Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855 - Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux

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d'esprit. Un enthousiasme soudain brilla alors dans les yeux de notre malade et, d'une voix animée, elle dit: «Je ne puis déplorer ma mort, puisque mon devoir était tracé et que je ne serais plus qu'un obstacle à votre bonheur… Ma sœur se charge d'Eugénie et lui promet sa fortune; ainsi ma fille obtiendra le prix des plus tendres soins qu'une mère ait jamais reçus, et elle paraîtra, dans le monde, avec tous ses avantages naturels; quant à toi, mon fils bien-aimé – me dit-elle en m'embrassant et après une longue pause – j'ai l'assurance que ton cousin, le marin, reprendra bientôt sa carrière, et qu'il t'y fera entrer, comme ton père contribua, jadis, à l'y placer; tu dois réussir dans cette arme; tu y introduiras ton frère, et c'est avec satisfaction que je pense que l'épée ne sortira pas de la famille… Adieu, ma sœur, voilà ta fille… adieu, mon mari, embrassons-nous encore une fois…» Et, peu après, ce ne fut qu'une scène de sanglots et de désolation. C'était le 18 novembre 1797.

      Ma tante tint religieusement ses promesses. Mon père partit avec mon frère pour Marmande, où, suivant l'usage de l'ancienne noblesse, il s'établit chez son frère aîné, qu'il n'avait jamais tutoyé, le considérant toujours comme le représentant de son père; et moi, en attendant que j'entrasse au service, je fus recueilli par un ami de la maison, M. de Lunaret, dont le fils, aujourd'hui conseiller à la Cour royale de Montpellier, était mon compagnon de choix, et qui mit tant de délicatesse dans ses procédés qu'aucune différence ne pouvait se remarquer entre les deux camarades. Ce digne vieillard vit encore; un de ses plus grands bonheurs est de me recevoir à Béziers, et sa belle âme s'indigne toutes les fois que je lui rappelle son affectueuse bienveillance et les marques qu'il m'en a données.

      Cependant je grandissais beaucoup, et je passai encore huit mois à Béziers, attendant que le capitaine de vaisseau, neveu de mon père, et que j'appellerai dorénavant M. de Bonnefoux, reprît du service. M. de Lunaret me traitait toujours comme son fils; je le suivais à Lyrette, nom de sa maison de campagne, près de la ville, où il allait souvent; il me conduisit, même, au village de Cabrières44, situé dans la partie des montagnes que l'on trouve à quelques lieues dans le nord-est de Béziers et où il avait une propriété. Ce fut une partie de délices pour le jeune Lunaret et pour moi; j'y retrouvai presque le Châtard. Nous nous y livrâmes à mille exercices, jeux ou plaisirs de notre âge, dans lesquels nous excitions, même, l'étonnement de ces montagnards; enfin, après un séjour de trois mois, nous en revînmes, tous les deux, avec une dose de vigueur, avec une allure d'aisance que la vie âpre de ces contrées agrestes contribue ordinairement à donner à ses robustes habitants.

      C'est la dernière partie de ce genre que j'aie faite, en y portant les goûts vifs de l'enfance, car mon existence changea entièrement par la nouvelle que je reçus, à mon retour de Cabrières, que M. de Bonnefoux, ami intime du ministre de la Marine Bruix45, venait d'être nommé adjudant général, aujourd'hui major général, du port de Brest. Il avait quitté Marmande pour se rendre à son poste; en passant à Bordeaux, il m'y avait embarqué46 sur le lougre la Fouine, qu'on armait pour Brest, et je devais partir sur-le-champ de Béziers, afin de passer trois mois de congé auprès de mon père; après ce temps il m'était enjoint d'aller faire, à bord de la Fouine, mon service de novice ou d'apprenti marin. On ne pouvait pas alors devenir aspirant ou élève, sans un embarquement préalable d'une durée déterminée, et sans un concours public, où l'on répondait à un examinateur sur les connaissances mathématiques exigées. Je ne savais rien de ce qu'il fallait pour cet examen; mais mon cousin m'attendait à Brest pour m'y faire embarquer sur un bâtiment en rade, avec permission du commandant de descendre à terre, afin d'étudier sous un bon maître, et de pouvoir suivre, d'ailleurs, les cours des écoles du Gouvernement.

      Je fus abasourdi de toutes ces nouvelles; mais l'enfance est peu soucieuse; elle est possédée du goût des aventures et remplie de curiosité. J'eus pourtant un vif serrement de cœur en quittant ma bonne tante, ma tendre sœur, l'excellent M. de Lunaret, son fils, mon cher ami; mais enfin je partis pour Marmande.

      Quand j'y arrivai, mes deux cousines, Mmes de Cazenove de Pradines et de Réau étaient veuves; la première s'adonnait presque entièrement à l'éducation première de son fils ou à ses exercices de piété; mais sa sœur voyait un peu plus le monde; je lui servis de cavalier; j'avais seize ans; malgré mes genoux un peu gros et mon dos un peu voûté, j'avais cinq pieds cinq pouces; ma figure était loin d'être bien; mais on disait que j'avais les yeux intelligents, les dents belles, et un air de santé. Je soignai mon langage, mes manières, ma toilette; bref, quand je partis de Marmande, j'éprouvai plus de regrets que je ne l'aurais pensé. Le Châtard m'avait revu, mais tout différent; car la bonne société de Marmande m'avait laissé une bonne partie de son agréable vernis; mon père m'avait même associé à ses longues parties de chasse de plusieurs jours, qu'il avait reprises avec une rare vigueur; toutefois Marmande fut ce que je quittai avec le plus de peine quand je pris le chemin de Bordeaux et de mon embarquement.

      LIVRE II

      ENTRÉE DANS LA MARINE. – CAMPAGNES MARITIMES SOUS LA RÉPUBLIQUE ET SOUS L'EMPIRE

      CHAPITRE PREMIER

      Sommaire: Je suis embarqué comme novice sur le lougre la Fouine. – Départ pour Bordeaux. – Je fais la connaissance de Sorbet. —La Fouine met à la voile en vue d'escorter un convoi jusqu'à Brest. – La croisière anglaise. – Le pertuis de Maumusson. —La Fouine se réfugie dans le port de Saint-Gilles. – Sorbet et moi nous quittons la Fouine pour nous rendre à Brest par terre. – Nous traversons la Bretagne à pied. – À Locronan, des paysans nous recueillent. – Arrivée à Brest. – Reproches que nous adresse M. de Bonnefoux. – La capture de la Fouine par les Anglais. – Je suis embarqué sur la corvette la Citoyenne.

      Mon père avait prié son frère de permettre le retard du semestre de la pension qu'il payait chez lui, afin de joindre cette somme à quelques économies qu'il faisait depuis quelque temps, avec le plus grand scrupule, pour subvenir à mes dépenses de trousseau et de voyage. Il me remit ainsi vingt louis en me faisant ses adieux; ce brave homme me traça alors les devoirs de l'honneur et de l'état militaire; et, m'embrassant les larmes aux yeux, il ajouta que si je manquais jamais à ces devoirs, il n'y survivrait pas.

      À Bordeaux, je logeai chez une veuve, nommée Mme Sorbet, dont le fils, beau-frère d'un ami de M. de Bonnefoux, était également embarqué, par ses soins, sur la Fouine, et devait, sous ses auspices, entrer, comme moi, dans la Marine. Le bâtiment avait encore huit jours à séjourner à Bordeaux pour attendre un convoi qu'il devait escorter jusqu'à Brest. Le capitaine me permit de rester pendant ce temps chez Mme Sorbet, où grand nombre d'amis et d'amies de Sorbet et de ses sœurs venaient habituellement passer la soirée. Le jour, Sorbet et moi nous parcourions la ville, et visitions les curiosités ou les environs; et, le soir, c'étaient des réunions bruyantes, fort de notre goût. Sorbet, qui avait mon âge, était moins grand que moi, mais fortement constitué; il était paresseux, dissipé, prodigue; aussi les vingt louis que sa mère avait cru devoir également lui donner étaient fortement ébréchés, et par contre-coup les miens, quoique beaucoup moins, lorsque nous quittâmes Bordeaux.

      Au bas de la Gironde, nous attendîmes quelque temps encore, à cause de plusieurs navires du convoi qui n'étaient pas prêts, des croiseurs anglais et du vent. J'avais la plus grande impatience d'essayer de mon nouvel élément, surtout d'arriver à Brest pour travailler à comparaître devant mon examinateur, qui devait s'y trouver à la fin de janvier. Enfin ce grand jour arriva: la mer était couverte de nos bâtiments, et, quoique malade du mal de mer, j'admirais ce spectacle, quand l'annonce de deux frégates anglaises vint jeter, dans les voiles du convoi, la même épouvante qu'un loup peut répandre au milieu d'un troupeau de brebis. Nous étions deux petits bâtiments qui fîmes bonne contenance; mais le danger était pressant; et, après plusieurs signaux,

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<p>44</p>

Aujourd'hui, commune du département de l'Hérault, canton de Montagnac, arrondissement de Béziers.

<p>45</p>

Eustache de Bruix, fils d'un ancien capitaine au régiment de Foix, né le 17 juillet 1759 à Saint-Domingue (quartier du Fort-Dauphin), appartenait à une famille analogue à celle de M. Casimir de Bonnefoux. Son aîné de deux ans seulement, il avait été, comme lui, garde de Marine à la compagnie de Brest, à la vérité, et non pas à celle de Rochefort. Comme lui, il avait montré une brillante valeur pendant la guerre de l'Indépendance d'Amérique. Nommés lieutenants de vaisseau le même jour, le 1er mai 1786, capitaines de vaisseau le même jour, le 1er janvier 1793, les deux officiers étaient destitués en qualité de nobles par arrêté des représentants du peuple en mission à Brest. Rentrés peu de temps après dans la Marine, ils devenaient encore l'un et l'autre capitaines de vaisseau de première classe, le 1er janvier 1794, et chefs de division en 1796. À partir de ce moment, au contraire, M. de Bruix distançait rapidement son ami, pour terminer, à la vérité, sa brillante carrière beaucoup plus tôt. Contre-amiral le 20 mai 1797, ministre de la Marine et des Colonies, le 28 avril 1798, vice-amiral, le 13 mars 1799, amiral, le 28 mars 1801, conseiller d'État, le 23 septembre 1802, commandant de la flottille de Boulogne, le 15 juillet 1803, grand-officier de l'Empire avec le titre d'inspecteur des côtes de l'Océan, Bruix mourait à Paris, le 18 mars 1805. Dans les dernières années de sa vie, il avait retrouvé M. de Bonnefoux à la tête de la préfecture maritime de Boulogne, et ce dernier lui avait succédé dans le commandement de la flottille.

<p>46</p>

P. – M. – J. de Bonnefoux est donc entré dans la marine à l'âge de seize ans et non pas à l'âge de treize ans, comme le dit l'auteur de sa biographie dans la Grande Encyclopédie.