Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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ainsi à enfreindre ses pouvoirs; qu'au surplus je ne résisterais pas à la force, mais que, s'il ne me faisait pas attacher dans la hune, j'en descendrais aussitôt. Alors, sans me déconcerter, je détachai mon sabre pour confirmer que je ne me défendrais pas, et me mettant à cheval sur un canon voisin, j'ajoutai qu'il pouvait me faire hisser, s'il le jugeait possible. Il ne l'osa point.

      Après mille phrases aussi incohérentes que passionnées, il se retira dans sa chambre, disant qu'il me donnait cinq minutes de réflexion, et qu'à son retour il me ferait hisser si j'étais encore en bas. Le vaisseau était dans une agitation extrême; l'officier de quart, M. Granger, était un brave homme de soixante ans qui m'engageait, les larmes aux yeux, à obéir.

      À l'aspect de ces larmes, je sentis mon courage chanceler; mais, revenant à moi, je refusai encore. Il se rendit alors chez le commandant, et, revenant bientôt avec un visage triomphant: «J'ai pris sur moi, s'écria-t-il, de dire que vous étiez monté, et j'ai obtenu votre grâce…; allez remercier le commandant.» Je compris que c'était un arrangement convenu; je ne voulus pas m'y prêter, et je continuais à rester sur mon canon, quand le sage Augier s'approchant de moi, me dit: «Vous avez été admirable; vous nous avez vengés de six mois d'oppression; mais l'ennemi est à bas, et vous n'abuserez pas de votre victoire en persistant à le narguer sur le pont; allons, venez au poste; il nous tarde à tous de vous complimenter et de vous remercier.» Nul ne s'opposa à ce que je suivisse Augier; et ainsi se termina cette scène, où le commandant aurait sauvé les apparences, ainsi que sa dignité, s'il m'avait dit avec modération que je méritais quinze jours d'arrêts, qu'il avait cru me rendre service en commuant cette punition; mais que, puisque la chose ne me convenait pas, il en revenait aux arrêts, et m'enjoignait d'y rester jusqu'à nouvel ordre.

      Cette aventure fut l'objet des entretiens de toute la rade. D'un autre côté je la racontai à M. de Bonnefoux. Il en fut désolé, car il savait que le Jean-Bart n'avait pas de mission prochaine, et il était sur le point de me faire changer de bâtiment. Il ajouta qu'il ne le pouvait plus de quelque temps, parce qu'il ne devait pas paraître prendre parti pour le subordonné contre le chef. Cependant ma présence était, convenablement, devenue si impossible sur le vaisseau que, quinze jours après, je passai sur la corvette la Société populaire, tout simplement nommée, dès lors même, la Société, tant on était déjà fatigué, en France, des mots pompeux à l'aide desquels tant de gens avaient été séduits, et tant de crimes commis. Cette corvette devait partir sous peu pour escorter les convois le long de la côte jusqu'à Nantes: c'était la même mission que celle de la Fouine; mais la Société était beaucoup plus grande, plus fortement armée que le lougre, et elle avait plusieurs autres navires de guerre pour coopérateurs.

      Dans cette navigation, je pris une connaissance détaillée de la plupart de nos petits ports du golfe de Gascogne, et j'avais un commandant bien différent de celui du Jean-Bart. Augier me manquait beaucoup; cependant un jeune officier de santé de beaucoup de mérite et d'une société fort agréable, appelé Cosmao63, s'y lia avec moi, et adoucit un peu mes regrets. Je restai plusieurs mois sur cette corvette; mais il ne s'y passa que deux événements dignes d'être relatés; le premier fut la rencontre inopinée d'une roche, sur laquelle, par un temps de brume, nous fûmes sur le point de nous briser; la manœuvre prompte, l'accent du commandement de l'officier de quart purent seuls nous dégager. Chacun à bord, lui excepté, croyait le bâtiment perdu; et l'on frissonnait encore de terreur, tandis que le hideux remous de la roche paraissait fuir la poupe de la corvette, naguère enveloppée et attirée par lui vers les profondeurs de l'abîme. Le danger passé, je descendis, et j'allai trouver Cosmao qui était couché dans son cadre: «Quoi, vous dormez? lui dis-je». «Non, me répondit-il, j'ai tout entendu, et j'allais me lever; mais je vous aurais embarrassé, et je me suis remis sur le côté droit pour me noyer plus à mon aise; c'est la position où je dors habituellement.» Dans l'officier de quart j'avais admiré l'homme de cœur, de tête et de talent; dans l'officier de santé, j'admirai le philosophe, l'homme résigné! l'un et l'autre avaient à peine vingt ans; et que d'hommes supérieurs de cinquante n'en feraient pas autant; mais il n'est rien de tel pour former la jeunesse que la guerre et les révolutions! Cosmao est un ami que je n'ai pas revu depuis la Société!

      Le second événement fut l'attaque du convoi par deux frégates anglaises. Nos navires marchands furent mis à l'ancre entre la terre et les bâtiments de guerre, qui s'embossèrent pour prêter côté, et pour combattre les frégates. Celles-ci s'approchèrent; nous tirâmes dessus, et comme la corvette portait du 24, nous les atteignîmes de loin; ce gros calibre fut, sans doute, ce qui fit changer leur résolution; car elles prirent le large, et se contentèrent de nous observer; mais nous appareillâmes pendant la nuit et, au point du jour, nous gagnâmes le petit port de Benodet64. Dans ce trajet, le commandant pensa que nous serions peut-être attaqués par les embarcations armées des frégates, à l'effet d'essayer de couper ou d'enlever quelque traîneur du convoi; aussi nous passâmes la nuit dans la plus grande vigilance et armés jusqu'aux dents. Toutefois il n'en fut rien; et mon espoir fut encore déçu, d'ajouter à l'expérience que me donnaient mes voyages, le haut enseignement d'une mêlée ou d'un combat.

      Lors d'une de nos relâches à Brest, M. de Bonnefoux me fit passer sur le vaisseau le Dix-Août65, qui devait faire campagne, et qui était commandé par M. Bergeret66, jeune capitaine de vaisseau de trente ans, renommé pour sa belle défense de la frégate la Virginie67; aujourd'hui vice-amiral, préfet maritime à Brest68, et qui possédait tout ce qu'il faut pour conduire, diriger, former, enthousiasmer la jeunesse. Augier était parvenu à quitter le Jean-Bart et il allait partir dans une autre direction; ainsi il était encore à Brest, et j'eus le bonheur de recevoir ses adieux; il me fit promettre de ne prendre aucun moment de repos que je ne fusse enseigne de vaisseau, et, jusqu'à ce moment, de ne me permettre aucune distraction, pas seulement celle de la lecture d'un roman ou d'un ouvrage d'agrément; il voulut enfin que tous mes moments, toutes mes facultés fussent, sans exception, pour l'étude et pour la navigation. Je promis tout; je tins tout.

      Cependant les ordres du Dix-Août furent changés; ses courses se bornèrent à quelques promenades dans l'Iroise69, à Bertheaume70, à Camaret71, lieux voisins de Brest, et où le commandant Bergeret exerçait son équipage avec l'actif entraînement qu'il savait si bien inspirer. Qu'il y avait loin de là au commandant du Jean-Bart, et que j'étais heureux d'en pouvoir faire la comparaison! J'étais content de tout; je l'étais des autres; je l'étais de moi; et quand je venais à penser qu'un an s'était à peine écoulé depuis que j'étais un enfant, un petit polisson, puis un novice, puis un écolier, je me sentais comme émerveillé. Je correspondais, d'ailleurs, fort exactement avec mon père, avec ma sœur; et quand ce n'eût été ma conscience, leurs lettres m'auraient amplement récompensé de mes fatigues, de mes travaux.

      Il y avait à bord du vaisseau le Dix-Août huit aspirants de la Marine, avec quatre desquels je me liai étroitement, et dont je vais te parler pour te donner quelques idées sur la destinée de la quantité de jeunes gens qui se lancent annuellement dans la carrière du service militaire. Tu y verras peut-être aussi l'influence que leur conduite particulière peut avoir sur cette destinée.

      Deux d'entre eux, Moreau et Verbois, étaient, comme moi, de la 1re classe. Moreau72, né à Saint-Domingue, ex-élève très distingué de l'École polytechnique avait un jour rêvé, devant une gravure des boulevards, une nouvelle révolution dans sa patrie, son retour sous la domination de la France, le rétablissement de sa fortune, et le paiement de la dette de sa reconnaissance envers une famille généreuse qui l'avait fait élever,

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<p>63</p>

Jacques-Louis-Marie Cosmao né à Châteaulin (aujourd'hui département du Finistère), le 20 août 1779. M. Cosmao a été mis à la retraite en 1821, en qualité de chirurgien de première classe de la Marine. Il est mort en 1826.

<p>64</p>

Commune du département du Finistère, arrondissement de Quimper, canton de Fouesnant. Benodet se trouve à l'embouchure de l'Odet.

<p>65</p>

Le vaisseau le Dix-Août était «un des plus beaux de la République… Il se distinguait entre tous par la force et l'élégance, par la précision, la rapidité et l'harmonie de ses mouvements», dit M. Fréd. Chassériau, conseiller d'État, Notice sur le vice-amiral Bergeret, sénateur, Grand'Croix de la Légion d'honneur, Paris, 1858, p. 27 et 28.

<p>66</p>

Jacques Bergeret, né le 15 mai 1771 à Bayonne, partit à l'âge de douze ans pour Pondichéry, en qualité de mousse sur le navire de commerce la Bayonnaise. Après avoir servi un instant dans la Marine de l'État, il navigua de nouveau sur des bâtiments de commerce, de 1786 à 1792, et devint officier dans la marine marchande. Nommé enseigne de vaisseau, le 24 avril 1793, il embarqua sur la frégate l'Andromaque, sous les ordres de Renaudin, le futur commandant du Vengeur. Lieutenant de vaisseau le 15 août 1795, et appelé au commandement de la frégate la Virginie, construite sur les plans du grand ingénieur Sané, il se signala dans l'escadre de Villaret-Joyeuse et obtint de conserver son commandement, lorsque le grade de capitaine de vaisseau vint récompenser ses services le 21 mars 1796; il n'avait pas encore accompli sa vingt-cinquième année. Jacques Bergeret était le cousin germain de Mme Tallien.

<p>67</p>

Combat dans la Manche contre le vaisseau anglais, Indefatigable, placé sous les ordres de sir Edward Pellew, plus tard vicomte Exmouth.

<p>68</p>

En 1835. Le vice-amiral Bergeret, créé sénateur en 1852, est mort à Paris le 26 août 1857, survivant ainsi de près de deux ans à son ancien aspirant du Dix-Août, l'auteur de ces Mémoires.

<p>69</p>

«Espace de mer à l'ouest du département du Finistère, limité au nord par l'archipel d'Ouessant avec la chaussée des Pierres-Noires et par la terre ferme du cap Saint-Matthieu au goulet de Brest; au sud par la chaussée de Sein et la partie du promontoire qui s'étend jusqu'à Audierne; enfin, à l'est par les terres du Toulinguet et du cap de la Chèvre.» (C. Delavaud, Grande Encyclopédie, t. XX, p. 967).

<p>70</p>

L'anse de Bertheaume se trouve à quelques lieues de Brest, dans la commune de Plougonvelin, non loin de la pointe Saint-Matthieu. À l'entrée de l'anse, un fort construit sur un rocher isolé, porte le nom de château de Bertheaume. Tant que dura le blocus de Brest, les navires en rade se bornèrent à naviguer entre Brest et Bertheaume. Aussi un mauvais plaisant rédigea-t-il l'épitaphe suivante pour l'amiral Ganteaume, ou Gantheaume qui avait commandé l'escadre de Brest pendant un certain temps:

Cy-gît l'amiral Gantheaume,Qui s'en fut de Brest à Bertheaume,Et profitant d'un bon vent d'Ouest,S'en revint de Bertheaume à Brest.
<p>71</p>

Commune du département du Finistère, arrondissement de Châteaulin, à l'extrémité de la presqu'île de Crozon, qui sépare la rade de Brest de la baie de Douarnenez. Camaret se trouve au-delà du Goulet, en dehors de la rade, par conséquent.

<p>72</p>

Charles Moreau.