Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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revenons à notre escadre.

      Après avoir repris la route de notre destination et traversé le détroit de Messine, nous naviguâmes avec la plus grande vigilance. Comme c'était la saison des vents du nord-ouest, nous atteignîmes promptement les côtes égyptiennes. Nous en étions à vingt-cinq lieues, et nous nous attendions à voir, le lendemain, Alexandrie, à en forcer même l'entrée (comme récemment, et avec plus de danger, une de nos escadres a forcé Lisbonne), si les Anglais et leurs vaisseaux voulaient s'opposer au passage; mais, ô surprise! l'amiral ordonne de mouiller90 et de se préparer à débarquer nos troupes sur cette partie de la côte. Quel trajet il aurait resté à faire à nos soldats dans les sables, sans eau, presque sans provisions et ayant à combattre les indigènes et les détachements anglais qui parcouraient le pays! Cependant la mer était trop forte pour songer à un débarquement immédiat, et nous attendions le calme, lorsque deux bâtiments parurent au coucher du soleil et fort loin. Ce pouvaient être des transports destinés à approvisionner les Anglais; ce pouvait être encore une avant-garde; l'amiral le jugea ainsi91, et il appareilla dans la nuit.

      Avec les vents du nord-ouest, il n'y avait qu'une route possible, celle qui tendait vers les côtes de l'Asie-Mineure ou vers l'Archipel de Grèce. Nous reconnûmes, en effet, les approches de Rhodes; et, louvoyant à grand'peine dans l'Archipel pour doubler Candie et Cérigo (Cythère), nous n'y parvînmes qu'après plus d'un mois de périlleuse navigation92.

      Plus que jamais notre mission nous semblait un simulacre; cependant l'amiral revint sur la côte d'Afrique, mais, devant Derne93, c'est-à-dire à cent vingt lieues d'Alexandrie. Nouvel ordre de débarquement, et plus grande surprise de notre part, en voyant si bénévolement exposer, nous disions même, sacrifier nos troupes. On se mit en mesure d'exécuter l'ordre: le temps était superbe: nos canots partirent chargés d'officiers, de soldats, de munitions. Verbois, Hugon et moi, nous en commandions un chacun, et nous marchions de front. À cinquante pas du rivage, nous découvrîmes une jetée en pierre, construite au bas d'un petit monticule sur lequel retentissaient les sons d'une musique sauvage. Depuis notre apparition le pays avait appelé ses enfants; les chevaux arabes, sillonnant toutes les directions, avaient recruté, rallié tout ce qui, dans les environs, pouvait porter les armes; et, prompt comme l'éclair, l'essaim qui couvrait le monticule, pressé par la musique qui devenait plus animée, poussant des cris barbares, précipitant des coursiers renommés pour leur agilité, et agitant, dans les airs, ses armes brillantes, ses croissants dorés, ses bannières de mille couleurs, arrive à la jetée, met pied à terre, s'agenouille, appuie ses fusils sur les pierres et tire une volée très nourrie, mais peu meurtrière. L'odeur de la poudre excite nos soldats, et nous continuions à avancer avec ardeur, quand Verbois saisit son porte-voix et hèle qu'il vient à son tour d'être hélé pour un retour immédiat à bord, signalé par l'amiral94 à l'officier qui commandait le débarquement.

      Là finirent nos singulières tentatives de secourir l'armée d'Égypte; et nous reprîmes le chemin de Toulon entre la Sicile et la côte d'Afrique, bien tristes, bien fatigués, réduits en rations de vivres et d'eau, car il fallait continuer à nourrir nos soldats, et ayant tant et tant de malades que notre batterie basse en était encombrée. Jamais je n'ai autant souffert, surtout de la soif, que pendant cette campagne. Une nuit, vers la fin de mon quart, je me traînai à quatre pattes, jusqu'à l'extrémité de la cale, où je parvins à obtenir d'un calier une ou deux cuillerées d'eau infecte, pour lesquelles, pourtant, j'aurais donné tout ce que je possédais. La fortune nous devait quelque dédommagement, et elle nous en offrit un à quelques lieues de Goze95, qui avoisine l'île de Malte.

      Au point du jour, un vaisseau de ligne anglais fut reconnu à deux lieues au vent de l'escadre. L'Indivisible profita de sa marche supérieure pour se porter de l'avant à lui, afin de lui couper la retraite; le Dix-Août se tint par son travers pour l'empêcher de faire vent arrière; et nos deux autres vaisseaux virèrent de bord pour s'élever au vent, en cas que l'ennemi cherchât à s'échapper dans cette direction.

      C'était une bonne disposition; mais ces deux vaisseaux s'éloignèrent tellement que l'Anglais, imitant en quelque sorte la ruse de guerre du dernier des trois Horaces, laissa porter sur le Dix-Août, espérant le dégréer avant que l'amiral l'eût rejoint, pour n'avoir plus affaire ensuite qu'avec l'Indivisible. C'est donc nous qui soutînmes le choc, et nous le soutînmes dignement; car, avant une demi-heure de temps, notre adversaire ne pouvait plus manœuvrer. L'Indivisible avait mis le cap sur nous, et l'amiral nous héla de laisser arriver pour qu'il pût prendre notre place. «Non, répondit l'intrépide Le Goüardun, plutôt mourir mille fois que de quitter le poste d'honneur!» L'amiral n'insista pas, et il manœuvra pour aller se placer sur l'avant du vaisseau anglais. Une ou deux volées de l'Indivisible suffirent pour achever de désemparer le vaisseau ennemi qui, bientôt, amena son pavillon96; et nous, nous jetâmes dans les airs les cris mille fois répétés de «Vive la République!» que, cette fois, je dois le dire, j'entonnais de grand cœur; car alors c'était bien de l'honneur national qu'il s'agissait, et quand de si grands intérêts sont en jeu, les ressentiments particuliers doivent se taire. C'était le vaisseau le Swiftsure, de 74, qui, comme nous, venait de quitter les parages d'Alexandrie pour aller se ravitailler à Malte.

      Je voyais enfin mes vœux réalisés; j'avais assisté à un combat; nous avions longtemps lutté à forces égales; nous avions eu des avantages incontestables, le Swiftsure avait parfaitement manœuvré, s'était vivement défendu; j'avais tout vu, car j'étais l'aspirant de service auprès du commandant pendant le combat, et son admirable sang-froid avait excité mon enthousiasme. Dans le fort de l'action, il m'avait envoyé transmettre un commandement dans la batterie basse: c'est elle qui souffrit le plus; des malades, eux-mêmes (car nous en avions tant que la cale et l'entrepont n'avaient tous pu les contenir) y avaient reçu la mort dans leurs cadres. J'avais, en passant, serré la main à Verbois et à Hugon qui, solides à leur poste, excitaient de leur mieux les canonniers; mais je quittais à peine ce dernier qu'une file entière de servants d'une pièce est emportée devant moi, et j'arrive sur le pont couvert de la cervelle et des cheveux de ces nobles victimes. En ce moment le porte-voix du commandant étant fracassé devant sa bouche par un boulet, il se retourne pour en demander un autre; je l'envoie chercher par un pilotin, en disant au commandant que je suis prêt, en attendant, à porter ses ordres; et, comme il me voit teint de sang: «Il paraît, me dit-il, qu'il fait chaud en bas», et, un instant après, il ajouta, en suivant son idée: «Allez prendre l'air dans le gréement, et faites dépêcher les gabiers que vous voyez travailler au point de la voile du grand hunier.» Je galope dans les haubans; bientôt il me voit revenir, car la réparation était finie, et il me dit en frappant sur mon épaule: «Vous êtes un brave garçon, et je demanderai pour vous le grade d'enseigne de vaisseau!» Je crus rêver, tant ces paroles m'enivrèrent de joie… rien, désormais, ne me parut plus impossible; il m'aurait dit de sauter à pieds joints à bord de l'ennemi, que je me serais élancé, quoique nous en fussions à cinquante toises environ.

      Un autre dédommagement de la fortune fut la prise du Mohawk, chargé de comestibles pour l'armée anglaise en Égypte. La répartition de ces comestibles fut faite aussitôt dans l'escadre. J'eus pour ma part un pain de sucre, une demi-livre de thé, deux livres de café et quelques autres provisions. Cette aubaine nous réconforta beaucoup. Nous n'en arrivâmes pas moins à Toulon97 dans un état sanitaire affreux. Une épidémie pestilentielle agissait sur nous sans relâche et nous enlevait tous les jours quelques compagnons d'armes; nos forces, ranimées pour le moment du combat, avaient disparu; le scorbut compliquait l'épidémie, et nous fûmes soumis à une longue quarantaine. Ce fut pendant cette éternelle quarantaine que, couché, une nuit, je sens mon cadre (ou lit de bord) violemment secoué par Verbois dont

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<p>90</p>

Le 5 juin, la frégate anglaise, la Pique, prit chasse devant l'escadre française et rallia celle de lord Keith. Le 7, l'amiral Ganteaume détacha la corvette l'Héliopolis, qui, échappant à la croisière anglaise, entra dans le port d'Alexandrie. L'amiral, ne la voyant pas revenir, la crut capturée et se décida, le 9, à mettre les troupes à terre. Voyez Chevalier, Histoire de la Marine française sous le Consulat et l'Empire, 1886, p. 45.

<p>91</p>

C'était bien, en effet, l'avant-garde de l'escadre de lord Keith.

<p>92</p>

Dans une Notice sur la campagne de l'amiral Ganteaume, rédigée à Toulon en janvier 1842 et conservée aux Archives nationales, M. Savy de Mondiol, capitaine de frégate en retraite, ancien aspirant de l'Indivisible, assigne seulement à cette navigation une durée de huit à dix jours.

<p>93</p>

Derne ou Dernah, l'ancienne Darnis ou Dardanis, ville maritime de la Cyrénaïque, comprise aujourd'hui dans le vilayet turc de Barca ou Barkah.

<p>94</p>

L'amiral Ganteaume comptait que le général Sahuguet achèterait le concours des Arabes au moyen d'une somme de 300.000 francs qu'il lui avait fait allouer. Voyez ses lettres au ministre de la Marine, qui sont conservées aux Archives nationales et en particulier celle du 4 ventôse an IX. L'accueil fait aux embarcations de l'escadre lui enleva ses illusions.

<p>95</p>

Goze ou Gozzo, île au nord-ouest de Malte, dont elle constitue une dépendance. Le combat raconté ci-après n'eut donc pas lieu, comme le dit le commandant Chevalier, entre Candie et la côte d'Égypte. À la vérité, il y a, sur la côte Sud de Candie, une petite île qui en dépend, et qui porte, elle aussi, le nom de Gavdo ou Gozzo. Seulement, d'après les Mémoires, c'est de la première qu'il s'agit ici.

<p>96</p>

Le Gouvernement consulaire accorda à chacun des deux vaisseaux l'Indivisible et le Dix-Août, deux grenades, deux fusils et quatre haches d'abordage d'honneur. En réalité, le Dix-Août avait à peu près seul soutenu le combat.

<p>97</p>

En thermidor an IX (août 1801).