans une indispensable nécessité.
CHAPITRE V
Sommaire: – Coup d'œil sur l'état-major de la division. – L'amiral Linois, son avarice. – Commencement de ses démêlés avec le général Decaen. – M. Vrignaud, capitaine de pavillon de l'amiral. – M. Beauchêne, commandant de l'Atalante; M. Motard, commandant de la Sémillante. – Le commandant et les officiers de la Belle-Poule. – M. Bruillac, son portrait. – Le beau combat de la Charente contre une division anglaise. – Le second de la Belle-Poule, M. Denis, les prédictions qu'il me fait en rentrant en France. – Son successeur, M. Moizeau. – Delaporte, lieutenant de vaisseau, son intelligence, sa bonté, l'un des hommes les meilleurs que j'aie connus. – Les enseignes de vaisseau par rang d'ancienneté, Giboin, L… moi, Puget, «mon Sosie», Desbordes et Vermot. – Triste aventure de M. L… sa destitution. – Croisières de la division. – Voyage à l'île Bourbon. – Les officiers d'infanterie à bord de la Belle-Poule, MM. Morainvillers, Larue et Marchant. – En quittant Bourbon, l'amiral se dirige vers un comptoir anglais nommé Bencoolen, situé sur la côte occidentale de Sumatra. – Une erreur de la carte; le banc appelé Saya de Malha; l'escadre court un grand danger. – Capture de la Comtesse-de-Sutherland, le plus grand bâtiment de la Compagnie anglaise. – Quelques détails sur les navires de la Compagnie des Indes. – Arrivée à Bencoolen. – Les Anglais incendient cinq vaisseaux de la Compagnie et leurs magasins pour les empêcher de tomber entre nos mains. – En quittant Bencoolen, l'escadre fait voile pour Batavia, capitale de l'île de Java. – Batavia, la ville hollandaise, la ville malaise, la ville chinoise. – Après une courte relâche, la division à laquelle se joint le brick de guerre hollandais, l'Aventurier, quitte Batavia au commencement de 1804, en pleine saison des ouragans pour aller attendre dans les mers de la Chine le grand convoi des vaisseaux de la Compagnie qui part annuellement de Canton. – Navigation très pénible et très périlleuse. – Nous appareillons et nous mouillons jusqu'à quinze fois par jour. – Prise, près du détroit de Gaspar, des navires de commerce anglais l'Amiral-Raynier et la Henriette, qui venaient de Canton. – Excellentes nouvelles du convoi. – Un canot du Marengo, surpris par un grain, ne peut pas rentrer à son bord. Il erre pendant quarante jours d'île en île, avant d'atteindre Batavia. – Affreuses souffrances. – Habileté et courage du commandant du canot, M. Martel, lieutenant de vaisseau. – Il meurt en arrivant à Batavia. – Conversations des officiers de l'escadre. On escompte la prise du convoi. – Mouillage à Poulo-Aor. – Le convoi n'est pas passé. – Le détroit de Malacca. – Une voile, quatre voiles, vingt-cinq voiles, c'est le convoi. – Temps superbe, brise modérée. – Le convoi se met en chasse devant nous; nous le gagnons de vitesse. – À six heures du soir, nous sommes en mesure de donner au milieu d'eux. – L'amiral Linois ordonne d'attendre au lendemain matin. – Stupéfaction des officiers et des équipages. – Le mot du commandant Bruillac, celui du commandant Vrignaud. – Le lendemain matin, même beau temps. – Nous hissons nos couleurs. – Les Anglais ont, pendant la nuit, réuni leurs combattants sur huit vaisseaux. – Ces huit vaisseaux soutiennent vaillamment le choc. – Après quelques volées, l'amiral Linois quitte le champ de bataille et ordonne au reste de la division d'imiter ses mouvements. – Déplorables résultats de cet échec. – Consternation des officiers de la division. – Récompense accordée par les Anglais au capitaine Dance.
La division avait eu des relations assez fréquentes de bâtiment à bâtiment, et, dès le début, sa position avait été assez critique pour que, déjà, nous pussions nous connaître parfaitement; nulle part, en effet, les hommes ne se jugent mieux, ni si vite, que lorsqu'ils sont frappés par un malheur commun, ou qu'ils sont réunis pour résister à un même ennemi. L'amiral107 avait une réputation de mérite personnel, généralement assez médiocre; mais son combat d'Algésiras et la bravoure qu'il y avait déployée, l'avaient beaucoup relevé dans l'opinion du corps. Malheureusement un vice vint à se développer en lui, qui, ordinairement, aliène tous les cœurs, ce fut une avarice sordide. Le général Decaen en fut le témoin de trop près, puisqu'il mangeait à sa table, pour ne pas en être
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Charles-Alexandre-Léon Durand de Linois, né à Brest, le 27 janvier 1761, décédé à Versailles le 2 décembre 1848, appartenait à l'ancienne Marine, dans laquelle il avait servi comme officier auxiliaire. Après la Révolution, il avait, à bord de